Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.


Deux zapatistes à Paris

Par Gloria Benavides et Javier Elorria

Du 5 au 12 novembre dernier, Javier Elorriaga et Gloria Benavides effectuaient une tournée en France. De France Libertés aux comités de solidarité, en passant par les syndicats, les ONG, les partis politiques, les députés européens, ils ont rencontré tous ceux qui se sont déjà mobilisés en faveur du mouvement zapatiste, ou sont susceptibles de le faire dans l'avenir. Volcans a tiré de leurs diverses interventions publiques un certain nombre de bonnes feuilles que voici.

Javier Elorriaga et Marcos à la Realidad.

La situation actuelle du Mexique est celle d'un malade en phase terminale. Comme toujours dans ces cas-là, toutes sortes de médecins se penchent à son chevet et proposent leurs traitements. L'une des solutions proposées consiste à découper le malade en petits morceaux pour les vendre à l'extérieur. Ce sont les représentants de groupes d'intérêt qui se disputent le partage du pouvoir.

L'une des principales avancées de ces derniers temps est la prise de conscience générale de la gravité de l'état du malade. Certains préconisent l'amputation de certaines parties du corps, d'autres suggèrent un nettoyage qui permettraient de le maintenir encore quelques années. Mais l'état du malade s'aggrave.

C'est ce qui nous a amené à un second niveau d'accord entre nous, consistant à recourir à la tradition préhispanique du sacrifice. On a compris que quelques petits sacrifices permettraient au Mexique de sortir de la phase terminale. Il faudra de toute façon, par la suite, discuter des conditions de la convalescence. Mais si nous ne le sortons pas de la phase terminale, nous allons tous mourir .

La question du sacrifice nécessaire a un lien direct avec le positionnement du zapatisme. Il s'agit de savoir ce que le zapatisme est prêt à sacrifier, et ce qui peut y être gagné, à la fois pour le zapatisme et pour le malade.

Il faut définir de nouvelles règles. En naissant à la lumière, le zapatisme a remis en question des choses qu'on croyait jusque là inamovibles. Par l'exemple, l'idée d'une armée qui veut cesser d'être une armée. En douze jours, en janvier 1994, l'armée zapatiste a compris que les armes devaient se taire pour écouter les civils. Elle a entendu la voix du peuple mexicain. Les Indiens du Chiapas avaient tellement été exclus qu'ils ne pouvaient répéter l'erreur d'exclure les autres. Depuis, ils n'ont cessé d'écouter la voix du Chiapas. A partir de là, il s'est agi de chercher d'autres formes d'action et d'expression. Pour les communautés qui depuis lors ont dû supporter la présence d'une armée d'occupation, il faut mesurer le sacrifice qu'a représenté le fait de renoncer à se servir de leurs armes, après tant de temps passé à les accumuler et de sacrifier le mythe de la cagoule, de l'armée populaire, etc. pour s'orienter vers la construction d'une force 100 % politique. Et tout cela pour répondre à l'appel du peuple mexicain.

Ni armes, ni urnes

Pour cela, certains disent maintenant de nous que nous sommes devenus réformistes, que nous avons abandonné la voie révolutionnaire. Mais nous ne voulons pas tuer le patient. Si nous ne changions pas en fonction de la situation, ce serait comme si nous luttions pour le pouvoir. Nous persistons à ne pas lutter pour le pouvoir, et à ne pas laisser nos armes, sans chercher pour autant une sortie par la voie électorale. Ni les armes, ni les urnes ne peuvent répondre aux problèmes du Mexique d'aujourd'hui. Cela nous vaut des critiques des deux côtés, de ceux qui ne veulent que les armes, comme de ceux qui ne veulent que les urnes. Pourtant, les marimbas de Las Margaritas continuent de réjouir tout le pays chaque fois qu'elles jouent. Nos différences peuvent et doivent nous servir à construire une unité, si tout le monde sacrifie un peu du passé et un peu de son propre projet.

Le gouvernement a toujours cherché à restreindre le conflit à quatre communes du Chiapas. Mais nous avons réussi à retourner le vieux slogan publicitaire du tourisme chiapanèque qui disait que tout le Mexique se trouvait au Chiapas, en montrant que tout le Chiapas était dans le Mexique. Dans la conscience nationale, il est clair aujourd'hui que pour résoudre le conflit du Chiapas, il faut trouver des solutions aux problèmes du pays tout entier.

A la suite des difficultés qu'a connues le dialogue entre le gouvernement et les zapatistes, la société civile a émis une proposition visant à rompre l'encerclement politique et militaire dans lequel se trouvent les zapatistes. Afin que le zapatisme sorte du Chiapas, la société civile propose de lancer un véritable dialogue national qui dépasse les limites de l'Etat du Chiapas et qui vise à une véritable transformation du pays, à un élargissement des espaces démocratiques. Cette proposition a très rapidement eu un écho important au sein des grands partis politiques d'opposition et des organisations de base, de quartier et de travailleurs. Elle a également été entendue par les zapatistes.

Par contre la réaction du gouvernement a été très violente. Il a menacé de réutiliser les armes contre les zapatistes, d'émettre à nouveau des mandats d'arrêt contre leurs responsables. Malgré tout, les zapatistes ont décidé de sortir du Chiapas et de se rendre à Mexico, comme ils se l'étaient promis le 1er janvier 1994.

L'arme fragile

Ils l'ont fait, comme ils l'ont eux-mêmes dit, au moyen de leur arme la plus offensive et la plus intransigeante : ils ont remis à la société civile l'une de leurs commandantes, Ramona, désarmée mais pourvue de toute l'autorité morale que lui confèrent sa personnalité et sa fragilité (elle est gravement malade). C'est ainsi que la commandante Ramona est sortie de la forêt et s'est rendue jusqu'au Zocalo.

Ceci a été le premier pas des zapatistes à l'extérieur. Nous voulons qu'il se généralise et que les zapatistes trouvent leur place dans la politique nationale, qu'on leur accorde l'espace auxquel ils ont droit comme chaque Mexicain. Nous savons que cela n'est pas possible sans un changement réel dans le rapport de force entre la société civile et le gouvernement.

Nous tentons pour cette raison d'impulser un dialogue national, dépassant définitivement les limites du dialogue restreint dans lequel le gouvernement voudrait cantonner les zapatistes. Ce processus commence à peine ; il a débuté avec l'organisation de rencontres des zapatistes avec, d'une part, diverses organisations nationales qui se sentent exclues de la politique traditionnelle et, d'autre part, des formations qui se préoccupent essentiellement de questions électorales.

Nous ne prétendons pas exclure ces formations et ces partis, mais nous pensons qu'ils ne sont pas représentatifs de toute la société, et qu'ils n'apportent pas de réponse à la majorité des problèmes que le Mexique a aujourd'hui. Nous sommes disposés à inclure ces formations mais nous voulons regrouper un spectre beaucoup plus large d'organisations qui se sentent parties prenantes du dialogue pour une paix digne. Nous sommes donc engagés dans ce processus. Nous ne savons pas ce qu'il y aura après. Nous savons simplement que notre objectif est de conquérir un espace dans un spectre politique national qui est suffisamment large pour nous accueillir.

Les zapatistes réfléchissent en ce moment à une nouvelle proposition politique, qui est actuellement en discussion dans les communautés. Elle sera formulée publiquement dans les semaines ou les mois qui viennent. Une première échéance sera la conférence nationale convoquée pour janvier 1997.

Pas d'OPA sur Zapata

Vous nous avez demandé si nous ne risquions pas d'être laminés en tant que force politique, d'un côté par le gouvernement qui peut multiplier les réformes de pure forme, et de l'autre par les partis politiques qui risquent de se sentir dépossédés de leur fonds de commerce traditionnel. Il n'est pas si facile de se débarrasser du zapatisme ! Le gouvernement s'y est essayé depuis le début. Il a d'abord essayé militairement, mais il s'est aperçu que cela lui coûterait trop cher. Il n'est pas capable non plus d'apporter de véritables réponses politiques. Sa seule réponse est policière. Quant aux partis traditionnels, ils ne représentent pas un vrai risque pour nous, car nous ne jouons pas sur le même terrain. Le mouvement zapatiste ne représente pas non plus un vrai problème pour eux, car nous ne luttons pas pour des fonctions électives. Les partis se sont beaucoup éloignés du peuple et des mouvements sociaux. Eux et nous occupons des espaces très différents. Le zapatisme ne court pas vraiment le risque d'être absorbé. Nous menons beaucoup de luttes en commun avec le PRD, par exemple. Mais il y a aussi beaucoup de difficultés et de disputes entre nous, car le zapatisme est très indigeste (rires).

Notre propre conception de la démocratie n'est pas celle de la démocratie représentative que vous avez en Europe. L'Europe n'est ni un modèle à imiter, ni une terre d'exportation du zapatisme. Nous avons beaucoup à apprendre des luttes contre l'exclusion qui se mènent ici, mais rien de ceux qui essayent d'exclure les autres de la lutte contre l'exclusion (...). A ceux qui nous reprochent d'avoir consacré trop de temps à rencontrer les bureaucraties politiques ou syndicales au cours de notre séjour en France, nous répondons qu'on ne peut pas nous reprocher de chercher à élargir nos soutiens, à moins de prôner comme seule modalité d'action la lutte armée de tous les instants contre tous les capitalistes. Il faut sacrifier quelque chose de son idéologie et de ce qu'on souhaite pour l'avenir.

Pour ce qui est du projet d'une seconde rencontre intercontinentale, qui se tiendrait en Europe, nous n'avions pas prévu que cette proposition poserait autant de problèmes entre Européens. Vous êtes plus fragmentés et divisés que lorsqu'il s'agissait d'amener des gens dans la forêt l'été dernier. Il faut absolument empêcher que la seconde rencontre divise ; si elle doit avoir lieu, il faut au contraire qu'elle unisse.


(Extraits choisis et traduits par Christian Tutin et Xavier de la Vega)


Encadré

Le sort des présumés zapatistes et autres histoires de répression
Volcans, numéro 24/numéro 9

Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.