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Développement et tourismes sont-ils compatibles ?

Par Natacha Lillo

Très loin derrière le pourtour méditerranéen, le bassin touristique méso-américain (Mexique, Caraïbes, Amérique centrale) constitue le deuxième pôle d'accueil mondial avec environ 12 millions de séjours par an, soit 5 % des flux internationaux, venant essentiellement d'Amérique du Nord (en 1993, le Mexique a reçu 85 % de touristes des Etats-Unis et 5 % du Canada). Cela a conduit de nombreux pays de la région à investir massivement dans ce secteur, y voyant une voie royale de développement.

Son climat tropical, l'importance de ses façades maritimes tant sur la mer des Caraïbes que sur le Pacifique et la proximité du plus riche marché du monde ont conduit l'ensemble de la région à jouer à fond la carte du dépaysement et de l'exotisme sur fond de ciel bleu et de sable blanc.

Avec quelques îles des Caraïbes telles les Bermudes ou la Cuba de Batista, le Mexique fut le premier pays de la région à investir dans le tourisme dès les années trente, avec le développement de la ville balnéaire d'Acapulco. Mais c'est surtout lors de la révolution des charters des années soixante-dix que pratiquement tous les pays de la région se sont lancés dans ce domaine. L'investissement dans le tourisme connut un nouvel engouement au début des années quatre-vingts quand la baisse mondiale des cours des produits d'exportation traditionnels (sucre et fruits tropicaux) le fit apparaître comme une voie rapide et efficace d'amélioration des balances des paiements et d'entrée des devises étrangères fortes indispensables pour réaliser les importations de biens d'équipement. Ainsi selon des chiffres de 1990, le tourisme fournirait 52 % des recettes d'exportation en Jamaïque, 40 % en République dominicaine, 17 % au Mexique et 14 % au Costa Rica.

Après avoir installé à grands frais l'ensemble des infrastructures d'équipement nécessaire (voir l'encadré sur Cancun), ce qui implique souvent un appel à des crédits étrangers et donc un accroissement du poids de la dette, les gouvernements locaux offrent toutes sortes de facilités douanières et fiscales aux investisseurs, généralement des tours opérateurs et de grandes chaînes hôtelières du Nord, six des sept premières entreprises mondiales d'hôtellerie appartenant à des sociétés nord-américaines. Ensuite, les Etats réalisent la plupart de leurs recettes directes à travers le prélèvement d'importantes taxes sur les aéroports, les hôtels, les restaurants et les transports locaux et par la vente des visas. Mais une grande part des flux financiers leur échappe car la grande majorité des touristes qui séjournent dans la région ont payé un forfait global avant leur départ à l'agence émettrice, ce qui réduit l'effet de leur présence sur la balance des paiements locale car ils ne dépensent directement que des sommes minimes (pourboires, artisanat de souvenir, etc.).

Ce sont donc les pays du Nord développé qui organisent les flux et récupèrent la plupart des capitaux investis. Les centres de décision se trouvent donc hors de tout contrôle des pays d'accueil dont l'administration et les entreprises locales peuvent difficilement intervenir dans les ventes du produit touristique de leur pays.

L'exotisme du Perrier

Pour répondre à la demande de confort et, paradoxalement, de dépaysement minimal de touristes qui veulent retrouver en vacances les produits qu'ils ont l'habitude de consommer sur leur lieu de résidence (eau Perrier dans le whisky écossais et bière hollandaise accompagnant le T-bone steak du Middle-West...), les pays d'accueil doivent consacrer une partie importante des devises récupérées à des importations dans différents domaines (autocars de tourisme, ameublement, matériel informatique et bureautique, conserves alimentaires et surgelés, boissons, tabac, presse).

Toutes ces importations dérivées dévorent les recettes. Une étude faite au cours des années quatre-vingts par le gouvernement sandiniste sur les perspectives offertes par un développement touristique au Nicaragua concluait que, compte tenu des importations nécessaires, le solde net en devises serait proche de zéro. Certes, les conditions étaient très particulières, mais ce chiffre est néanmoins révélateur.

Plus le pays d'accueil dispose d'une économie diversifiée, plus ce type d'importation peut être évité et plus le solde de la balance touristique est positif. Des calculs font ainsi apparaître qu'au Mexique, 70 à 85 % des dépenses du tourisme organisé restent dans le pays, contre moins de 40 % dans les nouveaux foyers touristiques établis dans des pays peu développés tels le Guatemala ou certaines îles de la Caraïbe. Ainsi, plus un pays est déjà développé, plus son économie tire profit du tourisme... Ce n'est donc pas le tourisme qui permet le développement mais le développement général d'un pays qui rend le tourisme profitable.

Quels emplois ?

Les gouvernements qui décident de stimuler l'activité touristique avancent souvent l'argument des créations d'emplois. S'il est vrai que le tourisme a une incidence dans les secteurs de la construction, de l'hôtellerie et de la restauration, les emplois offerts sont le plus souvent très peu qualifiés, les postes de responsabilité étant généralement confiés à une main-d'oeuvre de cadres étrangers qui transfèrent dans leur pays une partie de leurs rémunérations.

Le tourisme serait directement à l'origine de 3 à 8 % des emplois au Mexique. Outre les emplois du secteur hôtelier et artisanal, il encourage toute une foule d'activités informelles : guides, taxis amateurs, vendeurs à la sauvette, changeurs au noir, sans parler de la prostitution.

L'effet d'entraînement du tourisme sur les secteurs de la construction, de l'artisanat, du commerce et des transports, accélère le processus de tertiarisation des économies de la région. Dans le bassin caraïbe, le tourisme reste un secteur fragile et mal structuré car il est soumis non seulement aux aléas monétaires des pays émetteurs (on constate une importante baisse des flux à chaque fois que le dollar chute), mais également aux catastrophes naturelles (tremblements de terre, cyclones, etc.) et à l'instabilité politique propres à la région.


Sources : Georges Cazes, Le tourisme international, mirage ou stratégie d'avenir, Hatier, Paris, 1989, et Fondements pour une géographie du tourisme et des loisirs, Bréal,


Encadré

L'ordinateur et Cancun

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