Les éditions Dagorno (¡Ya Basta!) continuent de creuser le sillon zapatiste en nous livrant cette fois un texte d'Alma Guillermoprieto (1), paru dans le New York Review of Books. Dans une belle démonstration de journalisme indépendant, l'auteur nous offre les résultats de l'enquête sérieuse, méticuleuse et critique qu'elle a menée pour tenter de comprendre l'émergence de l'EZLN, ce mouvement qui n'a cessé d'intriguer, depuis son apparition le 1er janvier 1994. Une question la travaille : qu'est-ce qui a bien pu pousser des milliers d'Indiens à décider de prendre les armes pour défendre leur droits ? Dédaignant les explications faciles et racistes, avancées par tant de pseudo-journalistes, pour qui la réponse se résume à une poignée de guérilleros perfides abusant de milliers d'Indiens naïfs, l'auteur rend compte avec profondeur et perspicacité de « la période de grande fermentation intellectuelle et spirituelle » qui s'est déroulée dans les hauteurs du Chiapas, pendant les années quatre-vingts. Les prêtres catholiques, les missionnaires évangélistes, les « maoïstes réformistes » et les guérilleros y débattaient, sur fond de démocratie indienne, confrontant changement pacifique et lutte armée, jusqu'à ce que le choix bascule...
Aucune complaisance n'est à attendre de sa part vis-à-vis du sous-commandant Marcos, sans pour autant que sa réserve ne vire à la caricature. On lui reprochera cependant certains jugements hâtifs quant aux affrontements militaires entre le gouvernement et les zapatistes : peut-on parler de « débacle militaire » des rebelles, alors qu'après avoir occupé les six villes au mois de janvier, ils se retirèrent sans chercher l'affrontement ? Ou encore, peut-on affirmer que les zapatistes se préparaient à conquérir le pouvoir par les armes, alors que dès le 6 janvier 1994, ils appelaient de leurs voeux la constitution d'un large front de lutte démocratique, susceptible d'accueillir les mouvements et les méthodes les plus diverses? Au-delà des désaccords qu'il suscite ici et là, ce petit livre mérite d'être lu, car les questions qu'il pose incitent toujours à la réflexion.
J. E.
(1) La guerre des Ombres, Editions Dagorno, 77 p., 50 F.