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« Ya basta ! »

Par Jose Esteban

« Ya Basta ! » (1), recueil de lettres du sous-commandant Marcoset de communiqués de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), est récemment paru.

Ce que l'on découvre, ce ne sont ni plus ni moins que les véritables armes de l'EZLN, non pas celles - en acier trempé - qui lui ont permis de surgir par une froide nuit de la Saint-Sylvestre, mais celles qu'elle a empoignées depuis pour pilonner les fondations de l'autoritarisme mexicain : l'ironie corrosive, la guerre de position médiatique, la construction de liens avec les forces démocratiques du Mexique.

Ces 134 communiqués publiés, semaine après semaine, dans les principaux journaux d'opposition mexicains, de janvier à octobre 1994, offrent une formidable chronique d'une des années les plus intenses, les plus riches, les plus tragiques, de l'histoire moderne du Mexique. « Nous voici, morts de toujours, qui mourons à nouveau, mais pour vivre, cette fois-ci. » Le livre aurait pu démarrer avec cette phrase du 6 janvier 1994, où la mort devient l'alliée de l'espoir. Il s'achève, le 8 octobre 1994, avec une déclaration de principe qui contient le même apaisement résigné : « Il faut une certaine dose de tendresse pour deviner, dans cette obscurité, un filet de lumière, pour faire du devoir et de la vergogne un ordre. Il faut une certaine dose de tendresse pour virer de là tant de fils de pute qui se promènent par là. Mais parfois il ne suffit pas d'une certaine dose de tendresse il faut y ajouter... une certaine dose de plomb. »

Une année qui naît dans la violence d'une déclaration de guerre, proclamée par ceux à qui on n'a pas laissé d'autre issue, et qui se clôt avec la rupture du dialogue (le 8 octobre 1994) par l'EZLN, le retour à une mystique guerrière dans les communiqués de Marcos, de nouvelles hostilités. Entre ces deux extrémités, pourtant, et malgré les tensions constantes, les menaces réciproques, les actes de violences même, c'est un espoir fou qui a prévalu. Le Mexique s'était réveillé le premier janvier avec le spectre de la guerre civile planant au-dessus de sa tête.

La crainte d'assister au naufrage de la paix civile, à la généralisation de la violence, a poussé des centaines de milliers de mexicains à dépenser toutes leurs énergies pour promouvoir une solution pacifique au conflit chiapanèque et impulser une ouverture du système politique.

Ouverture politique

L'immense mérite de l'EZLN est, non seulement de s'être déclaré partie prenante de cet effort, mais encore d'en avoir été l'un des principaux acteurs.

Il a été capable de mettre au maximum à profit le cadeau empoisonné du cessez-le-feu, pour tisser avec force communiqués, le réseau de la résistance civile, s'adressant, relançant des journalistes, des travailleurs sociaux, des mouvements sociaux, des intellectuels. Ce qui devait culminer avec la Deuxième déclaration de la jungle Lacandone appelant les mouvements politiques et sociaux indépendants à converger vers la Convention nationale démocratique.

L'EZLN montrait à cette occasion une étonnante capacité à s'insérer dans le consensus qui prévalait depuis plusieurs années au Mexique au sein des mouvements populaires et de l'opposition et, plus encore, d'en devenir le champion : l'impératif démocratique. « Nous ne proposons pas un monde nouveau, tout juste une étape bien antérieure : l'antichambre du nouveau Mexique. En ce sens, cette révolution n'aboutira pas à une nouvelle classe, un nouveau fragment de classe ou un nouveau groupe au pouvoir, mais un espace libre et démocratique de lutte politique. »

Marcos a été, et continue d'être, un médiateur entre deux Mexiques, le Mexique profond et le Mexique des villes, entre l'Indien et le Métis. Au travers de ces écrits, c'est aussi une identité, longtemps bafouée, qui s'affirme. Il a fallu 500 ans de misère et de détresse, d'une infinie patience aussi, pour que ces cultures niées s'approprient à nouveau l'histoire du Mexique, et y inscrivent leur nom en lettres de courage et de dignité. Les « plus petits des Mexicains », « les morts de toujours » donnent au travers des mots de Marcos une leçon aux Mexicains et, au-delà, à toute personne qui prend la peine de les écouter.

Ecoutons : « Quelque chose s'est brisé cette année, et pas seulement la fausse image de la modernité que nous vendait le libéralisme (...), mais aussi le schéma rigide d'une gauche résignée à vivre du passé et dans le passé. Pendant ce long voyage de la douleur à l'espoir, la lutte politique se voit dépouillée de l'habit oxydé que lui avait légué la douleur, c'est l'espoir qui l'oblige à chercher de nouvelles façons de combattre, c'est-à-dire de nouvelles façon d'être politiciens, de faire de la politique. Une nouvelle politique, une nouvelle morale politique, une nouvelle éthique politique, c'est non seulement un désir mais c'est la seule possibilité d'avancer, de sauter de l'autre côté. »


1) Sous-commandant Marcos, « Ya basta ! Les insurgés racontent un an de révolte au Chiapas », Traduit de l'espagnol par Anatole Muchnik, texte annoté par Maurice Lemoine. Editions Dagorno, 1995.


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