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Divorce à la salvadorienne

Par Natacha Lillo

Fin 1994 1994, le Front Farabundo Marti de libération nationale tel qu'il existait depuis octobre 1980 n'est plus : l'Expression rénovatrice du peuple (ERP), dirigée par Joaquin Villalobos, et la majeure partie des militants de la Résistance nationale (RN), d'Eduardo Sancho, ont quitté ses rangs pour former avec le Mouvement national révolutionnaire (MNR) une nouvelle organisation de tendance social-démocrate, le Mouvement démocratique (MD).

Ainsi le divorce, que tout laissait prévoir depuis la rupture publique du 1er mai 1994, a été enfin consommé, la branche la plus réformiste du FMLN (1) le quittant pour voler de ses propres ailes et constituer, d'après les termes mêmes de Villalobos, une force « centriste » aspirant à regrouper des secteurs du Parti démocrate-chrétien et, y compris, des éléments « modernisateurs » de l'Alliance républicaine nationale (ARENA).

Les 17 et 18 décembre, les militants des partis restés au sein du Front se sont réunis pour débattre des perspectives et désigner un nouveau coordinateur général. En effet, Shafick Handal, par ailleurs secrétaire général du Parti communiste salvadorien (PCS), avait présenté sa démission dans le but, a-t-il déclaré, « de permettre un ample processus de rénovation de la direction ». Lors de cette convention, la place dominante des Forces populaires de libération (FPL) au sein de ce FMLN nouvelle manière est très clairement apparue : leur secrétaire général, Salvador Sanchez Ceren (plus connu sous son pseudonyme de commandant Leonel Gonzalez), a été élu coordinateur national et cette organisation dirige désormais les secrétariats en charge des élections, des finances et des communications, postes clés s'il en est. Gérant dix des douze municipalités du FMLN dans leur bastion du Chalatenango et disposant des effectifs militants de loin les plus imposants, les FPL sont le fer de lance de la marche vers l'unification des partis restant au sein du Front en un parti unique qui se veut nettement ancré à gauche. Cette fusion, qui risque de se faire davantage par le sommet qu'à travers des discussions à la base, est prévue à l'échéance d'un an. D'ici là, les dirigeants du Parti révolutionnaire des travailleurs centraméricains (PRTC), du PCS et de la Tendance démocratique (fraction de l'ERP opposée à son tournant social-démocrate et expulsée par Villalobos), ainsi que les quelques membres de la RN ayant décidé de rester au sein du FMLN, vont tenter d'imposer aux FPL une charte de fonctionnement interne la plus démocratique possible, leur permettant de rester groupés par affinités au sein du nouveau parti dans le cadre de « tendances non organiques ».

Après la lecture de différentes déclarations des dirigeants de ces partis (2), on peut tenter de dégager la future « ligne » commune des partis restés au sein du FMLN. Chez tous, on retrouve une appréciation en demi-teinte de l'application des accords de paix et beaucoup de défiance quant à la politique gouvernementale. Contrairement à l'ERP et à la RN qui y voient une véritable « révolution démocratique », ces partis mettent l'accent sur les « ratés » d'un processus qu'ils ne considèrent en aucun cas comme un aboutissement final des luttes mais plutôt comme une base de départ. Ils soulignent notamment les graves failles du processus de démilitarisation, la loi d'amnistie générale et les maigres réforme du système judiciaire, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les exactions. Ainsi, les FPL ont récemment souligné qu'entre janvier et septembre 1994, 1021 assassinats ont été signalés, dont 393 attribués à la délinquance de droit commun, les autres étant l'oeuvre d'inconnus et ayant eu lieu dans des circonstances mal éclaircies, rappelant à de nombreuses reprises les agissements des escadrons de la mort.

Par ailleurs, ces partis dénoncent le boycott délibéré du Forum de concertation économique et sociale par les représentants de l'entreprise privé, ce qui a conduit le volet économique et social des accords à rester lettre morte, hypothéquant à moyen terme les changements politiques opérés grâce à ses derniers : « La démocratie ne sert à rien si elle n'est pas accompagnée de justice sociale. » Ainsi F. Jovel craint que le secteur oligarchique traditionnel tente une « restauration conservatrice ou autoritaire », ce qui constituerait « la plus importante menace pour le processus de démocratisation ».

Quel programme ?

Tous manifestent la claire volonté de continuer à défendre les intérêts des « majorités défavorisées » à travers des mobilisations contre les plans néolibéraux du gouvernement d'Arena et réclament des réformes sociales en matière d'éducation, de santé et de droit au travail. Avec S. Sanchez Ceren, tous sont d'accord pour dire que « le plus vital des intérêts nationaux est un développement qui tienne en compte les revendications sociales et humaines des secteurs les plus pauvres de ce pays » et qu'il est nécessaire de mettre en place un « modèle économique et social alternatif qui complète le programme démocratique des accords de Chapultepec ».

Mais, en termes de propositions positives, le propos est assez flou, les tirades sur le « socialisme à visage démocratique » et le « développement à visage social » ne venant guère combler l'absence d'une réflexion économique et sociale approfondie.

Tout en rejetant très clairement l'économie de marché telle quelle existe actuellement (« après plusieurs siècles d'existence, le capitalisme n'a non seulement pas résolu mais aggravé les problèmes de l'humanité, surtout dans le tiers monde »), Shafick Handal, propose des mesures transitoires, au cas où la gauche révolutionnaire parviendrait au gouvernement : « L'entreprise privée, quelle que soit sa taille, sera respectée et l'économie de marché limitée par des régulations assurant l'équité sociale et le développement du secteur populaire de l'économie. Une réforme fiscale sera indispensable pour que règne la justice en ce domaine et afin de donner la priorité des dépenses publiques au développement social. L'ouverture au marché mondial doit être graduelle et différenciée, s'appuyant sur la croissance économique interne et l'enrichissement du marché national, si possible au sein d'un processus d'intégration centraméricaine, voire latino-américaine ; l'investissement étranger sera le bienvenu, dans la mesure où il crée de nombreux emplois, permet à une plus grande justice sociale et aide au renforcement du secteur populaire. » On retrouve des propositions du même type sous la plume d'autres dirigeants du FMLN, conscients que la voie vers le socialisme sera bien plus longue que prévu initialement.

Tout en réaffirmant le caractère « authentiquement national » de leur démarche, certains dirigeants du FMLN font référence au Forum de Saõ Paulo (espace de débat de la gauche latino-américaine), espérant pouvoir y « faire un exercice continu d'élaboration et de recherche d'une nouvelle pensée ».

Quant à la forme du nouveau parti, tous s'accordent pour dire qu'il devra être largement ouvert et démocratique (« basé sur la concertation et le débat ») pour qu'une majorité de citoyens s'y retrouvent et puissent l'utiliser à plein pour avancer leurs revendications.

Espérons que ces bonnes paroles ne resteront pas en l'air et que, d'ici quelques mois, les membres des différents partis du FMLN auront réussi à trouver un accord pour former un parti unifié à la fois démocratique, ouvert et capable de devenir une véritable force de proposition et de changement.


1) Volcans n° 12 a présenté les principales positions de l'ERP et de la RN.

2) Articles de Mauricio Chavez (FPL), Norma Guevara (PCS) et Francisco Jovel (PRTC) in Visiones alternativas sobre la transicion, ed. Sombrero Azul, San Salvador, 1993 ; interviews de Francisco Jovel, Salvador Sanchez Ceren (FPL), Francisco Veliz Castellanos (PRTC), Gerson Martinez (FPL) in Stefan Ueltzen, Conversatorio con los hijos del siglo, ed. III° Milenio, San Salvador, 1994 ; exposés de Francisco Jovel, Schafik Handal et S. Sanchez Ceren lors du colloque « Propuestas de la izquierda para una nueva nacion », réalisé le 13 juillet 1994 à San Salvador.


Encadré

Rien ne va plus ! (actualité salvaldorienne)


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