Image extraite d'un site consacré au meeting de l'Odéon. |
Si on peut comprendre que les sans-papiers aient profité d'une tribune qui leur était offerte, on peut douter que cette manifestation intempestive et mal contrôlée ait vraiment servi leur cause.
Le public invité ce soir-là à l'Odéon était a priori favorable à la cause de la solidarité avec les zapatistes du Chiapas, qui fait partie du combat universel contre les situations intolérables et en faveur des exclus. Le discours répétitif délivré durant plus de trois heures ne lui a rien appris qu'il ne savait déjà. L'absence totale de coordination a abouti à des prises de parole successives qui, loin d'enrichir le débat, ont engendré confusion, lassitude et agacement. Si message il devait y avoir - mais quel message ? -, il n'est pas passé. La parole a été monopolisée, sans que les intervenants aient su faire le lien entre leur lutte et celle des zapatistes. On peut pourtant penser qu'ils étaient venus pour cela.
Quelle était alors la stratégie et qui donc menait le spectacle ? Les sans-papiers savaient-ils même où ils mettaient les pieds ? Ils sont arrivés encadrés par quelques meneurs excités qui semblaient plus désireux de « casser la baraque » que de servir la cause des opprimés, en France ou au Mexique. Quelques fauteuils lacérés et, semble-t-il, d'autres dégâts en témoignent. Aux invités arrivés pour 20 heures « on » assurait que tout rentrerait dans l'ordre à l'heure prévue et que le débat sur le mouvement zapatiste aurait lieu. Mais ces bonnes paroles n'ont pas été suivies d'effet, et pour cause : durant près de deux heures, ce fut un grand chahut bien orchestré, mais sans chef d'orchestre visible. Organisateur de la soirée, le directeur de l'Odéon risque fort de faire les frais de l'aventure, ce qui serait profondément injuste, car il n'a pas peu contribué à ramener enfin le calme.
A 21 h 30, on était encore fort loin de la révoluion zapatiste. On était loin aussi d'un vrai débat politique que nos amis zapatistes ont pourtant essayé de lancer à maintes reprises, donnant une leçon de dignité et de maturité politique dont certains feraient bien de tirer profit.
Grâce aux auditeurs - frustrés - qui ont accompagné les sans-papiers jusqu'au métro, on a pu éviter l'intervention des CRS. Mais qu'étaient donc devenus ces meneurs ?
Maurice Barth
Le plomb : un affrontement lamentable entre tendances rivales de la solidarité avec les zapatistes. D'un côté, une assistance mondaine et élitiste. De l'autre, un groupe d'anarchistes qui ont montré tout leur art de la manipulation.
Quelle différence entre les militants du PRI qui amènent des camions entiers d'indigènes pour remplir leurs meetings, et des gens qui trimbalent une cargaison de sans-papiers dont la moitié ne savaient pas ce qu'ils faisaient là (un Chinois dira qu'ils pensait avoir été amené là pour parler à Mme Mitterrand ...), pour saboter un évènement mondain.
L'or : les zapatistes qui ont donné une leçon de zapatisme à tout le monde.
Dans la tournée des zapatistes en France, la soirée à l'Odéon apparaissait comme une soirée dont on pouvait se passer. Débat d'intellectuels, gauche caviar et velour rouge, tout cela semblait bien pompeux pour recevoir les émissaires des « sans visage ».
émissaires de l'Ezln. Gloria : « Vous nous recevez avec un habit bien trop grand pour nous ». Etaient prévus une exposition de photo, la projection de films et une lecture de textes de Marcos par des acteurs, le tout suivi d'un débat autour des émissaires zapatistes, avec Régis Debray, Antonio Garcia de Leon, Adolfo Gilly et Yvon Le Bot. Ce programme n'a cependant pas été suivi à la lettre.
Vers 19h, plusieurs centaines de personnes attendaient en vain devant les grilles fermées du théatre, qui affichait complet. Une partie d'entre elles furieuses qu'on ne laisse plus rentrer, alors qu'elles étaient sorties fumer une cigarette après les projections. Parmi elles, une cinquantaine de sans-papiers, et à peu près autant de militants anarchistes. Tout le monde force l'entrée des artistes, et fait irruption dans la salle.
Confusion. Extrême tension. Public molesté, sans-papiers démonstratifs : déclarations éparpillées. « Vous les zapatistes parlez, nous sommes venus vous écouter ». « Non, nous nous refusons à parler tant que vous ne vous serez pas parlé entre vous. »
Face au dialogue de sourds entre les sans-papiers et ceux qui réclamaient d'entendre les zapatistes, Javier Elorriaga s'indigne : « je ne vais pas parler dans un endroit d'exclusion. Là où il y a de l'exclusion, il ne peut y avoir de zapatisme. Vous n'êtes pas préparé à dialoguer si vous ne vous écoutez pas les uns les autres ». Après la cacophonie initiale, les voies ont progressivement convergé. Des pétitions en chinois, à la parabole racontée par Gloria, tout concourait à créer une atmosphère improbable, une rencontre au sens le plus profond du terme. Aux propos de Madiguène Cissé, représentante des familles de sans-papiers de Saint Bernard, insistant sur les traits communs entre leur lutte et celle des zapatistes, faisait écho le discours passionné de Gilly, parlant avec un accent sans-papiers : « Vous devez écouter les zapatistes. Ici comme au Chiapas, les mots les plus simples sont aujourd'hui révolutionnaires . »
Le résultat a été très fort. Rétrospectivement, pour de nombreux assistants la tournée des zapatistes n'aurait pas été la même sans cette mémorable soirée qui en aura été l'un des moments forts. Le public, tous les publics de cette soirée, où les rôles se sont inversés, ont pu voir le zapatisme à l'oeuvre.
Le velours rouge et les dorures du théatre avaient semblé, à certains militants en marge de la tournée zapatiste, un décor inapproprié pour mettre en scène les paroles, la sueur et les larmes de la révolte des « sans-visage ». Ils ont donc invité, avec des méthodes quelque peu douteuses, quelques dizaines de sans-papiers à participer à l'évènement.
Ironie de l'histoire, les organisateurs officiels et officieux de la soirée ont permis aux zapatistes de démontrer en actes pourquoi la voix des « sans-visage » a un tel impact dans la politique mexicaine, et pourquoi cette voix continue d'être entendue sur les cinq continents.
Xavier de la Vega