Volcans : Qu'est-ce qui vous a amenés, en tant que compagnie de théâtre, à vous intéresser aux textes de Marcos au point de vouloir les mettre en scène ?
Catherine Marnas : Mon objectif n'était pas seulement de soutenir la cause zapatiste. Ils sont assez grands, comme le dit Marcos lui-même, pour se défendre tous seuls.
Pour moi, il s'agissait d'appuyer sur la gâchette de l'espoir. On a trop longtemps cru que le monde était devenu trop compliqué, trop inaccessible à nos pauvres petites intelligences pour qu'on puisse prétendre agir, que plus rien n'était possible. C'est cela que les zapatistes nous aident à remettre en cause et qui me paraissait important. Cela peut nous aider à de réagir ici. Je trouve très forte cette façon qu'a Marcos de nous montrer que le néo-libéralisme, ce n'est rien du tout. Ce n'est qu'une gestion au jour le jour, sans ambition, sans projet d'ensemble.
Il y avait aussi la volonté de faire connaître les communiqués de l'EZLN. Contrairement à la presse mexicaine, la presse française n'en a jamais publié aucun. On ne connaît des zapatistes que le folklore du passe-montagne, de la mitraillette, etc.
Or, les textes de Marcos permettent de mettre la lutte des zapatistes en écho avec beaucoup d'autres choses, qui nous concernent nous, ici. Il a une façon non seulement très poétique, mais aussi très humaine et très simple de faire passer un message politique. Il n'y a pas que lui, bien sûr. Nous aurions pu utiliser Bourdieu, beaucoup d'autres..., l'intention étant de mettre ces textes en écho, afin de susciter des réactions ici.
A cela s'ajoutait le fait que j'entretenais un lien personnel fort avec le Mexique. J'y ai monté Roberto Succo, j'y ai donné deux mois de cours de théâtre.
Quel est le sens de la référence de votre titre à Don Quichotte ?
C. M. : C'est l'affirmation d'une dimension utopique et parce que Marcos lui-même, ainsi que le Che, en parlent. Le Che était parti avec Cervantes sous le bras.
Je ne suis pas d'accord pour dire que les zapatistes viennent de nulle part, que leur discours et leurs pratiques sont complètement nouvelles. Pour beaucoup, ce discours est une façon de se dédouaner. Mais il y a une filiation du zapatisme avec les expériences passées et avec le Che bien sûr. Quand on a demandé à Marcos cet été ce qu'il ferait si le Che revenait, il a répondu qu'il lui souhaiterait la bienvenue. Je ne vois pas pourquoi nous devrions avoir peur de cette référence.
Comment le spectacle a-t-il été reçu ? Avez-vous l'intention de le rejouer, de le retravailler ?
C. M. : Nous nous sommes aperçus que le spectacle répondait à une vraie demande. La plupart des gens restaient au débat que nous organisions après chaque représentation. Beaucoup nous ont écrit ou téléphoné. Ils nous suivaient dans la rue, au café d'à côté, pour continuer à discuter.
Nous avions envisagé un moment de faire un grand spectacle de huit heures, où les spectateurs pourraient entrer et sortir. Nous conservons cette idée de donner au spectacle la forme d'une sorte de feuilleton ou de roman-fleuve. Il y a des tas de dimensions que nous n'avons pas introduites, tels le côté biologique ou la dimension philosophique.
Nous avons juste levé quelques coins de voile, en mettant en correspondance différents réseaux ou niveaux de lecture, d'intelligence. Au départ, nous voulions mettre tout cela, comme le « Soyons réalistes, demandons l'impossible » ou la citation de Pasolini, en résonance avec des choses personnelles. Il n'en est resté que quelques traces. Nous voulions aussi évoquer l'installation de l'entreprise Moulinex au Mexique. Nous avons toujours le projet d'utiliser toute cette matière.
Mais je veux que cela se fasse dans un théâtre. A mon avis, l'institution s'est trop privée de ce genre de choses. Je fais le pari qu'il existe un public, qui peut retrouver un lien avec le théâtre à travers ce genre de spectacle. J'attends de voir comment réagissent les producteurs et les directeurs de salles. On s'est trop longtemps interdit de faire de la politique au théâtre ou on a été contraint à n'en parler que de façon indirecte. On accepte par exemple de parler de démocratie, mais à travers le théâtre grec ou du pouvoir, mais à travers Shakespeare. Le théâtre politique a disparu depuis la fin de l'« agit-prop » des années 70.
Comment avez-vous travaillé ? Qu'est-ce qui a présidé au choix des textes ?
C. M. : Il y a d'abord eu trois semaines d'appropriation collective du matériau, passées à lire Marcos, le Che, Chomsky et à visionner les films de Chris Marker (Le fond de l'air est rouge, etc.). J'aurais trouvé malhonnête d'embarquer les comédiens dans une aventure sans que chacun ait une connaissance personnelle et relativement intime de ce que nous allions utiliser. Ensuite, nous avons disposé d'une petite salle pendant une semaine, au cours de laquelle nous avons choisi les textes, et ébauché quelques éléments de mise en scène. Puis celle-ci s'est construite pendant les cinq jours de répétition à la Bastille.
Le discours zapatiste joue beaucoup sur les répétitions. Ils ont une cause forte à défendre et Marcos joue dans ses textes sur de multiples registres. On y trouve aussi bien des proclamations que des contes, des éléments de folklore, etc. La mise en scène s'est efforcée de jouer sur toutes ces facettes, sur cette multiplicité. Il s'agissait d'essayer de rendre les textes « de l'intérieur » en quelque sorte, en transposant au théâtre l'effet qu'ils produisent à la lecture. Il fallait donc, pour chaque texte choisi, trouver la forme qui rejoignait le mieux le fond, tout en respectant le texte, en restant au plus près de lui. Il n'y a pas eu de méthode unique. Cela dépendait vraiment des textes.
Par exemple, la scène de la mort de la petite Paticha (1) renvoie à la nécessité d'introduire dans le spectacle la facette de la tragédie vécue, mais sans que cela se fasse sur le mode de la compassion. Il ne fallait pas que ce soit le moment de la larme versée sur les malheurs des Indiens. La mort de Paticha n'est pas plus scandaleuse, après tout, que les 13 000 suicides annuels enregistrés en France. Mais il fallait qu'il y ait cette facette de la tragédie vécue là-bas. Cette scène, c'est comme une lame de couteau. C'est aussi la seule où Marcos, le Che et Don Quichotte sont tous les trois présents et l'image de l'homme qui se jette à l'eau la met en résonance avec d'autres malheurs. Le « Plus jamais ça ! » que l'on ressent les concerne tous.
Propos recueillis par Monica Rattazzi et Christian Tutin
(1) Il s'agit du texte dans lequel Marcos raconte la mort de la petite fille de l'un de ses compagnons d'armes, d'une banale fièvre, une nuit dans la forêt. Voir « Ya Basta ! », tome 1, Editions Dagorno, Paris, p. 211.