Volcans : Pourquoi Sud a-t-il décidé de participer à cette réunion ?
Isabelle Aloujes : Nous en avons discuté en secrétariat : c'est notre façon de vouloir être impliqués. En 1994, on a fait les premiers articles sur l'EZLN dans nos journaux internes. Maintenant, Sud va sûrement soutenir les campagnes d'aide pour l'achat de maïs ou pour des médicaments, afin de fournir un soutien concret, pas seulement idéologique.
En quoi un syndicat ouvrier peut-il se sentir proche d'une lutte indigène ?
I. A. : On sent que cette lutte est réellement portée par les Indiens, contrairement à ce qu'on pourrait penser en voyant Marcos, ses campagnes de presse, son utilisation d'Internet... Ces populations demandent un peu plus de confort, la propriété de leurs terres, l'école pour leurs enfants, des campagnes de santé, etc. Ce ne sont pas des revendications idéologiques, mais bien réelles. On est loin de la lutte syndicale, certes, mais nous aussi, nous demandons que tout le monde puisse participer aux richesses ; c'est même l'essence de notre action quotidienne. Un discours de Marcos parle des « poches d'oubli ». Or, en France, la politique en vigueur est celle qui crée les « sans » : sans-papiers, sans-logement, sans-emploi... Au Chiapas aussi, les Indiens se retrouvent sans terre, sans identité.
Tu as rapporté de bonnes idées ?
I. A. : Nous venons d'horizons politiques et de pratiques différentes, et pourtant, nous comprenions tous le discours de Marcos. Il parle d'un bouleversement dans la pensée politique, d'une réflexion où tout le monde puisse trouver sa place. Pour lui, le compromis est possible, et donc l'action commune. C'est en ce sens que se bat Sud, j'y retrouvais notre idée, et de façon bien concrète. Dans notre groupe de réflexion, nous avons eu des échanges intéressants, notamment sur les nouvelles formes de lutte, les nouvelles organisations politiques et sociales. Nous avons discuté avec les Mexicains, les Italiens, les Argentins ; nous, les Français, avons apporté l'expérience du mouvement de décembre. Les Mexicains étaient intéressés par l'histoire de Sud : ils savaient que nous étions nés du constat de l'absence de démocratie dans les confédérations traditionnelles. Eux-mêmes ont une réflexion sur le renouveau du syndicalisme vraiment intéressante. Ils organisent d'ailleurs, après le succès de la manif du 1er Mai 1996 (1) , une consultation nationale sur le travail et la liberté syndicale qui débouchera sur trois jours de colloque : l'Assemblée générale des travailleurs, du 20 au 22 octobre, réunissant tous les syndicats indépendants.
Quel contact existe-t-il entre les syndicats mexicains, la société civile urbaine, et la guérilla zapatiste indigène ?
I. A. : Les syndicats ont commencé par organiser des manifestations de soutien, avec peu de succès. Alors, pour les premières Aguascalientes, ils ont décidé d'aller installer l'électricité dans les pueblos. Les volontaires prenaient leurs congés pour cela. Les enseignants, eux, sont partis enseigner le castillan.
Quelle est ton impression générale sur cette réunion ?
I. A. : Voir tous ces Indiens, à notre arrivée, si heureux de nous accueillir : c'était très émouvant. L'organisation militaire, les barbelés ne m'ont pas choquée. Il y avait 3 000 participants, quarante-trois pays représentés : il fallait bien assurer la sécurité. Dans l'un des villages, très protégé, l'armée mexicaine était juste de l'autre côté de la rivière, même si elle était discrète, parce qu'ils savaient qu'il y avait des observateurs internationaux. On sentait, en discutant avec les Indiens, dans leur regard, qu'ils sont en lutte. Il y a des morts. L'armée, les escadrons continuent d'assassiner ; c'est une guerre latente. Si tu ne vois pas ça au Chiapas, je me demande ce que tu vas y faire ! Essayer de trouver un réseau commun, dans tous les pays, de collectiviser les combats, voilà la réussite de cette réunion, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle a eu lieu. Et puis j'ai été séduite par les méthodes de travail des militants de l'EZLN : à la fin des discussions, ils font une synthèse, mais une vraie, avec toutes les idées, et on arrive à un compromis. C'est pratique, le lendemain, on peut bien bosser, passer à autre chose. Nous, à Sud, on n'arrive pas forcément à faire des synthèses...
(1) Voir « Volcans » n° 22, été 1996.