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Nouvelle vague de privatisations

Par Sylvain Hervy

La « modernisation de l'Etat » promise par le gouvernement salvadorien se traduit dans les faits par le démantèlement des services publics. Suivant en cela la tendance imposée partout sur la planète.

La deuxième vague de privatisations annoncée se concrétise actuellement par le projet visant Antel, la compagnie salvadorienne de télécommunications. Après la privatisation du système bancaire et des entreprises de café sous le précédent gouvernement, c'est maintenant le tour des services publics de base, les télécommunications, l'eau et l'électricité, alors que ces dernières années, les gouvernements successifs ont toujours nié avoir envisagé la privatisation des services de base. Un projet de privatisation d'Antel, de la CEL (électricité), de l'Anda (eau) et du système de retraites vient d'être proposé par la Commission présidentielle chargée de la modernisation de l'Etat. Cette instance, créée en octobre 1995, devait surtout étudier des mesures destinées à lutter contre la corruption omniprésente. Le projet de privatisation montre bien la conception du gouvernement sur la réforme de l'Etat, qui se réduit à la disparition de services publics comme l'Institut de contrôle des produits de base sous le précédent gouvernement ou les nouvelles privatisations annoncées, et à la réduction du nombre de fonctionnaires, avec la loi adoptée à la fin de 1995, qui prévoit le licenciement de 15 000 employés de la fonction publique (voir Volcans n° 20).

La raison la plus souvent mise en avant pour justifier ces mesures est la lutte contre la corruption. En effet, le discours gouvernemental peut se résumer ainsi : « Les services publics sont corrompus, supprimons-les », « les entreprises publiques sont corrompues, privatisons-les. »

Privatisation exemplaire ?

Cependant, la privatisation des banques et des entreprises caféières a connu de très nombreuses irrégularités qui ont conduit à une concentration encore plus grande dans ces secteurs. C'est pour répondre à ces irrégularités que la Commission présidentielle veut que les privatisations à venir soient « exemplaires », avec des garanties des banques internationales. Cependant, elle propose que ce processus soit conduit par le pouvoir exécutif, sans contrôle parlementaire.

Cette proposition n'est pas de nature à assurer la transparence des attributions, connaissant les pratiques, la corruption et les liens familiaux des dirigeants salvadoriens. Pratiques qui ne tendent pas à disparaître et qui sont couvertes par les dirigeants d'Arena, comme l'illustre le décret voté le 16 mai, qui accorde l'immunité aux membres des conseils municipaux dans le cas où ils seraient impliqués dans des activités criminelles. Ce décret amende l'article 415 du code pénal en ne permettant plus qu'un maire ou un conseiller municipal puisse être inculpé ou jugé sans que la Cour suprême n'ait préalablement examiné le dossier. Cet amendement, activement soutenu par Mario Valiente, maire de San Salvador et par l'ensemble d'Arena, est la réponse à la mise en cause de plusieurs maires de ce parti dans des cas de corruption.

Même s'il n'existe pas de garanties que les privatisations ne soient pas entachées par la corruption, ce processus semble inéluctable. Comme dans beaucoup d'autres pays, c'est la privatisation des télécommunications qui avance le plus vite. Le gouvernement présente la privatisation d'Antel comme un cas exemplaire qui montrerait que la privatisation est la solution aux problèmes des entreprises publiques. Le rapport « Antel change », rédigé par la Commission présidentielle de modernisation de l'Etat, relève plusieurs déficiences, comme les 300 000 demandes de lignes téléphoniques qui ne sont pas satisfaites, certaines depuis plus de dix ans. D'autant plus qu'il manque deux millions de lignes téléphoniques pour atteindre le taux d'une économie développée (40 lignes téléphoniques pour 100 habitants). Antel n'a pas actuellement la capacité d'investissements pour remplir cette condition. Ce rapport indique qu'au Chili la privatisation des télécommunications a permis de créer des emplois dans ce secteur, d'augmenter les salaires et de réduire les tarifs. Et que donc au Salvador, la privatisation devrait produire des effets similaires.

Les arguments du gouvernement soulèvent de nombreuses questions, et les exemples de pays cités peuvent se retourner en arguments contraires. Le pouvoir base sa propagande sur l'irréversibilité de la globalisation dans le secteur des télécommunications. Ce qui l'amène à passer sous silence les effets à moyen et long terme, en particulier le fait que le succès de la privatisation n'est pas forcément bénéfique pour le développement du pays. D'autre part, la globalisation est largement fondée sur le développement des télécommunications qui permettent de simplifier les transactions depuis n'importe quel point du globe. C'est pourquoi les télécommunications sont un secteur très attractif pour les investisseurs internationaux, et où une concurrence féroce existe entre les grandes compagnies. C'est pour cela qu'il est très convoité au Salvador, comme en France et dans bien d'autres pays.

L'envers des privatisations

Cependant, dans un pays comme le Salvador, la globalisation n'est pas synonyme de développement économique. Les pays industrialisés encouragent la « liberté du commerce » par le biais d'organismes internationaux comme l'OMC, le FMI, etc, alors qu'ils mettent en place des mesures pour protéger leur marché intérieur. En raison de ces pratiques, les bénéfices du commerce mondial ne profitent pas aux pays moins développés. Dans ce contexte, il est quasiment impossible que le Salvador puisse obtenir des résultats comparables aux pays du Sud-Est asiatique, ce qui est l'ambition affichée du gouvernement.

Dans la plupart des cas, les privatisations ont conduit à une baisse importante du niveau de vie, particulièrement dans le domaine des services publics. La Commission présidentielle table sur des diminutions de tarifs. Or, au Chili et en Grande-Bretagne, la privatisation de l'électricité et de l'eau a entraîné des hausses allant jusqu'à 300 %. Il est important de remarquer qu'au Chili - présenté comme le cas le plus exemplaire - il a été établi qu'en dépit de l'amélioration des indicateurs macro-économiques (croissance, balance des paiements, déficit budgétaire, etc) qui a résulté des privatisations, il est impossible de dire que le bien-être de la population se soit amélioré. Plusieurs études ont montré que durant les années 70 et 80, la pauvreté a presque doublé pendant que le processus de privatisation se déroulait.

Au Salvador, le risque est grand d'une évolution analogue, en particulier pour l'eau et l'électricité. Quant aux télécommunications, même si les déficiences d'Antel étaient corrigées - pouvoir disposer de plus de lignes téléphoniques dans des délais très courts - cela ne signifierait pas pour autant de meilleures conditions de vie pour la grande majorité de la population qui, quelqu'en soit le prix, ne peut pas disposer d'un téléphone.

Pour l'instant, la seule opposition au plan de privatisation est menée par les syndicats des travailleurs des télécommunications (Asttel) et des travailleurs de l'électricité (Atcel). La manifestation du 1er mai, qui a réunit 20 000 personnes, l'une des plus importantes depuis la fin de la guerre civile, avait comme mot d'ordre l'arrêt des privatisations. L'ensemble des syndicats ont dénoncé la vente des entreprises publiques. Le 20 mai, Asttel et l'association des radios communautaires ont organisé une manifestation pour exiger l'attribution de fréquences aux radios par Antel et pour s'opposer à la privatisation qui risque d'entrainer des réductions d'effectifs dans l'entreprise.


Volcans, numéro 22

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