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L'audace de Balaguer

Par Patrick Carolin

Les Dominicains désignent leur prochain président lors d'un deuxième tour le 30 Juin. Le respect des résultats par le vieux caudillo Balaguer, de 89 ans, n'est pas encore acquis. Mais son alliance étonnante avec Juan Bosch devrait donner la victoire à leur candidat commun.

Joaquin Balaguer, marionnette du dictateur Trujillo pendant des décennies, devenu Président en 1966, n'a été écarté du pouvoir que pendant un intermède de 8 ans, de 1978 à 1986. Lors des élections de 1978 comme lors de celles de 1982, il avait dû, sous la pression des Etats-Unis qui craignaient une révolte populaire, céder la place au Parti révolutionnaire dominicain (PRD, social-démocrate). En 1994, suite à une fraude massive qui a provoqué une réaction populaire et l'irritation des Etats-Unis, il a dû consentir à une réforme de la constitution rapprochant les élections suivantes au 16 mai 1996 et interdisant sa réelection. Les résultats du premier tour de cette élection ont donné une belle avance (46 % des voix) à Peña Gomez (PRD) sur son concurrent Leonel Fernandez (39 %) du Parti de la libération dominicaine (PLD). Jacinto Peynado, candidat du parti de Balaguer, le Parti réformiste social-chrétien (PRSC), n'a recueilli que 15 % des voix. Le PLD, qui se réclama longtemps du marxisme, a été fondé par Juan Bosch, l'ancien président renversé par un coup d'Etat en 1963.

Balaguer, pour la première fois, s'est abstenu de mettre toute l'artillerie de l'Etat au service de son parti. Il n'a même pas fait campagne pour le candidat de son parti. Pour deux raisons qui ne sont pas contradictoires. Premièrement, le vieux patriarche sait que son parti lui doit tout et il n'entend pas laisser d'héritage, convaincu de la médiocrité et de la veulerie des dirigeants du PRSC. Il est vrai qu'il avait fait de ces « qualités » une méthode de pouvoir. Deuxièmement, il a encouragé, avec la majorité des cercles dirigeants de son parti, la candidature de Leonel Fernandez afin d'empêcher la victoire de Peña Gomez au premier tour.

Basses manoeuvres électorales

Après le premier tour, on pouvait faire deux hypothèses. Première hypothèse : Jacinto Peynado, vice-président en fonction du pays, handicapé par le bilan désastreux du pouvoir en place, ne pouvait pas gagner face à Peña Gomez. Or le PRD de Peña Gomez, fondé dans l'exil contre le dictateur Trujillo, est l'ennemi historique. Peña est noir, d'origine modeste et serait, bien qu'il le nie farouchement, d'ascendance haïtienne. C'est pourquoi, en dépit d'un programme économique qui ne le distingue guère de ses adversaires, il est considéré comme le porte drapeau de la dignité des classes populaires. Balaguer, comme l'ensemble de la classe dirigeante et une bonne partie de la population, ne peut imaginer qu'accède à la présidence un descendant, non plus des blancs espagnols, mais des anciens esclaves noirs. Dans ces conditions, Leonel Fernandez, « mulâtre clair », est le jouet d'une opération raciste. Il s'y prête à merveille, son nationalisme de pacotille relayant la démagogie anti-haïtienne permanente des classes dirigeantes. De plus, Fernandez ne dispose pas de majorité parlementaire et dépendrait du parti de Balaguer pour gouverner.

Seconde hypothèse : Balaguer, en appuyant en sous-main Fernandez, tente de provoquer une lutte sans merci entre les deux partis d'opposition d'ici au 30 juin. Ainsi les classes populaires se diviseraient sur des critères racistes, débouchant sur des affrontements majeurs lui donnant le prétexte d'annuler les élections.

Coup de théâtre le 2 juin. Les deux octogénaires de la politique dominicaine, qui s'étaient opposés pendant 35 ans, Joachin Balaguer et Juan Bosch signent le pacte constitutif d'un Front patriotique national. « C'est la première fois dans l'histoire de notre pays, déclara Balaguer, qu'un pacte est signé avec des finalités exclusivement d'ordre patriotique ». Parallèlement court à nouveau la rumeur selon laquelle les puissances étrangères veulent imposer la fusion d'Haïti et de la République dominicaine sous la présidence de Peña Gomez.

Balaguer semble prêt à tout pour empêcher la victoire de Peña Gomez. Avant le premier tour, des centaines d'Haïtiens avaient été expulsés. Par la suite, de nombreux partisans de Peña Gomez ont été arrêtés sous de faux prétextes. Des journalistes ont été menacés, arrêtés ou licenciés. Au début du mois de mai, Balaguer a nommé à la tête de la police un militaire à la retraite, qui avait dirigé la répression des années 70. Il lui a retiré cette charge après la signature du pacte avec Juan Bosch. Mais la menace reste claire.


Volcans, numéro 22

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