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Commerce sur fond de bruit de bottes

Par Fernando Matamoros Ponce et Natacha Lillo

Pour l'instant, la crise ouverte en 1994 par l'apparition de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), si elle a permis le réveil de la société civile pour contrer le projet néolibéral, a aussi servi de prétexte à un renforcement des mesures arbitraires (arrestations de militants et assassinats politiques) et laisse craindre une militarisation de type Cône Sud, le tout avec la bénédiction des Etats-Unis.

La guerre et paix (Jorge Claro Léon)

Pendant plus de 65 ans, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a réussi à se maintenir au pouvoir grâce au clientélisme, à la corruption et à la fraude certes, mais aussi à l'aide des conseils avisés de la CIA et du Pentagone. La présence des services secrets nord-américains au Mexique n'est pas nouvelle. Dans les années 60, la CIA disposait déjà d'un bureau à Mexico, en liaison directe avec la Maison blanche comme l'a révélé le journaliste Pascal Beltran del Rio. Winston Scott, agent de la CIA au Mexique a entretenu des relations très étroites avec trois présidents mexicains, Ruiz Cortines, Lopez Mateos et Diaz Ordaz (1), à une époque de sanglante répression des mouvements sociaux enseignants, cheminots et étudiants, à laquelle l'armée fut associée à plusieurs reprises. Winston Scott travaillait en étroite collaboration avec le gouvernement mexicain, lui fournissant un appui opérationnel dans tous les domaines (2).

L'intervention des Etats-Unis au Mexique s'est prolongée par la suite dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue à travers la présence au Mexique de nombreux conseillers de la DEA (Agence contre la drogue). La trouble lutte d'influence entre les services secrets américains a d'ailleurs donné lieu en 1985 à Guadalajara à l'assassinat d'un membre de la DEA, Enrique Camarena, par des agents payés par la CIA, selon les révélations de Celestino Castillo, agent de la DEA de 1972 à 1992, qui a par ailleurs dénoncé l'implication de la CIA dans le trafic d'armes et de drogue destiné à financer la Contra sous la présidence Reagan (3).

De nombreux militaires latino-américains ont été formés aux méthodes anti-insurrectionnelles par le Pentagone dans la trop tristement célèbre Ecole des Amériques du Panama. Des documents du Pentagone (4) tombés dans le domaine public permettent d'avoir une idée des méthodes enseignées : recrutement d'informateurs par l'intimidation, financement d'assassinats d'opposants, enlèvements, tortures et exécutions sommaires, entre autres flagrantes violations des droits de l'homme. Selon ces sources, environ 60 000 militaires latino-américains (dont plusieurs milliers de Mexicains) seraient passés par l'Ecole depuis sa création en 1964.

Destin manifeste... le retour

Selon Jack Cope, colonel à la retraite et professeur à l'université de Défense du Pentagone, un des principaux axes stratégiques des Etats-Unis dans le cadre de l'Alena est désormais de convaincre les Mexicains que leur voisin du Nord n'est plus un adversaire interventionniste mais un allié de confiance, partageant des intérêts communs tant en matière économique qu'en termes de défense (5).

En octobre 1995, William Perry, ministre de la Défense des Etats-Unis en visite au Mexique, a déclaré devant 10 000 soldats mexicains : « Quand il s'agit de stabilité et de sécurité, nos destins sont indissolublement liés. » Il a ensuite affirmé que les relations militaires entre les deux pays constituaient un pilier fondamental de la coopération entre les deux pays, au même titre que les relations économiques. Il a même déclaré que le gouvernement nord-américain avait envisagé à plusieurs reprises la possibilité de réaliser des manoeuvres militaires conjointes, franchissant ainsi une étape supplémentaire. Aussitôt après, le ministre des Affaires étrangères mexicain a démenti, précisant que la coopération militaire entre les deux pays n'envisageait en aucun cas des manoeuvres conjointes mais concernait exclusivement la modernisation du matériel militaire, la coopération en cas de catastrophe naturelle et en matière de lutte contre le trafic de drogue. Durant l'administration Bush, entre 1988 et 1992, le Pentagone a fourni gracieusement au Mexique pour 212 millions de dollars d'hélicoptères et de matériel militaire divers, officiellement dans le cadre de la lutte contre le trafic de cocaïne.

Le gouvernement Clinton a, quant à lui, alloué au Mexique une dotation militaire comprenant 73 hélicoptères Huey, 4 avions de reconnaissance C-26, 500 gilets pare-balles, des équipements permettant la vision de nuit, des radars, des pièces détachées pour les 33 hélicoptères donnés durant les sept dernières années et du matériel plus léger (fusils mitrailleurs, grenades, lance-flammes, masques à gaz, munitions, etc.). En novembre 1996, les 20 premiers hélicoptères Huey ont été livrés, les 53 restants devant l'être en 1997. Or, les représentants du Congrès des Etats-Unis et le Département d'Etat disposent d'un rapport prouvant que ce matériel militaire n'est pas utilisé à des fins de lutte contre les narcotrafiquants mais dans le Chiapas (6).

En effet, en juin 1996, la commission de vérification du GAO (Congrès, le General Accounting Office), a révélé que ce matériel avait été utilisé dans la lutte contre la guérilla zapatistes. Aux dires mêmes de ce rapport, « lors du soulèvement de 1994 dans l'Etat mexicain du Chiapas, plusieurs hélicoptères fournis par l'armée américaine ont été utilisés pour transporter des militaires mexicains vers le théâtre des opérations, et ce en violation des accords sur l'attribution de ses appareils ». Le GAO accuse le gouvernement des Etats-Unis d'avoir sciemment laissé faire, en n'exerçant pas le contrôle prévu en matière d'utilisation des hélicoptères. Alors qu'en vertu des accords de coopération contre le narcotrafic, l'état-major mexicain devrait fournir un bilan bi-hebdomadaire de sortie des appareils, des membres de l'ambassade des Etats-Unis à Mexico ont appris au GAO qu'entre novembre 1995 et juin 1996 un seul et unique rapport de mission avait été fourni.

Selon des informations publiées par La Jornada en mai 1996, le Département d'Etat aurait officieusement assuré au président Zedillo que les armes fournies dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic pouvaient être utilisées à d'autres fins, l'informant que les conseillers militaires de l'US-Air Force ne vérifieraient la localisation et l'état des hélicoptères qu'une fois par an, après avoir prévenu à l'avance des dates de ces inspections.

Sinistres scénarios

L'interdépendance croissante des économies mexicaine et nord-américaine (voir l'article de X. de la Vega, p. 16) transforme toute menace contre l'hégémonie des élites néolibérales dirigeant le Mexique en attaque directe contre les intérêts des Etats-Unis. Ainsi Donald E. Schultz, professeur de Sécurité nationale au War College de l'US-Army, ne prend pas de gants quand il affirme : « L'arrivée au pouvoir d'un gouvernement hostile pourrait mettre les investissements des Etats-Unis en danger, couper l'accès au pétrole et produire un afflux de réfugiés politiques et de migrants économiques vers le nord. Dans de telles circonstances, les Etats-Unis seraient obligés de militariser leur frontière sud. »


(Jorge Ortiz Leroux)
Afin de parer à toute éventualité de ce type, l'un des plus importants bureaux à l'étranger du FBI est installé à Mexico : il participe activement à l'entraînement de la police et des services secrets locaux et cherche à identifier toutes les menaces pesant sur la stabilité interne du Mexique.

En outre, il est évident que le Pentagone envisage d'avoir à intervenir au Mexique dans un avenir relativement proche et que ses spécialistes ont d'ores et déjà dessiné différents scénarios. Ainsi, la loi sur la liberté de l'information a récemment permis de prendre connaissance d'un document de travail du Pentagone élaboré à la fin 1994 lors de l'effondrement de la monnaie mexicaine. En voici un extrait significatif : « Il est concevable qu'un déploiement de troupes des Etats-Unis au Mexique soit favorablement accueilli par le gouvernement mexicain afin de faire face à une menace de renversement à la suite d'un chaos économique et social généralisé. »

Ce document du Pentagone n'est pas sans rappeler La Prochaine Guerre, récent ouvrage de politique-fiction de son ancien chef, Caspar Weinberger, qui présente un scénario d'invasion du Mexique en 2003 ­ « Si un gouvernement radical prend le pouvoir, Washington est prêt à envahir le pays et même à bombarder la capitale. » ­ le tout sous couvert de lutte contre le trafic de drogue.

Certains extrémistes du Parti républicain envisagent même publiquement une annexion pure et simple du Mexique : dans le Chicago Tribune, Royko, prix Pulitzer de journalisme, a demandé aux Etats-Unis d'envahir le Mexique, « pays inutile », qui n'a rien apporté à la planète depuis le début du siècle, hormis la tequila. Selon lui, il faudrait donc le conquérir et en faire une colonie, « avant que toute sa population ne se faufile à travers notre frontière ».

A la suite des actions de l'EPR (Armée populaire révolutionnaire) la répression et la militarisation se sont renforcée. James Jones, ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, a déclaré lors d'une conférence à Cancun le 9 septembre que son pays désirait intensifier son aide à l'armée et aux services secrets mexicains afin d'aider le gouvernement Zedillo à combattre les rebelles.

Pour l'instant le bruit des bottes n'a pas encore recouvert celui des caisses enregistreuses comptabilisant les profits engrangés par les élites mexicaines depuis l'instauration de l'Alena, mais face à la montée en puissance des revendications populaires, la militarisation de la société mexicaine devient de plus en plus inquiétante.


(1) Diaz Ordaz, président en 1968, lors du massacre de la place des Trois-Cultures à Mexico.

(2) « Inside the compagny : CIA Diary ».

(3) « Excelsior », 24 septembre 1996.

(4) « La Jornada », 21 juillet 1996.

(5) « El Financiero », 24 octobre 1995. Carlos Fazio, Tercer Vinculo, Planeta, 1996.


Volcans, numéro 25

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