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Troubles alliances

Propos d'Henry Ruiz


L 'hebdomadaire nicaraguayen « El Semanario » a publié le 26 juin cette interview très critique d'Henry Ruiz, guérillero de la première heure, ancien ministre du gouvernement sandiniste et ancien membre de la direction nationale du FSLN qui, lors du congrès de mai 1994, s'était présenté au poste de secrétaire général face à Daniel Ortega.

El Semanario : Qu'avez-vous fait depuis le congrès de mai 1994 ?

Henry Ruiz : J'ai consacré une partie de mon temps à chercher la possibilité d'un arrangement entre les deux parties qui s'affrontaient au sein du FSLN. Cette démarche délicate qui imposait un travail silencieux n'a pas abouti. Cependant, je suis satisfait qu'elle ait permis la séparation de deux courants défendant des projets politiques différents, sans traumatisme majeur. Le départ du courant minoritaire s'est déroulé sans violence autre que verbale, ce qui constitue à mes yeux un grand progrès. Par ailleurs, j'ai étudié avec des amis spécialistes les réponses à apporter aux grands problèmes économiques ; nous avons déjà rendu publique une proposition.

Comment jugez-vous la situation politique nicaraguayenne et en particulier la place du FSLN ?

H. R. : Le FSLN est totalement incohérent, sans idées politiques ni principes clairement établis. D'un côté, il proclame qu'il est nécessaire de s'emparer du problème de la propriété de la terre, de l'autre, l'un de ses dirigeants déclare que les lois ne sont pas importantes.

On ne peut pas aller à Paris faire des déclarations contraires à ce que l'on prêche ici. Dans des communiqués et dans sa presse, le FSLN proclame que la politique économique du gouvernement va à l'encontre des intérêts du peuple. Or, dans le même temps, au lieu de faire des propositions, il accompagne le gouvernement à Paris, où il n'est pas sûr de trouver de l'argent mais bien d'endetter le pays, au moins jusqu'au début du siècle prochain.

Incohérence, contradictions ?

H. R. : Un proverbe russe dit : « Ce que la plume construit, même la hache ne peut le détruire. » La signature du FSLN à Paris sera difficile à gommer. Ici les sandinistes organisent des grèves et l'occupation de l'Assemblée nationale afin de dénoncer la politique économique et, dans la même semaine, ils vont endetter le pays à Paris main dans la main avec le gouvernement. La seule chose claire dans tout cela, c'est que le FSLN est devenu le principal allié du gouvernement d'Antonio Lacayo et de son gouvernement néolibéral.

S'agit-il d'une réelle alliance entre le FSLN et le gouvernement ?

H. R. : Bien sûr. Pour moi, c'est évident. Le Front n'est pas un allié quelconque, c'est le principal allié de Lacayo et de son projet antipopulaire. Depuis le début, le FSLN affirme que les réformes de la Constitution sont correctes. Il s'est contenté de contester des points qui ne remettaient rien en question. Il existe un double langage entre le discours et la pratique. Il est impossible d'occulter le fait que le FSLN a été le seul parti à rester aux côtés du gouvernement pour défendre les non-réformes.

Pourquoi le FSLN mène-t-il cette double politique ?

H. R. : Tout d'abord à cause d'un manque d'idées politiques. Viennent ensuite les disputes pour le leadership qui découlent du vide laissé par l'échec du congrès de 1994. Ces affrontements internes favorisent les incohérences. L'autre problème c'est l'incapacité du FSLN à proposer un projet économique alternatif.

Le dernier aspect, à mon avis le plus déterminant, est la création d'un nouveau capital, où les intérêts économiques ont davantage pesé que les principes fondateurs du FSLN. Ces nouveaux intérêts à défendre déterminent l'action du parti. C'est très grave, puisque cela revient à manipuler la base du Front.

Cette politique ambigue et d'alliance avec le gouvernement se base-t-elle sur la crainte d'une éventuelle victoire électorale d'Arnoldo Aleman ?

H. R. : Cette crainte n'est pas fondée. Je suis convaincu que le futur gouvernement, quel qu'il soit, ne pourra pas exproprier les paysans, ni les anciens membres de la Contra ou de l'Armée populaire sandiniste (EPS). Certains membres du FSLN craignent de perdre des biens qu'ils ont acquis indûment, ce qui n'a plus rien à voir avec les principes historiques du sandinisme qui s'est toujours battu pour revendiquer la justice sociale.

Aleman considère injustes certaines appropriations de membres du FSLN, mais également de membres du gouvernement actuel ; comme les craintes sont les mêmes, les réponses risquent d'être identiques... Il ne faut pas craindre Aleman parce qu'il promet de juger ceux qui ont abusé. Le sandinisme ne peut pas continuer à gaspiller ses forces vives pour défendre les intérêts économiques de quelques-uns. On a voulu diaboliser Aleman dans le seul but de justifier l'alliance avec le projet néolibéral, mais c'est une erreur. Il faut affronter Aleman d'une autre manière et, si des alliances sont prévues avec Lacayo, il faut les passer clairement et sans justifications de cette sorte.

Etes-vous encore membre du FSLN ?

H. R. : Je suis toujours au FSLN, uniquement parce que je n'ai pas renoncé.

Quel avenir électoral envisagez-vous pour le FSLN ?

H. R. : Le problème est qu'on parle d'une alliance avec un groupe politique précis et non avec des secteurs comme l'Union nationale des agriculteurs et éleveurs (UNAG), l'Association des travailleurs des champs (ATC) ou la Centrale sandiniste des travailleurs (CST), politique qui place les intérêts du parti au-dessus des intérêts de ces forces.

Pensez-vous que le choix des candidats pour les élections de 1996 peut entraîner de nouvelles ruptures au sein du FSLN ?

H. R. : Des divergences existent et c'est normal. Il y a ceux qui veulent définir les candidatures avant le projet, et ceux qui veulent commencer par établir un projet, ce qui me semble plus correct. Je ne discute en aucun cas le leadership de Daniel Ortega au sein du FSLN, c'est impossible. La candidature qui s'opposait à Daniel lors du dernier congrès avait pour but de lui faire assumer un rôle différent, mais cela n'a pas fonctionné. Son image est soumise à une usure qui fait peine à voir, ce qui est mauvais pour la gauche et pour le sandinisme. Cependant, il a lui aussi sa part de responsabilité dans cette politique ambigue et dans l'usure accélérée de sa personnalité.

D'après vous, quelles sont les perspectives du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) de Sergio Ramirez ?

H. R. : Je pense qu'ils ont bien commencé. Il y a une grande cohérence entre leur discours et leur pratique. Il faut cependant les considérer pour ce qu'ils sont : un projet nouveau auquel il reste beaucoup de chemin à parcourir. Ils doivent progresser en suivant leurs idées et ne pas définir leurs discours et leur action uniquement par opposition avec le FSLN, ce qui serait une grave erreur. Ils doivent éviter de se limiter à renforcer le poids de leur direction sans jamais chercher à grandir à la base. Leurs statuts sont bons car ils obligent à des changements constants des instances de direction.

Je pense qu'ils ont des perspectives à moyen terme. D'ici six ans, ils devront avoir suffisamment avancé pour représenter une alternative crédible en termes électoraux.

Comment appréciez-vous la situation économique ? Quel écho a rencontré votre proposition pour une sortie de la crise ?

H. R. : La finalité de l'économie est de faire fonctionner correctement la société. Avec 60 % de chômage, il est clair que ce but n'est pas atteint. La croissance énomique doit s'accompagner de politiques d'emploi pour résoudre le problème de la désintégration sociale, ce qui est impossible quand 40 % des gens doivent subvenir aux besoins de 60 %. Cette situation est responsable de la délinquance, mais aussi des aspirations à plus de justice dans la population.

Nos propositions se basent sur la création d'emplois, en donnant un rôle à l'Etat. Si nous récusons l'Etat tout puissant et bureaucratique, il en faut un qui réponde aux aspirations de la société. La proposition néolibérale, elle, se place uniquement au niveau des résultats macro-économiques. Or, quand ce type de projet échoue, les retours de bâton sont catastrophiques. Nous subissons aujourd'hui les effets néfastes de ce type de plans : criminalité, désordres et perte de confiance dans le système.

Quand reprendrez-vous une part active à la politique ?

H. R. : Je me suis fixé deux conditions. Tout d'abord que les réformes internes au sandinisme aient été digérées. Ensuite, que la question de la propriété soit réglée de la manière la plus transparente possible. Une loi doit légaliser les propriétés pour que les bénéficiaires de l'armée, de police, les démobilisés et les paysans puissent enfin travailler en paix. Rien ne doit être caché. Il faut également clarifier ce qu'ont rapporté les privatisations au gouvernement. Le devoir des sandinistes est de soutenir l'exigence de transparence dans tous ces domaines.

Créerez-vous un nouveau groupe sandiniste ou choisirez-vous entre les deux existants ?

H. R. : Je n'ai jamais envisagé de créer une troisième force. Je continuerai donc à militer et je reviendrai à l'activité politique.


Traduction : D. Garcia


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