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Reprise de l'agitation sociale

Par Natacha Lillo

En juillet et août, le Salvador a connu une série de luttes syndicales et sociales liées soit au rejet de la politique économique gouvernementale, soit au non-respect des accords de paix. Situation explosive, qui n'est pas sans rappeler, à certains égards, celle qui prévalait à l'orée des années quatre-vingt.

La situation économique du Salvador est exemplaire des politiques néo-libérales : alors que la majeure partie de la population connaît une dégradation du niveau de vie, un chômage endémique et une précarisation accrue, les hiérarques des organismes financiers internationaux couvrent de louanges la gestion « rigoureuse » du gouvernement ARENA, qui a permis le passage du taux de croissance de 4 % à 7,5 % entre 1990-91 et 1992-93, la réduction de moitié du déficit budgétaire, la baisse de l'inflation, passée de 20,5 % en 1992 à 8,9 % en 1994 et la hausse de 4 % des recettes fiscales, dont la TVA ­ 12 % du produit national brut actuellement contre 8 % en 1992.

« Ces performances économiques impressionnantes doivent servir de modèle à toute l'Amérique centrale », a déclaré le directeur de la Banque interaméricaine de développement (BID) pour la région. En conséquence, début juillet, le groupe de consultation de la Banque mondiale et la BID ont décidé d'octroyer au Salvador 75 millions de dollars pour 1995-1996, un tiers sous forme de dons et les deux autres tiers sous forme de prêt, et ce dans le but de consolider les accords de paix et les projets de reconstruction.

Bon élève du FMI

En élève obéissant, le président Calderon Sol vise à ouvrir totalement l'économie salvadorienne au marché international en mettant en oeuvre la privatisation de l'ensemble du secteur public, y compris l'éducation et la santé, la suppression totale des taxes à l'importation, ce qui frappera de plein fouet l'industrie locale et, surtout, la petite agriculture avec l'introduction du maïs nord-américain bon marché, l'alignement du colon sur le dollar, la multiplication des maquiladoras.

Le but à moyen terme semble être de vouloir détruire les bases agricoles et industrielles traditionnelles afin d'obliger un maximum de Salvadoriens à s'engager dans les maquilas. A tout cela, s'ajoute une augmentation de l'impôt sur la valeur ajoutée (IVA).

Ce plan suscite de nombreuses résistances dans la population et notamment chez les salariés des secteurs visés par les privatisations. Début juillet, les travailleurs des télécommunications (ANTEL) ont effectué plusieurs journées de grève et occupé divers locaux administratifs pour protester contre une vague de licenciements directement liée au processus de privatisation et contre la récente ouverture du marché des communications internationales à des firmes multinationales.

A la même période, des salariés du ministère des Travaux publics (MOP) ont organisé une grève et manifesté contre le démantèlement progressif de leur ministère. Parallèment, le personnel de l'hôpital Rosales de San Salvador, un des trois hôpitaux généraux publics du pays, observait également une grève visant à obtenir la réintégration d'un dirigeant syndical licencié et à s'opposer à la privatisation.

La plupart de ces mouvements ont donné lieu à de rudes affrontements avec la Police nationale civile (PNC). Contrairement aux attentes qu'il avait pu susciter, ce nouveau corps né des accords de Chapultepec, se révèle tout aussi violent que ses sinistres prédécesseurs en matière de répression du mouvement ouvrier. Il faut noter que sa direction est presque entièrement aux mains d'anciens cadres de la Police nationale, de triste mémoire.

Le 12 juillet, une véritable bataille rangée, pierres contre lacrymogènes, a opposé les brigades anti-émeutes à des employés du MOP, qui bloquaient la circulation dans le centre de la capitale. Puis, le 17 juillet, une brigade de policiers anti-émeutes a très brutalement attaqué avec des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc un piquet de grève pacifique organisé par le Syndicat des travailleurs de l'eau (SETA), employés d'ANDA, la compagnie nationale de distribution d'eau, cette action se soldant par huit blessés chez les grévistes et quatre arrestations. A l'instar de leurs collègues des autres branches du service public, ils faisaient grève pour dénoncer des licenciements massifs, précurseurs de la prochaine privatisation.

En outre, depuis la mi-juin, l'agitation dans les maquiladoras a repris, surtout à la Mandarin International, où 300 travailleurs ont été licenciés : ils avaient eu l'outrecuidance de se syndiquer... Le secrétaire général du syndicat a lui-même été kidnappé, battu et sa vie et celle de sa famille ont été menacées...

Cette montée des luttes indispose visiblement l'équipe gouvernementale et le président qui, craignant d'effrayer les investisseurs internationaux, seraient selon la revue Proceso, à l'origine des consignes extrêmement strictes données aux corps anti-émeutes de la PNC.

Les accords, toujours

Par ailleurs, le non-respect des accords de paix suscite toujours moult tensions, encore exacerbées, depuis le 1er avril, le gros des forces des Nations unies chargées d'observer le processus de paix a quitté le pays, remplacé par la très réduite Mission des Nations unies au Salvador (MINUSAL). Les principaux points d'achoppement sont toujours le programme de transfert des terres (PTT), l'attribution des crédits et les programmes de réinsertions des démobilisés. Le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) a déclaré que le 31 mai, 1 182 propriétés (l'équivalent de 71 500 manzanas) avaient été transférées à 17 780 de ses sympathisants et anciens combattants ; en revanche, 11 480 autres (40 %) attendent toujours... Quant aux anciens soldats des forces gouvernementales, ils sont plus mal lotis encore puisque, si 4 400 d'entre eux ont reçu des terres, plus de 6 000 n'en ont pas bénéficié. Une fois de plus, les lenteurs de la Banque des terres ont obligé le report de la date limite du PTT, cette fois du 1er août au 31 octobre, date prévue pour le départ de la MINUSAL.

Selon le FMLN, à peine 6 000 des quelque 18 000 nouveaux propriétiares ont, pour l'instant, eu accès à des crédits bancaires à cause des délais administratifs, ce qui hypothèque leur capacité de production pour l'année à venir.

Quelle opposition ?

Tout cela a entraîné une nouvelle flambée de mobilisations fin juillet : le 27, des démobilisés du FMLN et de l'armée qui manifestaient pour le respect des promesses de transferts de terre et de formation professionnelle ont été très violemment attaqués par des membres de la PNC, l'affrontement qui a suivi se soldant par la mort d'un manifestant A la suite de cette action, des démobilisés ont occupé la mairie d'Usulutan, prenant en otage le maire et une soixantaine d'employés ; pour les en déloger, le gouvernement a non seulement envoyé la PNC mais également des militaires de la sixième brigade d'infanterie, ce qui laisse présager d'un durcissemment et rappelle de bien funestes précédents que, théoriquement, les accords de paix de 1992 auraient dû reléguer dans le souvenir...

Dans ce climat de violences patronales et policières, d'attaques gouvernementales et de flambée de la délinquance (184 meurtres recensés durant la semaine de vacances d'août), la scission du FMLN à l'hiver 1994 a sérieusement entamé les possibilités d'action de l'opposition. Et ce, d'autant plus que la formation fondée fin mars par les dirigeants des anciennes Expression rénovatrice du peuple (ERP) et Résistance nationale (RN), le Parti démocratique (PD), s'est, sans vergogne aucune, rangée aux côtés du gouvernement néolibéral d'ARENA.

Le 31 mai, ces deux partis ont signé un pacte d'alliance, dit de San Andres, lors d'une cérémonie à laquelle participaient nombre de représentants de la grande bourgeoisie salvadorienne et l'ambassadeur des Etats-Unis. Le FMLN a virulemment rejeté ce pacte prétendument « national » arguant notamment du fait qu'il n'avait pas été ratifié par l'ensemble des forces représentant la nation, loin de là. Une semaine plus tard, à l'Assemblée, contre un front uni de l'ensemble des autres forces politiques, le PD soutenait l'ARENA lors du vote de l'augmentation de 3 % de l'impôt sur la valeur ajoutée, passé de 10 à 13 %, ce qui a d'ailleurs causé le départ de deux membres de son groupe parlementaire.

Il semble néanmoins que cette décomposition des anciennes alliances politiques au sein de la gauche soit compensée par un regain des luttes syndicales et un renouveau des pratiques en ce domaine (dans les maquilas notamment) passé au second plan depuis la fin des années quatre-vingt et surtout à la suite de la signature des accords de paix.


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