Dix ans après, à la veille des troisièmes élections générales, le bilan est quelque peu négatif. Pourtant, l'évolution générale du processus démocratique et les récents développements de la campagne électorale ouvrent un nouvel espace à la société civile qui est décidée à participer et qui tente de présenter des alternatives.
En 1983, le général Mejia Victores, après un coup d'Etat, devient président du Guatemala, succédant à un autre général putschiste, Rios Montt, qui avait porté la violence institutionnalisée à un sommet inégalé. Le gouvernement de Mejia Victores avait pour objectifs d'en finir avec la guérilla et d'obtenir une aide internationale en échange de la mise en place d'un gouvernement civil.
Début 1986, l'élection du démocrate-chrétien, Vinicio Cerezo réveille les espoirs de la société civile. La déception sera grande, l'armée conserve le pouvoir et maintient la militarisation du pays. Quant au gouvernement « civil », il excelle en corruption.
Les élections présidentielles de 1990-1991 portent à la présidence le candidat du Mouvement d'action social, Jorge Serrano, un évangéliste proche de Rios Montt. Certains parlent de crise de légitimité, car Serrano n'est élu que par 30 % des citoyens inscrits et après des alliances douteuses entre différents partis qui sont loin de représenter les populations guatémaltèques. En mai 1993, la crise s'amplifie avec d'importants mouvements sociaux, des désaccords au sein de l'armée mais aussi entre l'exécutif et le législatif, ce qui conduit Serrano à provoquer un coup d'Etat. Les pressions internationales, la rapide mobilisation de l'opinion publique et des organisations populaires mènent à la sortie de la crise. L'ancien procureur des droits de l'homme De Leon Carpio est élu président du Guatemala par le Congrès. Rapidement celui-ci est confronté aux mêmes problèmes que ses prédécesseurs : pouvoir des militaires, violations des droits de l'homme et corruption.
Ces neuf ans de perte de crédibilité du processus électoral se traduisent en août 1994 par un taux d'abstention record de 80 % lors des élections législatives. Ce qui permet au Front républicain guatémaltèque (FRG) d'obtenir 32 des 80 sièges du Congrès. Son chef de file, Rios Montt, devient président du Congrès. Son objectif est d'utiliser le Congrès pour arriver à la présidence de la République, malgré la loi qui interdit la candidature présidentielle d'un ancien putschiste. Pour les forces démocratiques, la menace paraît énorme, mais le processus de paix, malgré ses limites, empêche une telle remise en cause.
Les négociations de paix engagées entre le gouvernement et l'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), malgré leurs avancées chaotiques, constituent un appui certain pour les élections. Elles affaiblissent l'armée et contribuent à l'efficacité des pressions internationales. L'accord sur les droits de l'homme de mars 1994 se concrétise par l'installation de la Mission des Nations unies pour le Guatemala (Minugua) en novembre suivant. La Minugua représente un témoin gênant pour tous ceux qui confondent méthodes démocratiques et manière forte, surtout lors des campagnes électorales.
Cependant beaucoup de retard a été pris sur le calendrier des négociations : deux thèmes déterminants ne sont toujours pas traités et la participation de l'URNG aux élections sera impossible. Mais elle y participe déjà en appelant à voter afin de faire face à l'abstention qui favoriserait un candidat conservateur. Dans ces élections, la lutte pour la démocratie passe par la lutte contre l'abstention : Rios Montt lui doit son poste de président du Congrès. Les organisations indépendantes incitent donc les citoyens à voter.
Depuis dix ans, une partie de la société civile s'est engouffrée dans les espaces de liberté minimaux qu'on a dû lui offrir pour ne pas enlever tout sens aux accords de paix internationaux. Rapidement, elle a fondé une multitude d'organisations de déplacés, de veuves, de défense des droits de l'homme. Les organisations syndicales se sont renforcées. Les populations indiennes, longtemps marginalisées, méprisées et réprimées, font preuve d'un grand dynamisme acquis lors de leurs longues années de résistance. Elles participent aux regroupements en cours et fondent de nombreuses associations pour défendre leurs droits et leur culture.
L'ensemble des organisations civiles ont créé plusieurs coordinations qui tiennent lieu d'alternative à la classe politique incapable d'assurer sa fonction de médiation et de représentation du corps social. Dans le cadre des prochaines élections, cet ensemble a décidé de constituer une alternative différente pour le pays, le Front démocratique pour un nouveau Guatemala (FDNG), fondé officiellement le 1er juillet dernier. Il sera présent aux différents niveaux des élections.
Quant aux populations déplacées, regroupées notament au sein des Communautés populaires en résistance, qui avaient perdu le droit de vote depuis longtemps, elles ont, elles aussi, l'intention de participer aux prochains scrutins. Elles ont constitué des comités civiques locaux dans le but d'obtenir des responsabilités municipales. Elles montrent ainsi leur capacité de mobilisation civique, même si elles auront à surmonter des difficultés en ce qui concerne leur inscription sur les listes électorales.
La constitution des comités civiques populaires et la formation du FDNG apportent un nouveau dynamisme au processus électoral. Le FDNG se présente comme « démocratique, pluraliste, multisectoriel, pluriculturel et avec une base populaire importante ». Il regroupe des représentants d'organisations de défense des droits de l'homme, des groupes mayas, des syndicats, des intellectuels, etc.
Il constitue une véritable alternative aux différents partis conservateurs en lice et présentera des candidats dans pratiquement tous les départements, il leur faudra convaincre l'électorat qui choisissait précédemment l'abstention.
Le FDNG s'est inscrit auprès du Tribunal suprême électoral à travers le Parti révolutionnaire (PR) et, début août, il a présenté ses candidats à la présidence et à la vice-présidence, Gonzalez del Valle et Juan Léon, dirigeant de Défense maya.
Certaines ambiguïtés sont à noter dans les choix du FDNG, comme par exemple la candidature de Gonzalez del Valle dont le passé n'est pas irréprochable. Malgré ses imperfections, lors de son premier meeting à Chimaltenango, le FDNG a rassemblé plus de 5 000 personnes. Ce regroupement est considéré comme l'une des quatre forces politiques ayant des chances aux élections municipales.
Au moment où un parti progressiste annonçait sa participation aux élections, l'extrême droite perdait un de ses candidats favoris, l'ancien dictateur Rios Montt. Lui qui occupait, il y a encore quelques mois, la première place dans les sondages, a soudain vu son avenir politique et son parti s'effondrer. Le Registre des citoyens a définitivement refusé son inscription, ainsi que celle de sa femme.
Rios Montt et les deux députés du FRG qui ont voulu défier l'ordre légal ont perdu leur immunité parlementaire et font l'objet de plusieurs procès. Les luttes internes pour la succession de Rios Montt affaiblissent davantage le FRG.
Malgré tout, le conservatisme garde toutes ses chances à l'élection présidentielle. La crise du FRG laisse la première place dans les sondages au Parti d'avancée nationale (PAN), parti conservateur fortement représenté dans le secteur privé et qui connaît lui aussi des querelles internes.
Les élections de décembre 1995 et de janvier 1996 n'apporteront probablement pas de grands changements, le président élu ayant de fortes chances de se maintenir dans la ligne de ses prédécesseurs. L'intérêt vient des espaces gagnés par la société civile qui se concrétisent dans ce processus préélectoral par la recherche d'une alternative politique avec la création d'un parti plus représentatif et la volonté de s'imposer au niveau local.