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Campagne électorale prématurée

Par Michelle Dospital

Attentats contre l'église catholique, scandales liés au trafic de drogue, consensus difficile sur la question de la propriété, autant de thèmes d'actualité qui illustrent la situation chaotique du Nicaragua. Et pourtant, c'est l'élection présidentielle d'octobre 1996 qui est au centre des préoccupations de la classe politique. Avec six mois d'avance, cette dernière est déjà en pleine campagne.

Le 7 septembre, le ministre de la Présidence, Antonio Lacayo, a démissionné de ses fonctions et s'est proclamé candidat. Selon la nouvelle Constitution en vigueur, il ne peut, en tant que gendre de la présidente, postuler à ce poste. Cela ne l'empêche pas de sillonner le pays pour présenter son Projet national (Pronal), lequel est soutenu par les technocrates du gouvernement et le Cosep (syndicat patronal). Le 11 juillet, le maire de Managua, Arnoldo Aleman, avait présenté sa candidature à la tête de l'Alliance libérale (qui regroupe les partis de droite, à |'exception du PLI du vice-président Virgilio Godoy). Aleman a le soutien des grands producteurs, d'une partie des classes moyennes urbaines et des capitalistes installés aux Etats-Unis.

Le FSLN, quant à lui, n'a toujours pas de candidat, ni même de programme bien défini. Sa campagne est axée pour le moment sur l'unité nationale contre le retour du somozisme, personnifié par Aleman. Ce à quoi l'ancien maire de Managua répond qu'il refuse le retour du sandinisme, tout en critiquant de manière virulente tous les bénéficiaires de la piñata, qu'ils soient sandinistes ou proches de Lacayo.

Reste un quatrième bloc politique dirigé par Sergio Ramirez, dissident du FSLN et fondateur du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS). Ce nouveau parti compte près de 20 000 affiliés et cherche à former une alliance avec les sociaux-démocrates, le PLI et d'autres petits partis.

Des électeurs dans l'expectative

Les sondages d'opinion donnent Aleman gagnant. D'après la nouvelle loi électorale, l'élection du futur président se réalisera en deux tours si le candidat en tête obtient moins de 45 % des voix au premier tour. Mais 40 % des personnes interrogées ne sont pas encore fixées sur leur choix. De plus, elles attendent des candidats non pas un débat stérile opposant le sandinisme au somozisme mais des propositions concrètes pour résoudre la crise sociale et économique. En cette période pré-électorale, certains événements exigent des actions rapides et efficaces. Les dirigeants politiques savent qu'ils seront jugés sur leur capacité d'action, d'où leur volonté de résoudre certains problèmes avant octobre 1996.

Deux dossiers dominent l'actualité. Depuis quelques années, le Nicaragua est devenu un pays de transit de la cocaïne entre la Colombie et les Etats-Unis. De plus, le crack a envahi la capitale. Au mois de juillet, un avion de la compagnie nicaraguayenne La Costeña a été détourné par deux Colombiens. Le pilote a été retrouvé mort en Colombie et un ancien officier de l'armée a été inculpé de complicité... mais il vient d'être libéré. Assassinats, implication d'anciens militaires, complicité de certains juges, budgets limités de l'armée et de la police dans la lutte anti-drogue, autant d'éléments qui remettent en cause la volonté réelle du gouvernement d'éliminer ce fléau et qui posent la question de l'implication de hautes personnalités.

Par ailleurs, depuis juillet, près de quinze édifices religieux ont été l'objet d'attentats. En juin, le cardinal Obando y Bravo a servi de médiateur dans le conflit opposant pouvoirs exécutif et législatif concernant les réformes de la Constitution. Les deux parties sont arrivées à un accord appelé loi Marcos et les réformes ont enfin été promulguées. Certains disent que par son action le cardinal serait devenu une cible politique, ce qui expliquerait les attentats en série. Mais au-delà de sa personnalité médiatique, c'est peut-être le processus électoral lui-même qui est visé. En utilisant des méthodes terroristes, les commandos urbains, très bien organisés, renforcent le climat d'insécurité et accentuent les tensions existantes. Cela pourrait aussi être une méthode d'intimidation à quelques mois de la visite du pape.

La loi sur la propriété

A part les réformes de la loi électorale, la priorité de l'Assemblée nationale est l'approbation d'une loi définitive concernant la propriété et ce, avant les élections. En juillet, sous les auspices des Nations unies et de l'ancien président nord-américain Carter, les principaux dirigeants politiques et syndicaux du Nicaragua, réunis à Montelimar, ont signé un accord qui prévoit le respect des terres et logements remis à la population par le gouvernement sandiniste avant avril 1990, la création de tribunaux spéciaux pour régler les cas litigieux ainsi que l'indemnisation des personnes expropriées.

Si cet accord constitue un premier pas vers la négociation, nous sommes encore loin d'une solution définitive. Aleman a refusé d'assister à la réunion et l'Association des expropriés a rejeté ces accords. Environ 700 somozistes naturalisés nord-américains réclament la restitution sans concession de leurs propriétés, soit du tiers des terres cultivables du pays. Résoudre la question de la propriété est un enjeu électoral de premier ordre : cela marquerait le triomphe du gouvernement de Violeta Chamorro et donnerait plus de crédibilité au Projet national de Lacayo et à sa vocation centriste et conciliatrice.

Pour le FSLN, la légalisation des titres de propriété distribués pendant son gouvernement équivaudrait à une victoire historique de la révolution. Mais cela implique aussi certaines concessions : que l'Association des expropriés soit prête à négocier et que certains dirigeants sandinistes acceptent de restituer les biens et propriétés dont ils se sont emparés de manière douteuse au moment de la perte du pouvoir. Au-delà des calculs politiciens, la loi sur la propriété est surtout une urgence pour les milliers de petits propriétaires ruraux et urbains aujourd'hui menacés d'expulsion.

C'est bien là le noeud du problème : existe-t-il un espace de dialogue entre la société et ses dirigeants politiques ? Les grèves et manifestations de cet été ont montré que le mouvement social s'essouffle. Dans les syndicats, les organisations non gouvernementales et autres regroupements populaires, existe un réel problème structurel, une absence d'autonomie vis-à-vis des partis politiques. L'année électorale qui a déjà commencé risque d'être pleine de surprises ou bien... pas du tout.

Soit la démobilisation de la société se traduit par une attitude passive, silencieuse et le débat restera le privilège des professionnels de la politique ; soit la société réagit, fait des propositions et, de par ses pressions, participe directement au débat politique sur l'avenir du pays. Difficile de prédire ce qui se passera dans les mois qui viennent. D'ailleurs, les élections de 1990 ont déjà montré que les Nicaraguayens sont capables de renverser la vapeur à tout moment et contre tout pronostic.


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