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Tourisme et tiers-monde, l'exemple de l'Amérique centrale et de la Caraïbe

Propos de Jean-Pierre Beauvais


Depuis des années, Jean-Pierre Beauvais s'occupe d'une agence de voyages spécialisée notamment dans l'Amérique centrale et la Caraïbe. Les brigadistes, qui sont partis au Nicaragua avec le Comité de solidarité, ont pour la plupart emprunté ses vols. Il est donc un témoin privilégié de l'évolution du tourisme (politique ou non) et de ses conséquences pour le tiers-monde. Il a bien voulu répondre aux questions de « Volcans ».

Volcans : Le tourisme est-il un facteur essentiel de développement économique comme semblent le penser de nombreux gouvernements de pays du tiers-monde ?

Jean-Pierre Beauvais : Le tourisme est aujourd'hui l'une des toutes premières activités économiques mondiales. Et il est vrai que beaucoup le considèrent comme une recette facile et presque miraculeuse. Il contribuerait à attirer les investisseurs internationaux, à développer et financer des infrastructures lourdes, à créer des emplois, à stimuler le commerce local et à équilibrer la balance des paiements. Ainsi, il favoriserait le développement et contribuerait de manière décisive au décollage économique. La réalité est malheureusement moins idyllique, beaucoup plus complexe et contradictoire.

Certes, au cours des trois dernières décennies les investisseurs n'ont pas manqué à l'appel dès lors qu'un pays avait de réelles potentialités pouvant générer un flux touristique important, garantie d'un retour rapide sur investissement, comme on dit. Le Mexique et la zone caraïbe en général ont ainsi vu affluer de grandes quantités de capitaux de toutes origines, y compris mafieuses, pour l'aménagement de zones touristiques, la construction d'hôtels, d'infrastructures de loisirs. Cela n'a pas pour autant contribué à un réel développement des économies des pays concernés. Sans être négligeables, les retombées économiques sont souvent contrebalancées par de multiples effets pervers.

Il y a tout de même eu dans cette région en développement de très nombreuses infrastructures pouvant avoir une utilité bien au-delà du secteur touristique.

C'est vrai. Mais le problème est que ces grandes infrastructures ont été décidées et conçues quasi exclusivement en fonction des besoins du tourisme, en ignorant des besoins locaux pourtant considérables et criants et souvent même au détriment de la satisfaction de ces besoins. Un exemple parmi d'autres : une superbe autoroute aux normes nord-américaines a été construite par le gouvernement mexicain sur plus de 300 kilomètres entre Cancun et Chichen Itza avec pratiquement pour seule fonction de permettre des excursions rapides dans la journée depuis la grande station balnéaire des Caraïbes vers le prestigieux site maya. Elle n'a aucune autre utilité. L'investissement qu'elle a nécessité aurait permis l'extension et la rénovation de la totalité du réseau routier de la péninsule du Yucatan, réseau notoirement insuffisant et dont l'état est déplorable. Cette extension et cette rénovation pourtant jugées nécessaires au développement d'une économie régionale en crise n'est maintenant plus envisagée faute de crédits. Un autre exemple, toujours au Mexique, mais sur la côte Pacifique cette fois. Plusieurs aéroports internationaux ont été construits à grands frais près de nouvelles stations balnéaires afin de permettre l'arrivée de vols directs depuis les principales villes des Etats-Unis. Ils n'ont en rien contribué à sortir les régions environnantes de leur isolement par rapport au reste du pays auquel elles sont reliées par des routes souvent impraticables en saison pluvieuse ! Peut-on, dès lors, considérer que de telles infrastructures lourdes et coûteuses sont utiles au développement local et régional ?

Et en matière de création d'emplois et d'apport de devises ?

Il est indiscutable que l'accueil de touristes étrangers génère de nombreux emplois. Mais il faut analyser plus précisément la nature de ces emplois pour en mesurer les effets économiques et sociaux. Il s'agit pour l'essentiel d'emplois de services non qualifiés ou très peu qualifiés, instables, saisonniers et évidemment sous-payés. Dans des zones connaissant un chômage structurel massif et où la misère est le lot du plus grand nombre, ils sont vécus comme une issue positive par ceux qui en bénéficient. Mais trop souvent ces emplois n'assurent pas la sortie de la misère et l'accession à la dignité.

Quant au tourisme source de devises, il est là encore nécessaire d'aller au-delà des mirages, des idées reçues et des statistiques mirobolantes. Une importante activité touristique a évidemment un effet positif sur la balance des paiements du pays concerné. Mais cet effet est généralement surestimé. D'abord, les rapatriements systématiques de bénéfices des investisseurs étrangers sont rarement mesurés. Or, ils dépassent rapidement l'investissement réel initial.

Dans la zone caraïbe et au Mexique, on assiste à une véritable dollarisation de l'économie. Le billet vert est de plus en plus utilisé en lieu et place des différentes monnaies locales. Quel rôle le tourisme joue-t-il aujourd'hui dans cette évolution ?

L'activité touristique n'est pas la cause essentielle de ce phénomène, produit des situations économiques prévalant dans la plupart des pays de la région, de leur mode d'intégration au marché mondial et de leur dépendance à l'égard des Etats-Unis. Mais elle contribue à accentuer et à accélérer ce phénomène et à en amplifier les effets pervers, notamment au plan social.

Lorsque la monnaie nationale s'effrondre comme actuellement au Mexique, lorsque le dollar devient la seule référence et valeur stable, l'accès à celui-ci constitue un énorme avantage et un réel privilège. Du haut en bas de l'échelle sociale, dans le cadre de substantielles plus-values ou pour un modeste pourboire, la course au dollar favorise toutes les corruptions, concussions et servilités. Or le secteur touristique est celui qui, par sa nature même, favorise le plus cette course effrénée au dollar.

La situation actuelle à Cuba est souvent évoquée à ce propos, pour souligner les contradictions engendrées par le choix du régime castriste de développer le tourisme afin de sortir d'une impasse économique héritée du blocus américain et de l'effrondrement du camp socialiste. Mais il faut savoir que, dans des contextes économiques et sociaux radicalement différents, la plupart des pays de la zone caraïbe ou le Mexique connaissent les conséquences néfastes économiques, sociales et culturelles de la dollarisation, conséquences amplifiées en raison de l'importance du flux touristique qu'ils connaissent.

Quelles sont les perspectives de développement de l'activité touristique dans la région ?

Le tourisme est une activité économique très volatile, plus sensible que beaucoup d'autres aux aléas de la conjoncture. Il a suffi que quelques touristes nord-américains soient victimes d'attentats en Egypte pour réduire à presque rien le nombre de touristes en provenance des Etats-Unis et pour que l'activité de ce secteur essentiel de l'économie égyptienne soit durablement réduite de moitié. Il est donc très difficile de faire des prévisions pour une région entière aussi vaste et diverse que la Caraïbe ou l'Amérique centrale, Mexique inclus.

Compte tenu des attraits, notamment géographiques et climatiques, de la région, de la proximité du marché nord-américain et de la baisse très importante des tarifs aériens, une expansion de l'activité touristique et un poids accru de ce secteur dans l'économie des différents pays est probable. Mais les situations doivent être différenciées.

Au Mexique, première destination de la région, la situation dans l'Etat du Chiapas a provoqué une baisse légère en pourcentage mais numériquement significative de la fréquentation des grandes stations balnéaires de la côte Pacifique et du Yucatan pourtant distantes de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers de kilomètres de San Cristobal de Las Casas ! Si, comme beaucoup de facteurs l'indiquent, le pays devait connaître une instabilité croissante, il est évident que l'activité touristique connaîtrait un recul brutal.

Les îles des Caraïbes pour leur part bénéficient d'attraits allant dans le sens des tendances profondes à l'oeuvre depuis bientôt une décennie dans la mentalité, les motivations et les attentes de la grande majorité des touristes des pays occidentaux.

La découverte d'autres sociétés, d'autres civilisations et d'autres cultures est devenue secondaire dans l'attrait du voyage.

Ce qui prime aujourd'hui dans la détermination des grands flux touristiques, c'est l'évasion du quotidien, le dépaysement mais dans un cadre sécurisé, balisé et le plus possible aseptisé. Se retrouver entre soi sous les tropiques, avec des repères connus, soleil et mer chaude garantis, telle est la demande du plus grand nombre. D'où le succès que connaissent des destinations comme la Martinique et la Guadeloupe auprès de la clientèle française et les îles anglophones de la Caraïbe auprès de la clientèle nord-américaine et britannique.

Un succès qu'aucune donnée essentielle ne semble devoir contredire dans les années qui viennent.


Propos recueillis par Natacha Lillo


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