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Un tourisme différent ?

Par Sylvie Laporte

Visiter sans devenir un troupeau destructeur ou bêtifiant : illusion ou possiblité réelle ? Plusieurs associations ont cherché à approfondir la question.

Tourisme destructeur de l'environnement, de l'économie locale et des cultures, tourisme dit « de masse » des voyages organisés ou des clubs-ghetto, tourisme-voyeur du folklore et des traditions, et aussi parfois de la pauvreté, réalité sociale et politique des pays ignorés ou vue comme à travers la vitre d'un autocar... que le tourisme lointain ne fasse pas souvent bon ménage avec le développement et la justice sociale ne fera de doute pour aucun lecteur de Volcans ! Pourtant, un certain nombre d'entre eux ont voyagé, souvent en Amérique centrale, particulièrement au Nicaragua, en « brigade » ou en « indépendants »... pour voir sur place à quoi cela ressemblait, pour y être, pour rencontrer des gens, pour participer... pour visiter et voyager, pas forcément « comme tout le monde ».

Parler d'un tourisme différent dans le tiers-monde suppose d'en préciser les critères, c'est-à-dire de savoir ce qu'on refuse exactement.

C'est d'abord un tourisme ignorant des dictatures et de la répression, ainsi que de ses effets pervers intrinsèques (pénuries d'eau, prostitution enfantine...) que compte dénoncer le Réseau Jeunes Solidaires dans la campagne qu'il s'apprête à lancer : Tourisme et développement : la fin des colonies de vacances. Elle « se donne pour objectif essentiel d'informer les jeunes citoyens sur la réalité de certains pays touristiques et de les mobiliser pour des actions futures » (1).

Ne pas voyager idiot

Les moyens prévus sont à la fois l'organisation de débats et de projections de vidéos dans les facultés et les établissements scolaires, et « une campagne d'information auprès des professionnels du tourisme afin de les inciter à informer leurs clients des réalités économiques, politiques, sociales, culturelles des pays proposés via leurs brochures ». Dans ce but, le Réseau Jeunes Solidaires a sélectionné, à titre de démonstration, trois pays, où les violations des droits de l'homme ou la répression des minorités nationales sont flagrantes, tout autant que la volonté gouvernementale de promouvoir une image touristique : la Birmanie, l'Indonésie et la Turquie. Aucun pays d'Amérique latine donc, mais bien sûr dans ce domaine il n'y a malheureusement pas de palmarès possible, et Luc, un des responsables de la campagne, admet tout à fait que le Guatemala ou le Mexique pourraient sans problème figurer dans une telle campagne.

Si la campagne du Réseau Jeunes Solidaires ne propose pas d'organiser des voyages mais seulement de permettre d'avoir un regard plus lucide et mieux informé, un certain nombre de structures associatives font les deux. Une des plus connues et des plus importantes est l'Association Rencontres Voyages Etudes Loisirs (Arvel), qui fait voyager près de 20 000 personnes par an. Arvel, association à but non lucratif basée à Lyon, est intervenue ponctuellement pour soutenir des projets de développement locaux, sous forme par exemple de caution pour des emprunts de coopératives paysannes ou artisanales, ou de dons à des organisations sociales du tiers-monde. Sa charte d'orientation affirme : « Nous refusons de mettre en congé'' (sous prétexte de vacances'') notre aspiration à une société plus solidaire, notre refus du racisme, notre souci de fraternité et notre respect pour les droits de l'homme » (2). Dans cette optique, Arvel se donne pour but, à la fois de « garder le cap sur la démocratisation économique du voyage » (effort pour limiter les prix et tarifs réduits pour les familles à faibles revenus), et « développer des programmes de voyages intelligents'' », c'est-à-dire des formules « expéditions », qui, à côté de circuits plus classiques, permettent à de petits groupes de s'organiser, de se prendre en charge, de faire preuve d'initiative. Refus donc de la programmation et de la passivité. Mais l'aspect « tourisme de rencontre et de dialogue » est également privilégié dans le choix d'intégrer des rencontres avec des associations locales, afin d'éviter un voyage qui ne soit qu'une consommation de sites et de folklore.

Occasions de rencontre

Ainsi, pour l'été 1995, un voyage au Guatemala prévoit un « séjour dans une ferme-auberge où les occasions de rencontres avec la communauté indienne, de découverte des activités traditionnelles et d'excursion seront nombreuses. (...) L'occasion sera donnée, à ceux qui le souhaitent, de participer à un des projets en cours mené par une association franco-guatemaltèque d'aide au développement rural » (3). Au Mexique, à San Cristobal de Las Casas, est prévue une rencontre « des organisations de défense de l'identité indienne pour mieux comprendre (leur) situation ».

Christine Bourru, responsable du service voyages-expéditions, affirme qu'en Amérique latine tout particulièrement existe, de la part de la population organisée et des associations locales, une volonté de parler, d'échanger, dans un esprit militant.

Certes, ce type de voyage-rencontre est assez courant, en particulier de la part d'ONG, d'associations ou de mouvements, comme Vie Nouvelle, qui l'organisent depuis des années. Mais il s'agit dans ce cas là de voyages de militants, ou tout au moins de gens fortement concernés dans leur pratique habituelle par les questions de développement et de droits de l'homme.

Or, Arvel, fidèle à son objectif de démocratisation, refuse de sélectionner les participants et ne cherche pas à attirer une clientèle particulièrement « consciente » ou informée - même s'il y a un certain nombre d'habitués. Dès lors, inévitablement, la « philosophie du voyage-rencontre » est plus ou moins bien reçue, très bien par certains - qui reviennent dans le pays, ou même s'investissent à leur retour dans une association d'aide au développement - et moins bien par d'autres, qui au départ « sont peu motivés au départ par l'idée des rencontres », selon Christine Bourru. Cependant, ajoute-t-elle, la plupart d'entre eux finissent par « s'intéresser au fil des rencontres et des événements ». On pourrait peut-être penser que le risque n'est pas tant d'une méfiance par rapport à ce genre de découverte - laissant toujours une possibilité d'évoluer et d'être bousculé dans ses certitudes - qu'une attitude tout aussi consommatrice, bien que moins aisément repérable, que celle du tourisme classique : on peut en effet observer la vie associative en attraction touristique, entre un monument et un site grandiose ou un marché pittoresque.

Car le tiers-monde s'apprend, selon Dora Valayer, responsable de l'association Transverse qui cherche à promouvoir un tourisme intégré. Elle déplore ainsi les voyages lointains sans préparation, en particulier d'adolescents comme cela se fait souvent aujourd'hui : dans le cadre de projets de chantiers (scoutisme, jumelages), des très jeunes vont partir pour faire une bonne action, être choqués par la réalité du sous-développement et de la pauvreté, et parfois se forger une image aux relents colonialistes, sur laquelle il leur sera très difficile de revenir par la suite. D'où l'importance d'être bien informé, d'être soi-même solide et de savoir ce qu'on cherche.

Même ainsi, pense-t-elle, une attitude différente par rapport au voyage lointain est possible mais risque fort de ne concerner jamais qu'une minorité. Et ce, pour une raison très simple : après onze mois de travail, le besoin de repos d'une grande majorité de la population et l'envie d'oubli, d'évasion représentent, avec l'exotisme, une grande part des arguments de vente du voyage commercial. Elle remarque que : « Même le meilleur des militants a besoin de souffler, de ne pas s'acharner à faire en vacances ce qu'il fait toute l'année. » Ce qui le conduira éventuellement à voyager comme tout le monde, ou tout au moins comme une bonne partie de la population qui voyage, en passant par une agence commerciale.

Un tourisme « intégré »

Transverse est membre du réseau qui coordonne en Europe et dans les autres continents, au Nord comme au Sud, les associations existantes sur la question (réflexion permanente sur le tourisme de masse et sur ses effets sur l'environnement naturel et humain, publications, actions de solidarité, etc.). L'association souhaite créer un réseau de correspondants dans les pays francophones, notamment en Afrique. Ce qui a déjà été fait dans ce domaine, depuis les pays d'Europe du Nord, se limite en effet presque exclusivement aux pays anglophones d'Asie. La France et les pays francophones ont beaucoup de retard. Transverse soutient aussi des projets de « tourisme intégré », (ou « durable »), dans la mesure où ils s'efforcent de respecter les critères suivants :

« 1 - le projet s'intègre dans un programme déjà effectif de développement ;

2 - ce programme manifeste une volonté de globalité et s'applique à l'ensemble de la vie des populations concernées.

3 - Il privilégie les secteurs les plus démunis de cette population ;

4 - il s'appuie sur une équipe polyvalente et qualifiée ;

5 - cette équipe est reconnue par la population et peut la représenter valablement.

6 - Elle comporte obligatoirement en son sein des représentants des groupes actifs de la population (groupes de quartiers, de villages, de femmes, de jeunes, etc.).

7 - Le respect de l'environnement fait partie des objectifs ;

8 - le projet touristique ne représente qu'une partie du projet global de développement et son budget qu'une partie limitée du budget global ;

9- les bénéfices sont réinvestis au service de la population locale ;

10 - le projet comporte, pour les touristes, un séjour à proximité de la population, et s'attache à mettre en oeuvre une pédagogie de la communication.

11 - Il comporte une information sur les réalités politiques, sociales, traditionnelles, culturelles de la région proche et plus lointaine ;

12 - plutôt que d'adapter les réalités locales à la demande des touristes, il introduit ces derniers dans les divers aspects de la société locale. »

L'accent est donc mis sur l'objectif qu'une communauté ne tire pas la totalité ni même la plus grosse partie de sa subsistance du tourisme, qui est une activité très instable, qui peut s'effondrer du jour au lendemain, en fonction d'aléas politiques ou climatiques.

L'important, explique Dora Valayer, est que dans ce type de projet les habitants non seulement décident eux-mêmes, mais maîtrisent leur propre image, puissent dire « voilà qui nous sommes » en donnant à voir ce qu'ils veulent de leur culture et de leur mode de vie, au lieu d'être regardés passivement comme un objet de folklore, voire même, comme trop souvent, photographiés à leur insu. Elle reconnaît cependant que peu de projets de ce type ont abouti et ont réussi à durer, en partie parce que, pour être rentables, ils nécessitent une étude approfondie de la demande, alors même que les touristes changent, et deviennent de plus en plus exigeants. Ne plus prendre aucun risque, ne pas avoir à subir d'insectes... est maintenant considéré comme normal par tous. A noter qu'on peut retrouver là la fragilité économique inhérente à un grand nombre de projets de type coopératifs ou alternatifs, qu'il soient artisanaux ou agricoles, qui peuvent être mis sur pied dans le tiers-monde, fragilité renforcée ici par les spécificités de l'activité touristique. Dora Valayer ajoute que, pour réussir, une expérience exige des années d'étude de terrain et de préparation.

Et les brigades ?

La question des « projets » a été centrale dans l'organisation des « brigades » telles que les a organisées pendant des années le Comité de solidarité avec le Nicaragua, puisqu'il s'agissait cette fois, non plus seulement d'y contribuer par sa seule présence, en « client », mais de mettre la main à la pâte après avoir collecté des fonds avant le départ. Dans la mesure où il s'agissait de l'aboutissement d'une activité plus globale de solidarité des comités, peut-on encore parler de tourisme ? Oui, estime Claudine qui a longtemps présidé à leur organisation : tout d'abord parce qu'elles ont toujours comporté une semaine, sur quatre, de découverte libre, pouvant comprendre excursions, visites ou plage. Ensuite parce que les motivations du brigadiste moyen, si elles sont à l'évidence aux antipodes de celles d'un client de club de vacances, comprennent, étroitement imbriquées aux motivations purement militantes, et parfois difficiles à distinguer de ces dernières, des motivations finalement assez proches de celles du touriste classique. Il y a toujours, dans un temps de vacances limité, l'exigence plus ou moins consciente de ne pas perdre de temps, la recherche d'une satisfaction personnelle ainsi que le besoin d'être reconnu comme militant : consacrant du temps, de l'argent et de l'énergie, la plupart attendent évidemment quelque chose en échange, variable selon les personnalités et les expériences de chacun.

D'abord, et souvent, la possibilité de confronter à la réalité l'image plus ou moins précise que chacun avait en partant d'un Nicaragua révolutionnaire. Et c'est là que certains, analyse Claudine, ont voulu à tout prix que la réalité colle avec cette image, et n'ont parfois pas supporté le décalage : « Certains ont pris dans la gueule la réalité du tiers-monde et cela a cisaillé leur image de la révolution, tout d'un coup ils n'ont plus rien compris... Par exemple que des enfants marchent pieds nus, ou que les femmes souvent ne prennent pas la pilule, etc. Impensable pour eux dans une situation révolutionnaire ! D'autres, au contraire, et sans doute la plupart, ont modifié leur vision au contact de la réalité, et ont appris là-bas des choses qu'ils n'auraient jamais pu apprendre en restant ici. Par exemple, l'importance cruciale de l'alphabétisation, qui restait jusque là une question théorique pour beaucoup. »

Il est certain que jamais la solidarité n'aurait pu être la même sans ces voyages.


(1) « Solid'air : la lettre du Réseau Jeunes solidaires », février 1995.

(2) Charte d'orientation d'Arvel.

(3) Brochure expéditions, été 1995.


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