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Une transition chaotique

Par Laurent Beaulieu

La transition démocratique en Haïti suit un chemin très particulier. C'est ainsi que l'armée, qui a été tant d'années au pouvoir, est aujourd'hui quasiment démantelée. Par contre, la justice avance à un pas de tortue.

Au mois de décembre, le président Aristide évinçait les derniers généraux et colonels qu'il n'avait pas encore mis à la retraite. Il mettait ainsi un point final aux récriminations des autorités américaines contre certains officiers supérieurs proches du président haïtien.

Le 28 avril, il annonça qu'il proposerait au prochain parlement de rayer des cadres les derniers soldats, et de supprimer l'armée à tout jamais. L'armée sera remplacée par une police, qui est en train d'être formée. En revanche, il faudra bien des années pour mettre en place un système judiciaire digne de ce nom.

Dans ces conditions, le rôle de la Commission Vérité, qui a été mise en place, est d'autant plus essentiel pour faire la lumière sur les crimes de la dictature. Cette commission devra notamment traiter de l'utilisation du viol comme moyen de répression et de terreur. Cette pratique a traumatisé une grande partie de la société. Environ deux cent femmes violées sous la dictature sont organisées par des associations féministes. La plus importante d'entre elles, SOFA (Solidarité Femmes d'Haïti), fait de la question de la justice et des réparations dues aux femmes violées son principal axe de travail.

D'après un arrêté présidentiel datant du 17 décembre 1994, la Commission Vérité est mandatée pour enquêter sur « les graves violations des droits de l'homme et crimes contre l'humanité commis depuis le coup d'État du 29 septembre 1991 » et « chercher à identifier les auteurs matériels et/ou les complices de ces actes, leurs instigateurs et faire la lumière sur les méthodes et moyens utilisés ». Plusieurs mois après cet arrêté, on annonça qu'elle allait enfin commencer ses travaux. Pourtant, elle ne fonctionne toujours pas. Le 12 mai, elle tint une conférence de presse pour expliquer que son travail était bloqué faute de moyens. Ses représentants ajoutaient que si les promesses de déboursement ne se concrétisaient pas, elle ne pourrait pas accomplir son mandat.

Or le temps lui est compté : elle a jusqu'au 1er octobre pour achever ses enquêtes, et cela constitue un travail considérable. La commission s'en remet à la générosité de la « communauté internationale ». Ainsi va Haïti.

La dictature a laissé les caisses de l'Etat dans une telle situation que pour accomplir des tâches aussi essentielles que les enquêtes sur les crimes de la dictature et l'organisation d'élections, les autorités actuelles sont amenées à quémander des dollars auprès des bailleurs de fonds internationaux.

Drôle d'aide

Il y a quelques mois, le Premier ministre Smarck Michel craignait que l'État haïtien ne soit pas en mesure d'absorber l'avalanche d'aides qui lui étaient promises en échange de l'application d'un plan économique drastique. Il a dû déchanter depuis.

Lors d'une réunion des institutions de financement les 11 et 12 mai à Port-au-Prince, il fut révélé que 240 millions de dollars avaient été débloqués jusque là. Ils avaient été employés avant tout au remboursement de la dette extérieure, et au paiement de la facture pétrolière et du salaire des fonctionnaires. Presque rien n'avait pu être consacré au développement. En revanche, Bill Clinton s'est montré généreux en proposant que les effectifs de la future police soient doublés, et que les policiers supplémentaires soient formés directement aux Etats-Unis. En outre, des officiers nord-américains commencent à expliquer qu'il serait peut-être nécessaire que quelques centaines de leurs soldats restent indéfiniment en Haïti.

Comme on le voit, les bailleurs de fonds, et plus particulièrement les Etats-Unis, conçoivent l'aide à Haïti de manière assez spéciale. Avant même le retour du président dans son pays, Washington avait imposé que les bulletins de vote des élections de cet été seraient imprimés aux Etats-Unis.

Des associations écrans liées au Parti démocrate et au Parti républicain tentent de s'immiscer dans la campagne électorale. C'est ainsi que l'Institut républicain international bénéficie d'un financement de 225 000 dollars de l'USAID. Il l'utilise, précise-t-il, pour aider seulement « les partis politiques centristes non-lavalas ».

Ces manoeuvres ne devraient cependant pas empêcher l'élection en grand nombre de députés, sénateurs, maires et conseillers municipaux se réclamant du front électoral « lavalas », auquel le président Aristide apporte un soutien tacite. Mais, après les élections, les Etats-Unis et leurs dollars continueront à peser lourd dans la balance. Notamment si, comme lors de la législature précédente, la majorité des députés voient avant tout dans leur élection le moyen d'accéder à des privilèges et à des réseaux financiers.


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