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Le retour de l'utopie

Propos d'Adolfo Gilly

La révolution interrompue continue... Ecrit en prison par Adolfo Gilly, entre 1966 et 1970 (1), le récit, devenu un classique de la révolution mexicaine, n'a rien perdu de son actualité depuis la première édition de 1971. La preuve, selon l'auteur, est le surgissement du zapatisme chiapanèque qui évoque les mythes du soulèvement de 1910.

Volcans :Les événements de cette année confirment-ils les thèses de votre livre ?

Adolfo Gilly : Le livre dit que lorsque les Mexicains vont refaire un véritable mouvement révolutionnaire, ils vont reprendre les idées, les traditions et, surtout, les mythes de la vieille révolution. C'est une allégorie légitime d'invoquer les anciens. Par exemple, la Convention : mon livre dit que l'apogée de la révolution fut la Convention d'Aguascalientes de 1914. J'ai toujours été persuadé que la Convention révolutionnaire d'Aguascalientes s'appelait ainsi à cause de la Convention révolutionnaire française. Ce n'était pas la même chose mais c'était l'idée de ceux qui lui donnèrent ce nom. Et maintenant, au lieu de se référer à la Convention française de 1793, ils se réfèrent à sa petite fille, la Convention de 1914.

Quel est l'impact du mythe de la révolution mexicaine sur le Mexique de cette fin de siècle et comment se situe votre livre dans l'histoire officielle ?

La Révolution mexicaine est une des étapes de la formation du caractère national des Mexicains, de son imaginaire et des mythes qui le composent : comment nous, Mexicains, concevons notre existence et comment nous nous plaçons en relation avec l'Histoire. Ce siècle, pour le Mexique a été indiscutablement le siècle de la révolution mexicaine. Tous les Mexicains la prennent comme référence : un parti s'appelle Révolutionnaire institutionnel et l'autre Révolution démocratique. Cette référence est le point de départ de la vie politique nationale. Ce qui est devenu lieu commun aujourd'hui était un paradoxe quand j'ai écrit ce livre. L'histoire officielle a toujours été différente : cette dernière est l'histoire de l'Etat, l'autre est l'histoire des masses, du peuple en mouvement qui continue d'être une référence et le mouvement zapatiste le prouve. Evidemment, je ne sais pas s'ils ont lu ou non le livre...

Le mouvement chiapanèque est un mouvement aux racines communautaires et indigènes, et où la vie des communautés a un poids important dans les coutumes et la forme de lutte de l'armée révolutionnaire. En cela il ressemble au zapatisme. Il y ressemble aussi dans son désir d'avoir une répercussion nationale et dans sa revendication de démocratie. Cette ambition de changer l'Etat vient aussi du zapatisme : ce n'était pas seulement un mouvement pour la terre, c'était aussi un mouvement très politique. Il n'était pas seulement composé de paysans utopiques et isolés, c'était un mouvement complexe, législateur et fondateur. Je crois que le vieux zapatisme était plus riche, pour son époque, à cause de l'influence de la ville de Mexico, toute proche : il y avait des ouvriers qui ne sont pas dans ce zapatisme du Chiapas. Finalement, je crois qu'ils ont le droit d'invoquer ce mythe ; je crois qu'il y a une relation et c'est pour cela qu'ils ont du succès.

Pour la gauche mexicaine, quel a été le défi de ce nouveau zapatisme ?

Le zapatisme a de nouveau posé le problème des valeurs historiques de la gauche comme question d'actualité, c'est son grand mérite. La gauche a toujours eu des valeurs différentes et opposées au capitalisme. Elle avait des valeurs comme la fraternité, les rapports égalitaires, les traditions de la communauté comme essence des êtres humains, mais pas l'argent, ni les rapports commerciaux. Elle avait une éthique différente de celle du marché. Aujourd'hui une grande partie de la gauche a fait sienne l'idée de démocratie purement légale et a adopté les valeurs du marché et du capital en essayant de le démocratiser. Je ne crois pas que le rôle de la gauche soit de démocratiser le capital, parce que c'est une contradiction en soi. Il y une grande abdication de ces fondements et les zapatistes les ont remis en discussion : « Tout pour tous, rien pour nous. » C'est la pensée utopique qui a toujours été celle de la gauche.

De plus, ils posent aussi le problème des différentes valeurs culturelles, des droits et du respect à la vie des différentes ethnies. Verbalement, nous l'avons tous fait, eux l'ont fait dans l'action.

Et à leur tour les zapatistes se sont montrés capables de recevoir ce que la société mexicaine leur proposait : ne pas rester simplement dans leur projet initial mais commencer un dialogue très fructueux avec la société démocratique mexicaine.


Traduit par Michel Picquart

(1) « La Révolution mexicaine

1910 - 1920 : Une révolution interrompue. Une guerre paysanne pour la terre et le pouvoir », éditions Syllepse.


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