Récemment, un magistrat breton a émis quatre mandats d'arrêt internationaux à l'encontre des officiers salvadoriens en charge du commandement des troupes qui ont, sur ordre, torturé et exécuté leurs prisonniers.
L'enquête judiciaire sur la mort de Madeleine avait commencé tout de suite après les faits. La procédure initiale avait été close en septembre 1993, par une ordonnance de non-lieu prononcée par le juge André de Brest, qui estimait que le dossier était insuffisant. Pourtant, la famille de Madeleine et le Comité Madeleine Lagadec de Brest ont toujours soutenu que son assassinat était suffisamment prouvé par l'autopsie ainsi que par les témoignages de ceux qui s'étaient cachés lors de l'attaque.
Or, deux militants du Comité avaient rapporté de leur voyage au Salvador en 1993, les résultats de l'enquête menée au Salvador par la Commission non gouvernementale des droits de l'homme (CDHES) qui donnaient notamment le nom des officiers ayant commandé l'attaque de l'hôpital. Il semble que ces éléments nouveaux sont arrivés trop tard pour être pris en compte par le juge.
Le Comité a fait appel de la décision du juge André et, au début de 1994, l'affaire a été transmise au tribunal de Rennes, pour supplément d'information. Elle fut confiée au juge Van Ruymbeck qui reprit tous les éléments du dossier, y incluant l'enquête de la CDHES, se fit préciser certains point, et en fit officialiser ou authentifier d'autres. Son instruction a abouti le 27 avril dernier, quand la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes a émis un mandat d'arrêt international au chef de complicité de meurtre précédé, ou accompagné, de tortures ou d'actes de barbarie, mandat aux noms du général Rafael Bustillo, commandant en chef des forces aériennes au moment des faits, du colonel Rafael Villamariona, son adjoint, du major René Rodriguez Hurtado, commandant des parachutistes et du capitaine Gustavo Perdomo, chef des opérations spéciales de la force aérienne.
Le gouvernement salvadorien a déjà fait savoir qu'il n'était pas question d'extrader ces officiers et réfute totalement les accusations portées contre eux. La chambre d'accusation peut maintenant renvoyer l'affaire devant la cour d'assises, auquel cas un procès par contumace serait possible.
Ces mandats d'arrêt, s'ils ne signifient pas encore la condamnation des coupables, sont la reconnaissance du crime par la justice, une reconnaissance très importante pour la mémoire de Madeleine. La famille Lagadec a entrepris la procédure judiciaire pour cette raison, mais aussi pour la symbolique que représenterait le procès des assassins de Madeleine, quand on sait les crimes, les assassinats et les tortures commis au Salvador depuis tant d'années - depuis bien avant la guerre, en fait.
Aucun des auteurs de ces crimes n'a jamais été jugé, ni même recherché, par la justice salvadorienne. Aujourd'hui, les officiels salvadoriens se retranchent derrière la loi d'amnistie qui est bien plus une loi d'impunité qu'une loi de réconciliation, car elle fait fi des dizaines de milliers de violations des droits de l'homme, imputables à l'armée pour la plupart, que la commission de l'ONU a recensées au moment des Accords de paix.
En décrétant une amnistie générale de tous les crimes commis pendant la guerre, sans plus d'enquête ni de procès, le gouvernement salvadorien s'est auto-amnistié.
Les conséquences au Salvador de la procédure française ont été importantes. En effet, au-delà du cercle militant des associations de défense des droits de l'homme, la nouvelle de l'émission de mandats à l'encontre d'officiers a été largement reprise et commentée par les médias salvadoriens. Elle faisait la une des journaux télévisés le soir même. Le gouvernement s'est immédiatement fendu d'un communiqué au ton très général, affirmant qu'il ne remettrait pas en cause la loi d'amnistie et n'extraderait certainement pas les quatre officiers, preuve qu'il est très sensible au retour de certains fantômes.
La décision de la justice française ravive des plaies que ne guérit pas la loi d'amnistie, elle vient aussi appuyer tous ceux qui se battent contre l'amnistie, considérant qu'une paix solide ne se bâtit pas sans rendre justice. La famille de Madeleine ressent cette décision comme une victoire de la justice, elle la partage avec les familles des milliers de Salvadoriens qui ont, comme Madeleine, donné leur vie, à qui l'armée a, comme à Madeleine, pris la vie.