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Le nouvel enfer des « maquilas »

Par Sylvain Hervy

« L'alternative pour les Coréens et les Taïwanais est de chercher des pays qui soient plus proches de leur principal marché. Des pays qui ont peu ou pas de quotas pour exporter leurs produits aux Etats-Unis, et qui, de plus, disposent d'une main-d'oeuvre abondante, bon marché et productive. Où peuvent-ils aller pour obtenir le plus de profits ? Bingo ! Au Salvador. » (« La Prensa Grafica », 7 mars 1995)

Depuis quelques mois, les conflits sociaux de multiplient dans les maquillas. Ces usines d'assemblage produisent pour exporter toute leur production en bénéficiant de conditions financières très intéressantes. Le seul produit local est la main d'oeuvre. Au Salvador, il existe 208 de ces usines, dont 143 dans le textile et la confection. Dans ce secteur, 35 maquilas sont la propriété de groupes étrangers, principalement coréens, taïwanais et nord-américains ; 117 appartiennent à des Salvadoriens.

Elles emploient une très forte majorité de femmes. Les maquilas sont installées dans des zones franches qui les exemptent des taxes d'importation et d'exportation et de l'impôt sur les bénéfices pendant les quinze premières années suivant la mise en route de l'usine. Pour les propriétaires d'usines, le Salvador ressemble à un paradis, en revanche, pour les travailleurs, il ressemble plus à l'enfer. Leurs droits en tant qu'humains ne sont pas respectés, et le code du travail est totalement ignoré par les dirigeants des usines. Les salaires en vigueur dans les zones franches sont inférieurs de moitié au salaire minimum salvadorien. Les salariés des maquilas gagnent environ 4 dollars par jour, pour des journées de travail dépassant souvent les dix heures, les heures supplémentaires ne sont quasiment jamais payées.

Voici quelques exemples de ce qui se passe dans les maquilas. Le 8 février, Cristina Hernandez a été attaquée à l'usine Mandarin dans la zone franche de San Marcos, par un contremaître et le chef de la sécurité de l'usine. Le secrétaire du syndicat de l'usine et un membre du syndicat ont aussi été blessés. Cela s'est produit quand les vigiles de San Marcos ont barré l'entrée des quatre usines de la zone aux syndicalistes qui protestaient contre le licenciement de mille ouvriers qui s'étaient syndiqués. Un incident plus tragique s'est produit le 1er mars à l'usine Gabo. Julia Quintanilla, une des ouvrières, est morte d'une gastro-entérite, les contremaîtres lui ayant refusé la permission de quitter son travail pour aller à l'hôpital. Des ouvrières qui avaient organisé une collecte pour aider la famille ont été frappées par des contremaîtres et licenciées sans indemnités. Le 24 février, 65 ouvriers de l'usine Jatex ont été licenciés quand la direction a découvert qu'ils appartenaient à un syndicat. Ces événements ne sont pas isolés, dans chaque maquila, les ouvriers sont maltraités physiquement, ne disposent d'aucun droit, et surtout, le droit de se syndiquer leur est refusé, sous peine de licenciement immédiat.

Des contrôles inexistants

Devant le nombre de manifestations, grèves et occupations d'usines par les ouvriers des maquilas, le gouvernement est obligé de réagir. Cependant, le discours du président Calderon Sol change souvent sur ce sujet, tiraillé entre l'objectif de diminuer le chômage, celui d'augmenter les exportations, et les engagements des accords de paix pour modifier le code du travail dans un sens plus favorable aux salariés. Lors de son discours à la nation le 1er janvier, il déclarait vouloir transformer le Salvador en une immense zone franche. Depuis, l'implantation des maquilas autour de San Salvador s'est accélérée, et selon Calderon Sol, elles emploient 65 000 personnes.

Au fur et à mesure que les conditions de travail dans ces usines étaient publiquement dénoncées, le président déclarait que les abus ne pouvaient être permis, et qu'il avait donné des instructions au ministre du Travail pour que des inspections soient menées dans les maquilas pour vérifier les plaintes enregistrées. Et il ajoutait qu'il souhaitait renforcer les lois sur le travail pour qu'elles soient les mêmes que les employeurs soient salvadoriens ou étrangers. Au même moment, l'inspecteur général du ministère du Travail déplorait le manque de moyens mis à sa disposition : avec seulement trente inspecteurs du travail et quatre véhicules, une inspection sérieuse n'est pas possible.

Ajoutons que, bien souvent, la direction des usines ne permet pas aux inspecteurs d'entrer dans les maquilas. Pour résoudre ces problèmes, le gouvernement n'envisage pas d'augmenter les moyens de l'inspection du travail ni d'obliger les employeurs à laisser les inspecteurs faire leur travail.

Alors que les conflits sociaux dans les maquilas augmentaient avec de nombreuses grèves et occupations d'usines, le discours du président a changé une fois de plus et a rejoint celui des propriétaires d'usines, en accusant les syndicats d'être des instruments des syndicats nord-américains qui cherchent à protéger l'emploi aux Etats-Unis. Le gouvernement, les organisations patronales salvadoriennes, telle l'Association des industries du vêtement (ASIC) et les patrons des maquilas développent tous ce thème, relayés par les principaux journaux salvadoriens.

Les syndicats en accusation

« Derrière les problèmes des conditions de travail, il existe une campagne des syndicats nord-américains qui essaient de déstabiliser les maquilas », déclarait Francisco Escobar Thompson, le président de l'Asic. Il en veut pour preuves les occupations d'usines de confection des maquilas asiatiques autour de San Salvador. Arena utilise ses arguments traditionnels dans cette affaire en clamant que le but des grèves est de « faire fuir les investissements étrangers et de faire obstruction au plan économique du gouvernement », que les problèmes dans les maquilas « répondent à des intérêts étrangers, que leur but est de déstabiliser, et que la gauche est impliquée ». Cela a conduit des députés d'Arena à proposer des amendements à la loi qui régit les zones franches, pour « stimuler les créations d'emplois ».

Répression syndicale

L'Association nationale des entrepreneurs et l'Asic ont appuyé ces propositions en les clarifiant. Ces deux organisations patronales ont demandé que le ministère du Travail renforce les lois contre les grèves et les occupations d'usines.

L'ajout de nouvelles entraves aux droits syndicaux ne peut que rencontrer l'approbation des patrons des maquilas qui voient les syndicats comme des conspirations contre leurs entreprises, et pensent qu'il faut absolument licencier les dirigeants syndicaux.

C'est ce que déclarait Saem Jae Kim, directeur de l'usine Sangbanwool, quand il expliquait pourquoi il avait licencié cinq dirigeants syndicaux et trois syndicalistes au mois de mars : «Ils ont violé les normes de l'usine et nous avons découvert que certains essayaient de conspirer contre la compagnie » Après l'occupation de l'usine Mandarin le 8 février, la direction a licencié toutes les ouvrières grévistes par crainte de la création d'un syndicat, bien que l'article 47 de la Constitution et l'article 204 du code du travail garantissent la liberté syndicale.

Les patrons ont interdit la reprise du travail aux syndicalistes, en menaçant de fermer l'usine comme ils l'avaient déjà fait au Honduras. L'un des propriétaires, Christopher Lee, déclarait : « J'ai licencié un groupe d'agitateurs parce qu'ils nuisaient à la production. Leurs grèves et leurs obstructions au travail mettaient en danger le niveau de production, augmentaient les coûts et nous enlevaient des clients en causant du tort à l'image de la compagnie. » Comme son homonyme, celui-ci vampirise les ouvrières salvadoriennes, et ce n'est pas du cinéma.


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