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Haïti : un nouveau départ

Par Laurent Beaulieu

Trois ans de dictature n'ont pas réussi à anéantir le mouvement démocratique et la gauche haïtienne. L'Organisation politique Lavalas se veut l'héritière du mouvement social qui avait balayé le pays lors de l'élection de Jean-Bertrand Aristide. Elle veut rompre avec la politique haïtienne traditionnelle. Nous avons interrogé une de ses fondatrices, l'historienne Suzy Castor

Selon Suzy Castor, l'élection de Jean-Bertrand Aristide en 1990 fut le produit d'un « grand mouvement social qui secouait le pays depuis de nombreuses années » et avait amené la chute de Duvalier. Elle considère que Lavalas n'était pas un mouvement spontané, anarchique, comme beaucoup ont voulu le croire, mais au contraire un mouvement très profond.

Après les élections, « il apparut nécessaire d'organiser ce mouvement social. Un groupe s'attela à cette tâche afin de constituer l'Organisation Lavalas ». « Pendant sept mois, nous dit Suzy Castor, nous avons travaillé à lui donner une structure et des racines. Au moment du coup d'Etat, il n'y avait peut-être encore qu'un squelette d'organisation. Mais elle avait déjà des ramifications dans tout le pays. »

Sous la dictature, elle est devenue l'Organisation politique Lavalas (OPL). Pendant trois années, l'OPL a participé aux luttes pour le retour de la démocratie et du président Jean-Bertrand Aristide. Selon Suzy Castor, à travers ces luttes, les structures de l'OPL se sont renforcées. Des représentants de toutes les régions du pays se sont réunis à plusieurs reprises durant la dictature. Des textes de bilan et des documents programmatiques ont été publiés.

Après le retour du président Aristide, le 15 octobre 1994, l'OPL s'est donnée plusieurs objectifs : « conquérir le plus possible d'espaces démocratiques, occuper des espaces de pouvoir au sein de l'appareil d'Etat, participer à la mise en place d'institutions démocratiques pour arriver à un fonctionnement démocratique et recouvrer une souveraineté pleine et entière ».

Selon Suzy Castor, « l'OPL veut être une organisation de type nouveau, qui prétend refléter un grand mouvement social». On retrouve dans l'OPL cinq courants qui sont partie prenante de ce mouvement : « celui de la petite Eglise, celui du mouvement paysan organisé, un courant plutôt radical des années 75-80, un courant composé de socialistes, de communistes et de nationalistes, et le courant des gens qui n'ont jamais été organisés mais sont partisans du changement, sont des patriotes, des partisans du président Aristide ».

En Haïti, les formations politiques sont presque toutes les organisations d'un seul homme, d'un « leader ». Selon Suzy Castor, « l'OPL veut rompre avec cette tradition. Elle possède une direction collective composée d'une coordination nationale et d'un comité exécutif de sept membres ».

Vers des élections au printemps

Au printemps vont se dérouler des élections très importantes. Les Haïtiens éliront des députés, des sénateurs, des maires, des conseils municipaux de commune et de section. En tout, trois mille postes sont à pourvoir. L'OPL estime être en mesure de présenter des candidats à tous les niveaux. Tous ne seront pas membres de l'OPL et certains pourraient même appartenir à d'autres organisations politiques partageant les mêmes options. Cependant, l'OPL veut tirer les leçons de l'expérience amère des élections précédentes. En 1990, Jean-Bertrand Aristide s'était présenté, pour des raisons administratives, sous l'étiquette du Front national pour le changement et la démocratie (FNCD), un regroupement assez lâche de formations politiques. Le FNCD accorda ensuite son investiture à toutes sortes de candidats aux postes de députés, de sénateurs, ou de maires. « Ils n'avaient aucune obligation. Ils n'étaient pas choisis à partir d'un programme. Le peuple a payé un lourd tribut pour cette erreur », affirme Suzy Castor. En effet, nombre d'entre eux ont soutenu le coup d'Etat.

Les candidats qui porteront les couleurs de l'OPL devront, quant à eux, « partager un même programme, une même vision, et s'engager, une fois élus, à remplir tous les devoirs que comporte ce choix ». D'ici les élections, l'OPL veut donc entreprendre un travail important pour former ses candidats et ouvrir des bureaux en province. Mais elle manque de moyens matériels pour accomplir cette tâche.

Dans les années suivant la fin du duvaliérisme, plusieurs partis politiques de gauche se sont constitués ou ont surgi de la clandestinité. Aucun n'a réussi à s'enraciner à l'échelle nationale. Et plusieurs se sont discrédités en tentant de s'accomoder de la dictature militaire. La plupart présenteront des candidats. Pour Suzy Castor, « la diversité est bénéfique et la compétition le sera aussi ».


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