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Mexique : les « règles du système »

Par Jose Esteban

Avec les élections du 21 août dernier, un cycle vient de s'achever pour le Parti de la révolution démocratique. ...mergeant de la vaste coalition qui avait bien failli renverser le PRI en 1988, le parti de Cardenas, arrivé en troisième place dans les suffrages, panse aujourd'hui ses plaies. Bien que ce résultat ne faisait pas l'ombre d'un doute pour les médias internationaux, il en était tout autrement dans le pays: au lendemain des élections une forte commotion a envahit les rangs cardénistes.

Pour nombre de militants du PRD, comme pour une grande partie de la gauche, la victoire de Cardenas était possible. A une semaine des élections, alors que le candidat remplissait le Zocalo de foules enthousiastes, elle semblait même pour beaucoup inévitable. L'équation était infaillible: si les électeurs se rendaient massivement aux urnes, même la fraude ne pourrait empêcher Cardenas de s'imposer. Le Mexique profond, renonçant à son abstention désabusée, porterait nécessairement son choix sur Cuauhtemoc. Le PRD vaincrait, parce que lui seul incarnait la nation véritable, celle des femmes et des hommes au teint foncé et aux pommettes saillantes, celle des rues et des campagnes, le pays réel.

Ce mythe fondateur, sur lequel reposait la mobilisation fervente des militants cardénistes, s'est trouvé brutalement détruit au lendemain des élections: le taux de participation s'est élevé à près de 80%, et le processus électoral, bien que grevé d'innombrables irrégularités, s'est déroulé dans de meilleures conditions que les précédents.

Pendant les six années du mandat de Salinas, le PRD et son leader ont été confrontés au pires difficultés. Il fallait d'abord, au lendemain du coup de force de 1988, consolider l'appui que Cardenas avait trouvé au sein de la population mexicaine. La création d'un parti ne fut qu'un moindre mal. Le PRD a, depuis sa création en 1989, eu toute les peines du monde à faire coexister dans la même structure les différents courants allant des membres de la fraction nationaliste du PRI, qui avait suivi Cardenas, à divers mouvements de la gauche révolutionnaire qui avaient soutenu le candidat.

L'acharnement de Salinas

La nouvelle formation politique a immédiatement été victime d'une véritable persécution de la part du gouvernement de Salinas. L'existence même d'un parti réuni autour de celui qui proclamait, sans doute avec raison, avoir remporté les présidentielles, était intolérable pour le président. Ce dernier se heurtait à un grave problème de légitimité. Et dans un pays où la population était lassée de voir des partis dits d'opposition flirter avec le pouvoir en place, Cardenas ne pouvait se permettre de reconnaître l'autorité du président. Cardenas et ses partisans étaient contraints de rompre avec les «règles du système» en refusant de se soumettre au président. Le PRD s'est ainsi retrouvé enfermé dans une dynamique de confrontation et d'intransigeance. Le gouvernement s'est acharné sur le mouvement, poussant celui-ci à la radicalisation. Il n'y est pas allé par quatre chemins: près de 300 militants du PRD ont été assassinés pendant le sexenat de Salinas. Le PRD s'est par ailleurs vu refuser toute victoire électorale importante, n'obtenant jamais un poste de gouverneur, pas même dans le Michoacan, le bastion de Cardenas, et a dû se contenter de quelques mairies et sièges parlementaires.

Alors que la candidature de Cardenas en 1988 a engendré, en ébranlant le système, une première et incontournable ouverture politique, c'est paradoxalement le PAN qui en a récolté les fruits. Engageant résolument des négociations serrées avec le régime, le parti de la droite catholique a, lorsque le rapport de force penchait en sa faveur et moyennant la reconnaissance de l'autorité présidentielle, matérialisé de considérables avancées politiques.

D'un autre côté, le gouvernement de Salinas a consacré une part considérable de ses énergies à reconquérir la fraction de l'électorat que Cardenas avait ravi au parti d'Etat en 1988. Le régime a littéralement racheté ces populations rebelles en arrosant de réalisations (installation de l'électricité, de l'eau, revêtement de rues, construction d'écoles et d'hôpitaux...), au travers du programme Solidaridad, les zones où l'opposant avait remporté la majorité des suffrages.

Il faut dire aussi que les «succès» macro-économiques du gouvernement ont fortement contribué à séduire les électeurs. La classe moyenne voyait sa situation s'améliorer. Plus généralement la population mexicaine, fort sensible à l'image de son pays ainsi qu'à la propagande optimiste du régime en ressentait quelque satisfaction.

Images, images

Même après le soulèvement zapatiste, qui rappelait au pays le retard et la situation misérable de vastes zones de la République, le discours tissé de douleur et de ressentiment du PRD tranchait avec l'image qu'une large fraction de la population voulait se faire du Mexique. Cardenas n'est jamais parvenu à trouver ni le ton ni les mots qui lui auraient permis d'étendre son influence au-delà de l'électorat qui lui était déjà acquis.

Il a manqué de formules simples, claires et frappantes. Une défaillance «communicationnelle» pourtant impardonnable dans un pays où la télévision est omniprésente. «Cardenas est un personnage tragique: les efforts de ce politicien traditionnel ont contribué à l'avénement d'un système politique dans lequel il n'a plus sa place», remarque Jean-François Prud'homme, politologue canadien.

Le PRD se trouve à présent mis en demeure de repenser de fond en comble sa stratégie. Son attitude vis-à-vis des «règles du système» devra peut-être changer, comme semble déjà l'annoncer les négociations entreprises au lendemain des élections, et qui ont débouché le 17 janvier dernier sur la signature d'un accord avec le PRI et le PAN prévoyant notamment l'approfondissement des réformes électorales. Ce processus qui prolonge les négociations menées pendant les dernières années, avec en particulier les Engagements pour la paix et la démocratie signés le 10 janvier 1994, constitue selon Jean-François Prud'homme un pas déterminant: il ratifie l'existence de trois principales forces politiques dans le pays, en excluant les traditionnels partis satellites dont le régime se servait pour créer l'illusion du pluralisme. Le PRD devrait désormais mettre fin à la «stratégie maximaliste» et intransigeante qu'il suivait jusqu'à présent, et devrait commencer à « se comporter en fonction de sa force réelle, continuer de chercher à accroître son influence, de négocier de meilleures règles du jeu ».

Ainsi, ce parti électoralement déconfit, que l'on aurait pu croire en voie de marginalisation, a immédiatement été sollicité par le gouvernement, montrant qu'il constitue une composante incontournable du système politique. Le président Salinas a créé la surprise en reconnaissant publiquement « les importantes contributions de Cuauhtemoc Cardenas à la construction de la démocratie mexicaine ». Le gouvernement, naviguant dans un contexte fort délicat, avait besoin de créer un climat de réconciliation nationale et d'obtenir le soutien de l'ensemble des partis politiques. Ce besoin est devenu absolument vital avec l'explosion de la crise monétaire.

Conciliation ou intransigeance

Le PRD n'a pas dédaigné la perche qui lui était tendue. En termes de poids dans le système politique, il avait tout à y gagner. Refuser aurait sans doute signifié une marginalisation difficilement réversible. Cette attitude conciliante risque cependant d'avoir de lourdes conséquences. En se prêtant à la négociation ouverte avec le régime, il s'expose en premier lieu à une fracture: de nombreux groupes au sein de l'organisation désapprouvent totalement cette stratégie. Par ailleurs, pendant qu'il tendait la main au gouvernement, le parti a tourné le dos aux zapatistes, alors que, si cette opportunité lui a été offerte, c'est bien grâce au climat de tension que les insurgés entretiennent dans le pays depuis le début de l'année dernière.

Le PRD a sans aucun doute payé un lourd tribut à son intransigeance passée. Cependant, ce maximalisme était ce qui le rendait attrayant pour une fraction considérable de son électorat. Il risque à présent de se couper de plus en plus de ce dernier, comme de la Convention nationale démocratique qui de son côté s'oppose à toute concession.

La base de la CND se montre depuis longtemps extrêmement critique vis-à-vis du PRD, dont plusieurs dirigeants ont profité de leur appartenance à la présidence du mouvement pour orienter celui-ci dans un sens favorable à leurs intérêts. La CND a jusqu'à maintenant fait preuve d'une absence totale de cohésion, et d'une incapacité complète à défendre les zapatistes. Cependant cette organisation semble, si elle parvient à se consolider, appelée à introduire une rupture profonde dans les pratiques politiques mexicaines. Ces dernières consistent depuis toujours en un jeu d'élites s'appuyant sur un réseau de clientèle pour négocier leur place dans le système. Si le PRD avait rompu, avec cette logique au niveau de ses rapports avec le régime, il n'y échappe pas au niveau interne. Plus qu'une formation intégrant des tendances plurielles, le PRD est en effet vite apparu comme un assemblage perpétuellement au bord de la rupture et soumis à une logique de groupes négociant leur pouvoir respectif en s'appuyant sur des rapports clientélistes.

Plus peut-être que les secousses successives qu'il a infligé au système politique mexicain, accélérant par là nombre de changements, l'héritage des zapatistes consiste en une nouvelle façon de faire de la politique.

«Mandar obedeciendo»(commander en obéissant): une politique autogestionnaire où les membres du groupe désignent librement et directement leur dirigeants, ceux-ci étant contraints à tout moment de rendre des comptes et susceptibles d'être révoqués au moindre abus. Ce principe millénaire d'organisation des communautés autochtones vient de faire son entrée dans la politique mexicaine. Parmi les critiques les plus virulentes venues de la base de la CND, beaucoup s'adressaient au comité de présidence: on reprochait à ses membres de vouloir utiliser l'organisation pour leurs intérêts personnels. Les militants ne sont plus disposés à laisser quiconque, leurs dirigeants pas plus que le PRD, les utiliser.


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