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L'URNG et la société civile

par Hugues Cayzac

Grâce au soutien de différents secteurs sociaux, l'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG) est devenu un acteur politique incontournable, tandis que la société civile s'organise.

L'adolescent que l'on croise dans les couloirs du métro parisien vêtu d'un tee-shirt imprimé de la célèbre effigie de Che Guevara se doute-t-il qu'en certains endroits du monde il est encore des hommes qui luttent contre l'injustice les armes à la main ? Entre autres au Guatemala, là où le célèbre médecin argentin, fuyant le pays lors du coup d'Etat organisé par la CIA en 1954, se convainc définitivement que les révoltes pacifiques sont vouées à l'extermination. L'opposition armée en Amérique latine n'étant qu'un moyen et non un but en soi, elle existait avant que ne se déclenche la révolution cubaine et se prolongera après la disparition du monde bipolaire. La vision libérale qui veut que les mouvements d'opposition armés issus des années soixante sur ce continent soit passés « de mode » de même que la démocratisation serait devenue « à la mode » est une vision réductionniste et confuse. Comme le montre l'apparition au sud du Mexique de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) qui vise davantage à participer à l'émergence d'une société civile à même de défendre ses droits face à un Etat oppresseur qu'à emprunter le chemin le plus direct pour une prise de pouvoir qui pourrait s'avérer fragile. L'échec de la démarche hégémoniste du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) au Nicaragua et du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) au Salvador, après la perte progressive de leurs appuis populaires, l'illustre tristement.

Au Guatemala, la guérilla opère maintenant depuis une trentaine d'années. Malgré les deux échecs de ce mouvement armé en 1966 et 1981, aucune sortie de crise ne semble envisageable sans sa participation. De l'avis de l'ensemble des observateurs nationaux et internationaux, la fin du conflit armé interne est inimaginable sans une négociation entre le gouvernement, l'armée et l'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG). Celle-ci bien que n'ayant jamais réussi à dégager des zones libérées, fut le seul facteur à même d'ébranler dans ses fondements le pouvoir de la caste militaire. Ce pour quoi elle reçut de tout temps l'appui de différents secteurs sociaux y compris quelques chefs d'entreprise et ce qui en fait un acteur politique national incontournable.

Une terrible expérience

L'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), née en janvier 1982 est le fruit de la réunion stratégique de l'Armée de guérilla des pauvres (EGP), de l'Organisation du peuple en armes (ORPA), des Forces armées rebelles (FAR) et du Parti guatémaltèque du travail-Noyau de direction (PGT-ND). Qu'elles soient d'obédience ou d'inspiration castro-guévariste, fortement teintées de théologie de la libération, ou bien enclines à des références plus indigénistes, ou encore répondant à un marxisme-léninisme plus orthodoxe, ces quatre organisations se retrouvent alors sur une base minimale en cinq points succincts. Le moment se prête effectivement peu aux réflexions programmatiques: le pouvoir a opté pour l'extermination, face au développement rapide de l'implantation de ces mouvements politico-militaires dans les communautés indiennes depuis la fin des années soixante-dix. Les massacres seront la première étape d'un plan contre-insurrectionnel actuellement à cheval entre sa deuxième et sa troisième étapes d'application, à savoir le passage du contrôle systématique des populations à la mise en place d'un développement sous haute surveillance.

Cette politique dite de « terre brûlée » des militaires destructure le pays dans tous ces aspects. Les communautés s'éparpillent, les familles éclatent, les solidarités sont écartelées et les généraux triomphent. Ils ont réalisé leur dessein, retirer l'eau au poisson: la guérilla reflue, ses fronts sont désarticulés, ses bases sociales se disséminent. Ces effets diffèrent légèrement d'une de ses composantes à l'autre, selon la stratégie que chacune avait choisi concernant la lutte de masses: la création d'organisations de masses, le rejet de cette optique ou bien l'entrisme dans le mouvement syndical. Cette débâcle souligne l'importance de la nature de l'articulation qui existait entre l'URNG et l'ensemble des mouvements sociaux et populaires. Partant des leçons de cette expérience terrible, chaque organisation, chaque militant se pose la question: cet holocauste fut-il facilité par le lien trop étroit entre la guérilla et certains mouvements sociaux ou, au contraire, fut-il trop ténu ?

Tandis que l'URNG se restructure sur le terrain et lance une offensive politico-diplomatique d'envergure en direction des instances internationales, des associations de défense des droits de l'homme apparaissent ainsi que de nouvelles organisations sociales et syndicales. Des animateurs politiques choisiront de lutter pour les droits de leur population par une démarche d'organisation non gouvernementale (ONG). Depuis cette époque jusqu'à aujourd'hui, la propagande officielle fait inlassablement l'amalgame entre l'ensemble de ces organisations et la « subversion ». A plusieurs reprises durant ces derniers mois, Rosalina Tuyuc, présidente de la Coordination nationale des veuves du Guatemala (CONAVIGUA) et cible privilégiée des dénonciations du ministre de la Défense, souligne à juste titre deux choses. Tout d'abord qu'elle a créé cette association parce qu'elle a choisi ce type de combat; si elle considérait la lutte armée comme lemoyende résoudre les problèmes, elle ne serait pas militante de la CONAVIGUA. Elle rappelle ensuite que montrer ainsi des personnes du doigt est la meilleure façon de les désigner aux Escadrons de la mort.

Entre la négociation et les armes

Le Guatemala est toujours en guerre. Une guerre circonscrite à certaines régions du pays et dont la majorité des Guatémaltèques préfèrent se tenir éloignés. Derrière un président civil depuis 1986, les généraux gardent la haute main sur l'Etat et la répression continue d'être leur méthode préférée parce que selon eux la plus efficace. La guérilla ne rassemble plus que quelques centaines de combattants et il est difficile de mesurer son influence politique dans la société civile. Echappant aux risques d'isolement total, elle s'est assise depuis trois ans à la table des négociations pour la signature d'un accord de paix. Dans ses rangs, les opinions peuvent être diverses: du commandant déclarant en conférence que les négociations sont la seule voie viable, au guérillero rencontré dans la jungle de l'Ixcan confiant que les armes ne sont pas inutiles dans un pays où les autorités n'apportent aucune garantie quant à l'application de leurs engagements.

L'émergence de la société civile

Dans une situation qui parait de prime abord inconfortable pour elle, I'URNG tente de tirer le maximum de ces pourparlers. S'appuyant sur l'intérêt porté par les Nations-unies -- dont est issu le médiateur -- et la communauté internationale au règlement du conflit, la guérilla a su imposer un calendrier de négociations par thèmes. A été mise en place une Assemblée des secteurs civils (ASC), présidée par monseigneur Quezada Toruno, ancien médiateur, qui rassemble l'ensemble des organisations de défense des droits de l'homme, sociales, syndicales et populaires ainsi que des organismes tels que les coopératives et les universités. L'objectif de cet organisme est consensuel, son rôle consistant à présenter une plate-forme de suggestions aux deux parties avant que soit abordé un nouveau thème. Seul absent, la Chambre patronale (CACIF) qui apparaît plus que jamais sous son véritable jour: un verrou antidémocratique.

Dans cette nouvelle démarche où l'URNG défend les demandes de la société civile à la table des négociations, qu'elle menace de suspendre si les autorités ne respectent pas les accords signés, on songe parfois aux zapatistes du Chiapas: la guérilla guatémaltèque, tout en se déplaçant de l'activité militaire à l'intervention politique, a abandonné le chemin qui devait la mener au pouvoir d'Etat.

Cela pour, dans un pays où le féodalisme subsiste sous de nombreux aspects, soutenir l'émergence d'une société civile encore embryonnaire.


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