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Café-cacao : le yoyo des cours

Par Sylvie Laporte

En septembre dernier, le président du Conseil salvadorien du café, Ruben Pineda, a dénoncé une « offensive » des acheteurs de la Bourse de New York qui serait selon lui la cause d'une chute brutale des cours, et menacerait l'accord passé entre les pays producteurs.

Cet accord, comportant un « plan de rétention » du café a été mis en place en 1993 par 28 pays producteurs d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, représentant plus de 80 % de l'offre mondiale, et regroupés dans l'Association des producteurs de café (ACP). Celle-ci se veut une structure de coopération multilatérale à caractère durable. Ses objectifs sont les suivants : promouvoir la coordination des politiques caféières entre les membres, promouvoir l'augmentation de la consommation, rechercher un équilibre entre l'offre et la demande mondiales en vue d'obtenir des prix équitables et rémunérateurs, promouvoir l'amélioration de la qualité, contribuer au développement des pays producteurs et à l'élévation du niveau de vie de leurs populations.

Relancé au début de l'année 1995, le plan de rétention est un accord, en principe non contraignant, de retenue de 20 % des exportations des pays.

Ainsi, six pays exportateurs d'Amérique latine, le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, le Salvador, le Honduras et le Nicaragua, se sont mis d'accord à Bogota en juillet dernier, pour réduire leur offre à l'exportation afin de faire remonter les prix. Chaque pays est à la recherche de financements pour subventionner la réduction de l'offre exportable, ce qui laisse présager des difficultés. L'existence même de ce plan de rétention constitue un symptôme de l'instabilité chronique du marché mondial du café, instabilité qui, comme celle du cacao, a eu tendance à s'aggraver au cours des années récentes.

Instabilité et incertitudes

Les prix mondiaux du café s'étaient effondrés en 1992 et au cours du premier semestre de 1993, pour atteindre leur niveau le plus bas depuis 1929. Une évolution défavorable a également pu être constatée pour le cacao, ainsi d'ailleurs que pour la plupart des matières premières d'origine tropicale ou subtropicale (coton, sucre, sisal, etc.). Dans ce contexte, le plan de rétention (conjugué à des facteurs climatiques comme les gelées puis la sécheresse au Brésil) a permis une indéniable récupération des prix du café en 1994 (45 % d'avril à septembre), et une diminution des stocks (1). Mais aujourd'hui l'évolution des cours reste difficilement prévisible. Cette stratégie des pays producteurs n'est probablement rien de plus qu'un expédient fragile, dont l'effet est surtout conjoncturel, et qui paraît à la merci du premier désaccord entre les différents partenaires ; dans le passé, les cartels de producteurs des différents produits tropicaux ont la plupart du temps échoué, en raison du besoin pressant de recettes extérieures, de la pression de la dette, et de l'encouragement des institutions financières internationales à développer les cultures de rente.

Des firmes géantes

En effet, cette instabilité, comme le maintien des prix à des niveaux insuffisamment rémunérateurs, a des raisons structurelles. Café et cacao présentent beaucoup de points communs. Le type de demande qui s'adresse à eux tout d'abord. Ces deux productions sont considérées parmi les matières premières alimentaires comme des boissons « stimulantes » et comme des produits de luxe, dans la mesure où leur consommation est essentiellement localisée dans les pays industrialisés. On peut mentionner l'exception du Mexique et de la Colombie, pays dans lesquels la production de cacao est peu exportée et où subsiste une consommation traditionnelle. Leur demande augmente en principe avec la croissance économique dans les pays consommateurs mais est peu sensible aux variations des prix : une baisse des cours mondiaux n'entraîne pas de hausse significative des volumes exportés, d'autant plus qu'elle ne se répercute guère sur les prix aux consommateurs. La part des prix aux producteurs dans les prix de détail du café n'a en effet cessé de diminuer, passant de 47 % en 1985-86 à 22 % 1990-1991. La chute des prix se traduit donc par une perte nette pour les pays producteurs.

La consommation de café a plutôt tendance à diminuer depuis plusieurs années. Celle du cacao au contraire augmente, mais se trouve menacée aujourd'hui par l'utilisation de substituts : ainsi, on évoque la perspective d'une modification de la réglementation européenne sur les composants du chocolat, qui pourrait comporter d'autres graisses que le cacao.

Par ailleurs, les conditions de culture entraînent une assez grande rigidité de l'offre. Il s'agit en effet de cultures de rente, à caractère pérenne, c'est-à-dire d'arbustes dont l'exploitation dure plusieurs années, mais avec une production saisonnière. En revanche, la rémunération insuffisante des producteurs détériore parfois les conditions de production. Les difficultés d'entretien des plantations, qui sont souvent de petite taille, entraînent une baisse des rendements, avec possibilité de pénuries à terme, et donc des à-coups d'autant plus violents dans l'évolution des cours mondiaux. On assiste ainsi dans la période récente à une amplification de tous les mécanismes. Pour le cacao, depuis le début des années soixante, les variations des prix réels sont inverses de celles des stocks (2). Ce sont les excédents ou les pénuries de cacao qui entraînent des fluctuations des cours.

Les prix aux producteurs ont longtemps été contrôlés par les gouvernements, par le biais de caisses de stabilisation ou d'offices de commercialisation, tout au moins dans les zones traditionnelles de production. Mais cette organisation a été largement remise en cause depuis le début des années quatre-vingts par les politiques d'ajustement structurel. Les réactions des petits producteurs aux variations de prix ne sont pas toujours conformes à ce que prévoient les modèles économiques.

Ces deux cultures étant situées dans la zone forestière intertropicale humide, deux pays y tiennent une place très importante : le Brésil et la Côte d'Ivoire, à propos desquels les prévisions concernant les récoltes ont un grand impact sur l'évolution des cours, souvent sur la foi de simples rumeurs. On constate globalement une tendance à l'augmentation de la part des exportations d'Amérique latine (orientée surtout vers l'Amérique du Nord) et surtout d'Asie au détriment de l'Afrique de l'Ouest qui reste pourtant le producteur quantitativement le plus important. L'aggravation de la concurrence entre pays, avec davantage de producteurs pour un marché qui n'augmente pas, provoque une redistribution des parts de marché selon la loi du plus fort.

Pour le cacao, on peut noter que la régulation par les prix et par les stocks ne fonctionne plus à partir de 1990 : les stocks diminuent mais les cours ne remontent pas de façon correspondante.

Le marché mondial du café et du cacao, comme celui des autres produits tropicaux, est organisé par des sociétés de négoce qui servent d'intermédiaires. Si les deux produits sont souvent traités en même temps, le marché du cacao est l'un de ceux qui présentent le plus grand degré de concentration : deux entreprises britanniques assurent les trois-quarts des échanges. Par ailleurs, ces sociétés de négoce sont aussi présentes dans les activités de transformation du produit - y compris le broyage souvent réalisé dans les pays producteurs, en particulier au Brésil. Depuis dix ans, la tendance à l'internationalisation et à la concentration de la filière s'est accrue. Au dernier stade de la transformation, c'est-à-dire l'industrie du chocolat, ce sont des très grandes firmes agro-alimentaires qui dominent, les mêmes en général que pour la torréfaction du café (Nestlé, General Foods).

Cependant, la concentration de la production et des échanges ne permet pas à elle seule de comprendre le fonctionnement du marché mondial de ces produits. Il faut y ajouter la spéculation, c'est-à-dire les marchés à terme : non plus des transferts physiques de marchandises mais des transactions « papiers » purement financières. Les négociants effectuent des opérations de couverture face aux risques de variations de prix entre l'achat et la livraison et les spéculateurs prennent à leur charge les risques financiers des opérateurs, en espérant tirer un profit de l'évolution des prix. D'une façon générale, le rôle joué par les « effets d'annonce », c'est-à-dire les prévisions et les rumeurs, stimulent les opérations spéculatives et accentuent l'instabilité des cours. Ainsi, à la suite du plan de rétention du café, l'augmentation des prix a été renforcée par les interventions massives des spéculateurs des bourses de New York et de Londres : les masses d'argent en jeu augmentent, pour un marché de plus en plus étroit.

L'echec des accords de stabilisation

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les périodes de stabilité et de hausse des cours correspondent aux périodes d'application d'accords internationaux. Les périodes d'instabilité et de baisse correspondent au contraire aux périodes de marché libre. On a pu repérer pour le café les étapes suivantes : flambée après guerre jusqu'en 1954, puis chute jusqu'en 1960, stagnation de 1960 à 1975, puis nouvelle flambée comme la plupart des matières premières au milieu des années soixante-dix, puis rechute, et effondrement depuis 1985.

Or depuis plusieurs années, des accords internationaux de stabilisation du café et du cacao, passés sous les auspices de la Cnuced, ont connu les plus grandes difficultés. Ces accords prévoyaient à l'origine des fourchettes de prix indicatifs, et la constitution de stocks tampons cofinancée par les producteurs et les consommateurs. Cependant, pour être efficaces, de tels dispositifs supposaient un contôle minimum du volume des exportations avec la mise en place de quotas par pays.

Or en juillet 1989, le contingentement des exportations de café a été suspendu. On peut voir là le début du marasme des dernières années. En moins de trois ans en effet, la chute des cours mondiaux du café a atteint 40 % et celle des recettes d'exportations 50 %, en dépit d'un effort d'augmentation en volume des exportations. En juin 1992, l'accord - ou plutôt ce qu'il en restait - arrivant à expiration, a été prorogé jusqu'en octobre 1993, puis devant l'échec des négociations, jusqu'en octobre 1994. Finalement, sous l'effet du plan de rétention, un cinquième accord a été signé pour cinq ans en mars 1994. Mais à nouveau il ne s'agit que d'un dispositif administratif, a minima, et dont l'effet a toutes les chances d'être nul. Les pays consommateurs résistent à la mise en place d'un accord véritable et comportant des clauses économiques. Les Etats-Unis en particulier sont favorables au marché libre pur et simple, ou tout au moins à un accord qui ne serait guère différent du marché libre.

L'évolution est comparable pour le cacao. Le dernier accord de cinq ans signé en 1986 sous l'égide de l'Organisation internationale du cacao (ICCO) et prorogé jusqu'en 1993 ne contient que des chiffres indicatifs de production souhaitable. Il se révèle largement inefficace et de fait ne fonctionne plus depuis le début des années 90. Depuis sept ans, les cours sont à la baisse et faiblement rémunérateurs pour les producteurs.

Et l'Amérique centrale ?

Le tiers monde n'est pas important pour les matières premières mais les matières premières sont importantes pour le tiers monde. On peut étendre ce vieil adage à notre sujet : l'Amérique centrale et les Caraïbes ont très peu d'importance sur le marché du café et encore moins sur celui du cacao, mais pour certains pays de la région ces deux produits gardent une importance vitale, et plus encore pour les producteurs concernés.

Ainsi, en 1993-1994, l'Amérique latine et les Caraïbes représentaient 23 % de la production mondiale en volume de cacao, l'Asie-Océanie 22 % et l'Afrique 54 %. Mais ces chiffres masquent une grande disparité entre les pays de chaque continent : ainsi la Côte-d'Ivoire totalise 62 % de la production africaine, le Brésil 52 % de la production latino-américaine. Le reste se partage entre Equateur (14 %), Colombie (9 %), Mexique (8 %), et République dominicaine (9 %). Le même type de comparaison peut être effectué pour le café, pour lequel les pays producteurs sont plus nombreux (51 en tout). La même année, dix pays d'Amérique centrale et des Caraïbes (3) fournissaient 15 % du total des exportations mondiales, et moins de 20 % des exportations d'arabica. A titre d'exemple, les exportations salvadoriennes de café ne comptaient que pour 3,9 % du total mondial. Pourtant le café représente encore plus de la moitié des exporations salvadoriennes, chiffre en augmentation par rapport au début de la décennie 80. Café et développement semblent encore, et pour longtemps, des termes antinomiques.


Sources

Philippe Chalmin, « Négociants et Chargeurs, la saga du négoce international des matières premières », « Economica », 1986.

Marie-Claude Jacmart, « Le Commerce mondial des produits de base », « Notes et Etudes documentaires » numéro 4589-4590, octobre 1980.

« Economie rurale » numéro 228, juillet -août 1995

« Marchés tropicaux et Pays méditerranéens », différents numéros.

(1) « Marchés tropicaux et pays méditerranéens » numéro 2591, 7 juillet 1995.

(2) « Economie rurale », numéro 228, juillet-août 1995.

(3) Costa Rica, Cuba, République dominicaine, Salvador, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Nicaragua, Panama.


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