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Les allumées annulées de Nantes

Par Hubert

Le lundi 9 octobre à Nantes, tout était prêt pour la « ultima des Allumées ». Il ne restait plus que quelques détails techniques à régler par le CRDC (Centre de recherche pour le développement culturel) quand l'information est tombée dans la soirée : plus d'un Nantais s'est retrouvé hébété, déconcerté, assommé, à côté de ses souliers...« Les Allumées annulées ».

l faut dire que depuis 1990, les Allumées faisaient vibrer la ville durant ces six jours, de 6 heures du soir à 6 heures du matin. Barcelone avait donné le coup d'envoi avec ses troupes : la Fura dels Baus, le danseur chorégraphe Cese Gelabert, et au théâtre Graslin l'extraordinaire opéra moderne de Carlos Santos, Traumuntana Tremens. Les néo-nantais de Royal de Luxe renouent avec la tradition des saltimbanques en jouant leur Véritable histoire de France au pied de la cathédrale. La Chamaille, troupe de théâtre nantaise n'est pas de reste. Othello est joué dans un site grandiose, les hangars désertés des chantiers navals de Nantes.

Et ainsi, les Nantais se réapproprient la vie de leur cité, les Allumées réussissant à réduire la fracture entre vie et culture. C'était un succès populaire qui allait se perpétuer cinq années durant avec, successivement, Saint-Petersbourg en 1991, puis Buenos Aires en 1992, l'année du 500e anniversaire de la découverte de Christophe Colomb par les Amérindiens. La population vit alors à l'heure du tango pendant six folles nuits. Royale de Luxe débarque avec sa « parade », défilé délirant qui avait fait le tour de l'Amérique sur le « cargo 92 ». Puis, ce fut Naples en 1993, et le Caire l'année suivante. Le succès est tel que bien des noctambules resteront frustrés, rien n'est parfait. Bistrots, cafés-théâtres et autres lieux où se produisent les artistes ne peuvent accueillir tant de monde. Les prix élevés freinent plus d'un spectateur. C'est ainsi que, en marge du spectacle officiel, le « off » se met en place. Les locaux désaffectés de l'usine LU feront l'affaire. Le « in » et le « off » sauront s'apprivoiser durant ces folles nuits.

Pour 1995, année de l'ultime festival des Allumées à Nantes, le choix de la ville s'est porté sur la Havane. Les affiches du petit boxeur latino fleurissent sur les murs de la ville. Une nouvelle semaine folle s'annonce. Une occasion pour les anti-impérialistes militants des droits de l'homme et autres de se faire entendre. Très vite se met en place une association, « l'Etincelle des Allumées de la Havane ». Sa raison d'être réside dans une question : « Comment inviter aujourd'hui en 1995 trois cents artistes sans nous reposer la question cruciale de l'embargo prononcé contre Cuba depuis plusieurs décennies ? ». Une manifestation nationale contre l'embargo est prévue à Nantes le samedi du festival.

Le 25 mai 1995 à la Havane, Monsieur Juan Jesus Palau Perez du ministère de la culture de Cuba et Monsieur Jean Blaise, directeur général du CRDC de Nantes, signent un protocole d'accord concernant le festival « Les Allumées Nantes/La Havane 1995 » : « Le CRDC, en tant qu'organisateur du festival, est responsable de la programmation des ``Allumées'' et, dans ce but, il travaillera en coordination avec le ministère de la culture de la République de Cuba ».

Rien dans le protocole d'accord ne fait mention de l'organisation de débats politiques au sein du festival. Et pourtant, le 6 octobre 1995, un Fax du CRDC de Nantes au ministre de la culture cubain présente la liste des invités aux débats prévus. Un journaliste du Monde, peu complaisant à l'égard du régime cubain est responsable des débats. Le vice-ministre de la culture cubain et l'ambassadeur de Cuba en France rencontrent le maire de Nantes pour dénoncer le fait qu'ils se retrouvent devant le fait accompli. La mairie de Nantes propose que les débats ne soient pas intégrés dans la programmation officielle du festival, laissant Le Monde et Télérama responsables du déroulement des débats. Le vice-ministre accepte cette proposition. La mairie propose l'envoi d'un fax le lendemain même pour officialiser cette proposition. Le fax n'arrivera jamais à l'ambassade de Cuba ; par contre, il est remplacé par un programme du CRDC, dans lequel les débats restent intégrés à l'organisation officielle. Pour les Cubains, le contrat signé devient caduc. C'est la rupture. Comment le ministère cubain pouvait-il accepter d'envoyer trois cents artistes alors que se préparait le procès de leur pays ?

Il est tout de même intolérable, et d'une facilité déconcertante, de reprocher à Cuba son manque de démocratie pour avoir soi disant empêché trois cents artistes de sortir du pays quand on sait que le CRDC n'a pas eu le courage d'exprimer clairement ses intentions de débats publics orientés. Naïveté ou manipulation ?

L'Etincelle des Allumées a maintenu la manifestation nationale à Nantes contre l'embargo. Malgré le handicap lié à l'annulation et la campagne de désinformation qui s'en est suivi, cinq cents personnes ont défilé dans une ambiance de salsa. Jeannette Habel est venue exposer la situation de Cuba. Soirée réussie du point de vue du contenu et de la participation. L'Etincelle des Allumées prépare actuellement un conteneur de médicaments pour Cuba, qui partira le 19 janvier, et espère bien voir à Nantes un festival des Allumées Nantes/La Havane


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