Depuis quelques décennies, on assiste à une atomisation sans précédent de l'espace religieux, à tel point que l'on trouve aujourd'hui au Guatemala plus de 300 sectes différentes : témoins de Jéhovah, mormons, adventistes du Septième Jour, mais aussi et surtout une écrasante majorité de communautés protestantes évangéliques, essentiellement pentecôtistes, d'ailleurs présentes sur l'ensemble du sous-continent latino-américain.
Dans les années soixante, le protestantisme fondamentaliste, financé en grande partie par les multinationales religieuses nord-américaines, développe une véritable stratégie de reconquête de l'« homme latino-américain », avec des campagnes massives de prosélytisme s'inspirant de nouvelles techniques psycho-religieuses et de méthodes de marketing. Des « croisades d'évangélisation en profondeur» s'organisent au Nicaragua (1959-1960), au Costa-Rica (1960-1961), au Guatemala (1961-1962).
On estime qu'actuellement 40 millions de Latino-Américains, environ le dixième de la population totale, sont devenus protestants ou évangéliques. Ce chiffre ne donne toutefois qu'une faible idée du phénomène. En effet, cette minorité connaît une progression accélérée et s'avère plus pratiquante, plus prosélyte et plus encadrée que la majorité catholique. Trois pays sont particulièrement touchés : le Brésil (16 % de la population), le Chili (20 % de la population) et le Guatemala (environ 30 % de la population). Ce dernier détient le record du taux de croissance puisque le nombre de protestants y a été multiplié par sept entre 1960 et 1985, et, si le taux de ces 25 dernières années se maintenait dans les 25 suivantes, en 2010, le Guatemala serait protestant à 127 % (1).
En outre, la présence évangélique est devenue plus manifeste dans les vingt dernières années grâce à son institutionnalisation dans divers domaines sociaux : l'éducation, la communication. Depuis la fin des années soixante-dix, on remarque également une présence évangélique dans la promotion d'activités de développement économique et social.
L'introduction massive de ces sectes dans l'espace religieux a créé une situation de tension entre ces dernières et l'Eglise catholique, jusqu'alors peu concurrencée sur le marché des biens de salut. Le terme « affrontement religieux » a été utilisé à maintes reprises dans la presse guatémaltèque pour qualifier le climat qui règne dans le pays depuis quelque temps. Le mot peut paraître un peu fort. Mais s'il n'y a pas de réel affrontement, du moins pas de manière ouverte et institutionnelle, il est sûr que les deux principaux acteurs du champ religieux se livrent une véritable lutte pour obtenir plus de poids et d'influence et, donc, pour améliorer leur position au sein du champ social. Cette lutte se traduit d'un côté par une multiplication des profanations de lieux et d'objets du culte catholique, attribués aux évangéliques iconoclastes pour qui le culte des images, élément crucial de la religion populaire latino-américaine, n'est qu'idolâtrie.
Depuis 1992, la presse guatémaltèque se fait souvent l'écho de vols, incendies ou d'actes sacrilèges dans les différentes églises du pays. Des statues ou reliques avec une signification religieuse importante et faisant l'objet d'une vénération catholique particulière ont notamment été détruites, volées ou partiellement endommagées. Ces profanations touchent de manière privilégiée les lieux symboliques du catholicisme, telles les cathédrales de la ville d'Antigua, considérée comme la capitale religieuse du Guatemala et seule ville où les évangéliques n'ont pas réussi à s'implanter, et redoublent d'intensité lors de la semaine sainte. Par ailleurs, elle se traduit par des attentats visant à détruire des temples évangéliques. Des affrontements directs, verbaux ou physiques, entre fidèles des deux communautés se sont aussi produits.
Le pentecôtisme est le principal moteur de la percée du protestantisme en Amérique latine et aujourd'hui les trois-quarts des convertis s'en réclament. Mais dire que le pentecôtisme est supérieur numériquement ne suffit pas à rendre compte de sa force. En fait, il ne s'agit pas d'un phénomène statique, mais plutôt d'un « phénomène de réveil » dont l'influence se fait sentir jusque dans les autres Eglises protestantes, qui s'efforcent souvent de donner un style pentecôtiste à leurs célébrations et même parfois à leurs structures.
Ces communautés aux caractéristiques sectaires mobilisent l'affect ; elles mettent en scène les émotions et accordent une place centrale à la musique et au chant. Leur force réside dans leur aptitude à capter les aspirations et les expressions de la religion populaire et à les transformer en « manifestations de l'Esprit saint ». C'est ainsi que les rites de possession, les dons de guérison, les songes divinatoires et les miracles divers occupent une position centrale dans leur système religieux. Le millénarisme pentecôtiste, son goût pour le prophétisme, son appel aux situations de « transe », et son acceptation de toutes les démonstrations émotionnelles semblent rencontrer un terrain culturel favorable à son développement. Le fait que le Guatemala soit resté un pays profondément indien, où les traditions mayas imprègnent fortement la culture religieuse populaire n'est peut-être pas étranger à son succès.
Cette utilisation d'éléments religieux autochtones ne doit pas prêter à confusion : il ne s'agit pas de les réhabiliter. Au contraire, le pentecôtisme se caractérise par son intolérance à l'égard des autres cultes religieux, abondamment combattus.
Ces groupes ne cessent de se multiplier et de se diviser, donnant naissance à quantité de groupes locaux prenant le relais des Eglises missionnaires nord-américaines. Il existe aujourd'hui un courant pentecôtiste très dynamique né dans le pays et se servant de cette base pour s'étendre aux pays voisins. Loin d'être demeuré une religion purement exogène, la religion pentecôtiste a très vite pris un visage autochtone.
D'ailleurs, les Eglises nord-américaines ont rapidement compris que le succès de leur entreprise d'évangélisation dépendait de leur adaptation au milieu. Elles ont su former des pasteurs locaux à travers qui elles font passer leur message.
L'ensemble pentecôtiste, relativement hétérogène, fonctionne sur la base d'une complémentarité très efficace. Cette situation d'éclatement permet d'acquérir une dynamique mercantile à l'intérieur du « système pentecôtiste », et ne remet pas en cause l'identité commune des diverses Eglises. Chaque groupe religieux, de par ses caractéristiques, est susceptible de mieux s'insérer dans une population déterminée. C'est pourquoi le pentecôtisme est implanté au sein de différentes catégories sociales. Dès le départ, il s'est surtout développé parmi les marginalisés, les laissés-pour-compte du progrès, les victimes de la modernisation, souvent, en marge des grandes religions institutionnalisées.
Il a aussi touché une population indienne en rupture de tradition et en quête de voies d'accès à la modernité. Il s'agit de gagner les masses citadines de cette Amérique latine devenue rapidement urbaine, et ce, sans relâcher l'effort dans les zones rurales. L'arrivée de groupes néo-pentecôtistes a donné une dynamique nouvelle au mouvement et actuellement de très nombreuses conversions ont lieu dans les classes moyennes urbaines. Quant aux classes supérieures de la société, elles sont représentées par des groupes aux moyens financiers considérables tels l'Eglise du Verbe ou El Shaddaí, accueillant respectivement le général Ríos Montt, chef de l'Etat en 1982-1983, et Serrano Elías, président de 1991 à 1993.
L'essor d'une nouvelle élite évangélique, les succès foudroyants des Eglises pentecôtistes parmi les exclus, mais de plus en plus aussi auprès de certaines fractions des classes moyennes, témoignent de l'ampleur des manques et des frustrations engendrées par les carences de l'Etat, de l'Eglise catholique et des autres institutions.
Dans une société en pleine transformation, où la population urbaine progresse constamment, où les appartenances et les anciens repères s'écroulent, et où règne un climat d'insécurité, l'insertion dans une communauté pentecôtiste procure une nouvelle appartenance, une sécurité, une nouvelle identité sûre. La présence de personnages charismatiques à la tête de chacun de ces groupes agit en ce sens.
Les groupes pentecôtistes compensent souvent les faiblesses de l'Etat en s'attaquant aux problèmes de la santé, de l'éducation ou de l'aide aux plus démunis, se glissant ainsi dans les failles du système économique, social et politique. N'oublions pas les nombreuses actions entreprises par les Eglises et Missions évangéliques en 1976 après le tremblement de terre, qui attestent de leur engagement dans le domaine de l'assistance aux populations. La majorité des Eglises fournissent à leurs fidèles des services médicaux gratuits, et possèdent des écoles pour accueillir leurs enfants.
Des groupes ayant de larges moyens financiers tels l'Eglise du Verbe ou Elím disposent même d'un orphelinat, de cliniques médicales et dentaires, d'installations sportives et de centres de loisirs, assurant un environnement particulièrement protégé. Un des enjeux des adhésions au pentecôtisme est l'accès à toute une série de services et de savoirs, fortement désirés et manquant cruellement.
Il ne faut pas oublier que le pentecôtisme est avant tout une religion qui délivre un message religieux : sa force en ce domaine tient tant à son contenu qu'aux formes de sa mise en oeuvre. A sa manière, il répond à des attentes, donne des réponses globales et cohérentes. Il comble des manques par rapport à la société globale, tant au niveau psychologique que matériel. En ce sens, de telles sectes semblent naître des insuffisances et des contradictions inhérentes au processus de modernisation du pays. Les sectes prolifèrent dans un tissu social et économique désagrégé, dont les difficultés sont accentuées par la crise qui sévit depuis 1981, et dans un relatif vide institutionnel. L'introduction massive de ce « protestantisme sectaire » dans le pays génère des transformations significatives.
De toute évidence, le pentecôtisme se propose d'agir sur la société guatémaltèque par le biais des changements qu'il introduit tout simplement grâce à la conversion de la population : la conversion à ce type de groupe permet au converti de restructurer son identité par le biais d'une transformation de ses relations avec la société où il évolue. Cette transformation se traduit par l'adoption de valeurs morales lui dictant une conduite différente de celle des autres membres de la société guatémaltèque : nombreux interdits liés à la fête, à la consommation d'alcool ou de tabac, aux loisirs, au corps, à la sexualité et par une sélection dans ses relations sociales.
Cette évolution se ressent au niveau de la société globale vu qu'elle affecte plus de 30 % de la population. Ces sectes, en détruisant les liens de solidarité préexistants au profit de nouveaux basés sur l'appartenance religieuse, remettent en question les solidarités historiques et spécifiques de la société guatémaltèque.
Le changement visible du comportement du converti révèle d'ailleurs une modification de sa propre image et de son itinéraire. La redéfinition de son identité s'opère aussi par l'intégration de nouvelles représentations permettant à l'individu de revoir son approche de la réalité. Sa connaissance du monde dépend désormais de critères religieux. Les pentecôtistes partagent une identité commune avec leurs coreligionnaires, le religieux devenant un élément central créateur de transformations sur le plan social et culturel, mais aussi politique.
Le discours pentecôtiste sur la vie politique se résumait jusqu'aux années quatre-vingt à une formule : « No te metas » (« Ne t'en mêles pas »). Cette attitude pragmatique reflétait la condition précaire des mouvements religieux naissants aussi bien que leur absence de la société dominante (2).
Cette position a cependant évolué au cours de la dernière décennie, puisque certains membres de sociétés pentecôtistes ont participé à la vie politique, parvenant parfois à des fonctions présidentielles, comme ce fut le cas au Guatemala. L'appui des secteurs évangéliques a joué un rôle considérable au cours de la campagne électorale, tant sur le plan financier qu'au niveau de la mobilisation des votes. Le même type de phénomène a été observé au Pérou lors de l'élection de Fujimori.
Il faut distinguer deux éléments dans discours pentecôtiste : celui qui a cours au sein de la communauté et celui qui est destiné à l'extérieur.
Le discours tenu aux fidèles étant basé sur la séparation du spirituel et du temporel, il exclut un quelconque engagement politique de l'individu. Le pentecôtisme propose un système symbolico-religieux qui fournit à ses adhérents des outils interprétatifs pour appréhender la réalité sociale en acceptant leur condition et leur offre une lecture millénariste qui déploie leurs espérances vers un ordre méta-historique où les conflits objectifs sont totalement dépassés. Donc, toute forme de lutte sociale est inutile puisqu'elle éloigne l'individu de son véritable but : le salut éternel.
Au-dehors, en revanche, les porte-paroles du groupe représentent une institution évoluant au sein de la société guatémaltèque. Ils doivent par conséquent prendre des positions en accord avec les grands axes de la doctrine qu'ils prêchent : respect de l'autorité, conjuration du désordre de la société par le choix d'une discipline de vie rigide, hiérarchisation des pouvoirs qui donne à chacun sa place, etc. Ces valeurs sont justement celles transmises aux fidèles. Les politiciens issus du pentecôtisme développent des programmes basés sur une idéologie d'ordre où les valeurs évangéliques occupent la place centrale.
La victoire de Serrano Elias à l'élection présidentielle de 1990 est significative. Entre 1991 et 1993, le pays a été dirigé par le premier président évangélique élu au suffrage universel en Amérique latine. En outre, ce président s'est entouré d'un nombre assez important de membres d'Eglises évangéliques pour gérer le pays. Cette expérience de gouvernement de convertis n'est pas entièrement nouvelle pour les Guatémaltèques, car 1982 avait déjà vu le pouvoir passer entre les mains du général Rios Montt, connu internationalement comme le « dictateur évangélique »
Lorsque, le 23 mars 1982, les militaires à l'origine du coup d'Etat le mettent à la tête du gouvernement, la quasi-totalité des leaders protestants interprète l'événement comme un acte de la providence divine, alors qu'ils se préparent à célébrer leur centenaire dans le pays. La conversion de ce général guatémaltèque à l'Eglise du Verbe, la plus politisée de toutes, a des implications profondes sur sa façon de gérer le pays. Son appartenance religieuse a une grande influence sur sa façon de concevoir la société et l'exercice du pouvoir. Il se sent investi d'une mission : « Donner une nouvelle espérance au pays ».
L'idée prioritaire du discours prosélyte des protestantismes d'Amérique centrale repose sur la certitude religieuse que le changement de structure sociale est inutile sans l'existence préalable et nécessaire d'un changement radical de la mentalité de l'individu en tant que sujet isolé. Cette croyance religieuse est basée sur la conviction selon laquelle les mesures politiques prises par des non-protestants ne sont que des solutions transitoires, inutiles pour produire un véritable changement dans la réalité socio-politique. La nouvelle devise des fonctionnaires devient : « Je ne vole pas, je ne mens pas, je n'abuse pas. J'ai promis de changer. » On y retrouve le discours moral et le désir de changer de vie correspondant à l'éthique du groupe religieux du président. La Bible, qu'il a toujours sur lui et cite régulièrement, est l'instrument privilégié de sa « croisade contre la perversion des valeurs et la corruption ».
Le général Rios Montt asseoit son action sur sa conviction religieuse. Il légitime ses décisions et son pouvoir par la religion. Dans ses prédications, il instaure implicitement un discours causal de la situation guatémaltèque, se présentant comme un « émissaire de Dieu », parvenu à la présidence de la République « non par les balles, ni par les votes, mais par la main de Dieu ». Ce discours ne laisse aucune place à quelque forme d'opposition que ce soit, puisque celle-ci est directement liée aux forces du mal.
Dans la pratique, Rios Montt s'engage dans une « guerre de pacification » contre la guérilla, épisode et dont les principales victimes sont les populations indiennes des hauts-plateaux. A coup de harangues mystiques, et avec l'appui d'une « armée éclairée par l'Esprit saint », il lance la politique dite « des haricots et des fusils ». Alors qu'au début des années cinquante, l'Eglise catholique menait croisade contre un régime réformateur que les protestants, alors très minoritaires, avaient plutôt tendance à soutenir, trente ans plus tard, le gouvernement militaire de Rios Montt s'appuie sur un important courant évangélique dans sa campagne contre le mouvement révolutionnaire rejoint par des secteurs catholiques et fortement teinté de théologie de la libération.
Le 8 août 1983, l'armée guatémaltèque met fin à la phase de gouvernement de Rios Montt en nommant à sa place le général Mejía Victores. L'Eglise catholique se déclare fort satisfaite du départ du « fou de Dieu » dont les principaux conseillers étaient pentecôtistes et qui prêchait lui-même tous les dimanches.
Cependant, au cours de cette période, les protestants ont gagné en visibilité et en influence au sein du pays. Ils ont présenté le défilé du centenaire de leur présence au Guatemala (novembre 1982) comme une revanche contre l'Eglise catholique. L'arrivée au pouvoir de Rios Montt a également permis à plusieurs leaders protestants d'entrer dans la sphère politique, tel Jorge Serrano Elías, arrivé alors à la présidence du Conseil d'Etat. Cette période constitue donc un pas décisif pour l'histoire de l'évangélisme guatémaltèque. En 1991, le fait que le président Serrano, membre de l'Eglise pentecôtiste El Shaddaí, soit le premier président évangélique élu montre bien la force politique acquise par ce groupe religieux.
L'expérience vécue par le Guatemala entre janvier 1991 et juin 1993 renverse de nouveau la tendance sécularisante de la société. Eglise et Etat, loin d'être séparées, se retrouvent étroitement associées pour diriger le pays, et ce par l'arrivée à la tête de l'appareil d'Etat d'hommes dont la foi constitue la base de toute action et la légitimation de leur pouvoir. Selon le mouvement fondamentaliste évangélique, la modernité a entraîné un rationalisme sans Dieu ayant perdu les valeurs morales d'antan. Les maux de l'homme ne peuvent être soignés et compris qu'à condition de corriger cela. Le poids de l'Evangile est considérable au cours de cette période.
Malgré leur apolitisme affirmé haut et fort, ces groupes entendent agir sur l'évolution de la société par le biais de l'action politique, où ils ont acquis depuis quelques années une représentation relativement significative.
Au Guatemala, des groupes tels Elím, El Verbo ou El Shaddaí, au sein desquels se sont créées des formations politiques, influencent beaucoup la vie du pays. Le retour de Rios Montt aux élections législatives d'août 1994 le confirme. Son Front républicain, devenu le premier groupe du nouveau Parlement, annonce le retour dans les hautes sphères du pouvoir de cet homme imprégné de la doctrine évangélique.
Le succès des sectes pentecôtistes et l'entrée de leur dirigeants sur la scène publique pose beaucoup de questions. On ne peut notamment s'empêcher de le rapprocher de la question ethnique, dans un pays où plus de 55 % de la population est indienne et regroupe plusieurs ethnies différentes.
Comme ces sociétés pentecôtistes font passer toute forme d'appartenance basée sur une identification autre que religieuse au second plan, qu'elles assimilent la conversion à une seconde naissance impliquant une redéfinition de l'identité des convertis, elles apparaissent comme une option particulière à l'intérieur du champ religieux. Option située aux antipodes de celle des groupes traditionnels guatémaltèques dont l'identité s'insère dans une territorialité (réelle ou mythique) et une histoire.
Le moteur des identités recomposées des convertis ne réside plus dans la communauté matérielle et culturelle partageant un territoire et un passé, mais dans une unité d'appartenance religieuse trans-ethnique. Les pentecôtistes, pour qui l'histoire des individus et des groupes sociaux a peu d'importance, pour qui il existe un « peuple évangélique » qu'ils s'efforcent de rassembler sans tenir compte des frontières, remettent fondamentalement en question les identités particulières. L'établissement des pentecôtistes dans la société guatémaltèque n'implique donc pas simplement un changement d'ordre religieux ; il en remet en question des éléments fondateurs. Le retour de Rios Montt dans la sphère du pouvoir préfigure le poids que pourrait avoir l'idéologie pentecôtiste dans le développement futur de la société guatémaltèque.
1) David Stoll « Is Latin America turning Protestant ? », Berkeley-Los Angeles-Oxford, California UP, 1990.
2 ) C. Lalive d'Epinay, « Religion, dynamique sociale et dépendance. Les mouvements protestants en Argentine et au Chili », Paris, Mouton, 1975.