Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.


Le réveil des femmes mayas en exil

Par Mathias Rul-Jan

Entre 1981 et 1984, plus de 120 000 Guatémaltèques, essentiellement des paysans mayas, durent fuir leur pays pour le Mexique voisin afin d'échapper aux massacres systématiques perpétrés par une armée au service des grands propriétaires terriens. Dans les camps de réfugiés, des femmes mayas ont créé l'association Mama Maquin, dans le but de lutter à la fois pour les droits de l'homme et ceux de la femme.

Pueblo Nuevo, village d'agriculteurs dans la forêt de l'Ixcan, à 250 kilomètres au nord de Guatemala Ciudad. En ce milieu d'après-midi de décembre, l'averse quotidienne s'abat sur les champs de maïs. La première récolte depuis le retour d'exil approche. Se protégeant avec de grandes toiles de plastique, une douzaine de femmes convergent vers le bureau de la coopérative du village, une case de bambou avec un toit de tôle ondulée, où se tient la réunion hebdomadaire des dirigeantes de Mama Maquin du village. A l'ordre du jour, compte-rendu des entretiens à la capitale avec d'éventuels bailleurs de fonds et préparation de l'accueil de douze familles qui doivent rentrer du Mexique dans les jours à venir. C'est très important que les femmes sachent que Mama Maquin continue au Guatemala. Josefina explique : « Nous devons savoir si elles sont prêtes à travailler avec nous. » Agée de 44 ans, mariée et mère de dix enfants, elle a participé à la création de l'association, il y a près de cinq ans. Une création vécue par les femmes indiennes à la fois comme un accouchement difficile et une première victoire.

Un premier constat d'impuissance

Dès leur arrivée au Mexique, des femmes guatémaltèques ont fait le constat de leur totale impuissance face aux violences de l'armée. Josefina explique : « Par tradition, nous, les femmes indigènes, nous n'avons accès ni à l'éducation ni aux organisations collectives (coopératives, municipalités, conseils des anciens). Enfant, on doit s'occuper des tâches ménagères et de nos frères et soeurs plus jeunes. Puis on se marie vers 18 ans et on doit alors élever ses propres enfants. Nous ne sortons pratiquement pas de chez nous, sauf pour aller à l'église ou au marché. Cette place secondaire de la femme affaiblit nos communautés. »

Incapables d'éviter l'exil, ces femmes veulent agir pour obtenir le droit de retourner sur leurs terres et d'y vivre en paix, et décident pour cela de s'organiser. Josefina se souvient : « Oh ! Cela n'a pas été facile. Notre culture s'y opposait, et certains maris n'ont pas permis à leurs femmes de participer à nos réunions. En plus, ces réunions représentaient quelque chose de tout à fait nouveau pour nous, et nous avions peur de parler en public. A cela, s'ajoutait la barrière de la langue car très peu de femmes indigènes parlent l'espagnol. Pire encore, nous ne parlons pas toutes la même langue (1). »

Malgré ces obstacles, de petits groupes de réflexion se sont formés dans les camps et échangent des courriers grâce aux rares femmes lettrées qui en font partie. Finalement, avec l'aide du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR) et de la Commission mexicaine d'aide aux réfugiés (COMAR), 47 femmes se sont réunies en mai 1990 à Comitan, dans l'Etat du Chiapas, et ont créé l'association Mama Maquin. Elle doit son nom à Adelina Caal Maquin, une vieille Indienne tuée en 1978 lors du massacre du village de Panzos. A cette occasion, une centaine de paysans, qui manifestaient pour obtenir des terres, avaient été abattus par l'armée.

A partir de là, les fondatrices vont réunir les femmes dans les camps pour les sensibiliser à leurs droits et faire connaître leur association. Elles entament également un programme d'alphabétisation destiné aux femmes des camps, analphabètes à 80 %. Chaque rencontre est aussi l'occasion de diffuser les dernières nouvelles du Guatemala, où la guerre continue, et surtout de discuter de l'évolution de la situation au pays et dans les camps. Jusqu'alors, seuls les hommes avaient ce genre de débats.

Mais les membres de Mama Maquin n'en sont pas restées au niveau de la discussion. Elles ont participé à des manifestations et ont adressé des courriers au HCR pour obtenir le droit de retourner sur leurs terres.

Retour au pays et nouveau départ

D'autres organismes menaient le même combat (2), des associations de défense des droits de l'homme et surtout les Commissions permanentes (CCPP), représentant des réfugiés élus dans chaque camp. Avec Mama Maquin, des femmes mayas prirent part directement et en tant que telles à la vie publique de leur peuple. Chose extrêmement rare dans une société très patriarcale où Rigoberta Menchu, prix Nobel de la Paix 1992 et défenseur des peuples indigènes du Guatemala, n'est que l'exception qui confirme la règle.

En octobre 1992, lorsque furent signés les accords pour le retour des réfugiés sur leurs terres d'origine, les membres de Mama Maquin furent chargées d'évaluer et de répartir le matériel nécessaire aux enfants pendant chaque voyage, qui pouvait durer jusqu'à dix jours. Les Mama Maquin ont accepté cette mission comme la reconnaissance de leur existence et du rôle social qu'elles peuvent jouer au sein de leur communauté.

Encouragées dans leur entreprise, les premières à rentrer au pays multiplièrent les initiatives. « Dès notre arrivée dans l'Ixcan, en décembre 1993, nous avons manifesté pour qu'on nous paye l'essence pour faire tourner le moulin à maïs où préparer la pâte des tortillas, car beaucoup de familles n'avait pas les moyens de l'acheter. Le HCR l'a fourni pendant deux mois, le temps que l'on s'installe. On a aussi manifesté avec d'autres organisations pour que soit déplacé le détachement militaire installé à Pueblo Nuevo, et, là aussi, on a obtenu gain de cause. On a pu voir l'utilité de notre association », affirme fièrement Carmen, 40 ans, revenue au pays avec ses trois enfants.

Après les premiers succès, les Mama Maquin se sont heurtées à de nouvelles difficultés. Elena, leur porte-parole à Pueblo Nuevo, qui, à 26 ans, vit encore avec ses parents et ses huit frères et soeurs et travaille dans le petit magasin familial, explique : « Au Mexique, on recevait un peu d'aide de la COMAR. Ils payaient les frais de transport et de papeterie. Ils avaient mis à notre disposition un bureau à Comitan. Ici, on ne reçoit plus rien. On parvient à se faire prêter un local et parfois une machine à écrire. On se déplace en stop pour aller voir nos camarades des villages voisins. Dernièrement, on a dû se cotiser pour que je puisse aller à la capitale. »

Cependant, les Mama Maquin de Pueblo Nuevo ne baissent pas les bras. Elles ont déjà trouvé la moitié des 5 000 quetzals (environ 5 000 francs) nécessaires à la construction et à l'équipement minimal d'un bureau. Elles ont aussi préparé un plan d'action pour 1995, incluant des programmes d'alphabétisation des femmes, de garderie pour les enfants, et d'éducation à l'hygiène et à la santé pour les jeunes mères. Mais les Mama Maquin lettrées et les sages-femmes traditionnelles - le personnage féminin le plus important dans la structure sociale maya -, futures responsables de ces programmes, doivent au préalable suivre des formations pour pouvoir faire du bon travail.

Plusieurs organisations non gouvernementales guatémaltèques ont manifesté la volonté de soutenir les Mama Maquin, mais aucune ne s'est engagée à ce jour. Josefina raconte : « Nous sommes dans une période de transition, et ceux qui financent préfèrent attendre que l'on soit bien réinstallées avant de nous aider. Cela ne saurait plus tarder, car la plupart d'entre nous sont arrivées il y a plus d'un an et nous sommes prêtes à travailler. » Josefina croit résolument à l'avenir de son organisation : « Au début, pour beaucoup d'hommes et même de femmes, nous n'étions qu'une cinquantaine d'agitées. Aujourd'hui, plus de 8 000 femmes se disent membres de Mama Maquin entre le Mexique et le Guatemala. Elles reviennent peu à peu sur nos terres et la grande majorité est prête à poursuivre l'action. »

Une action que les Mama Maquin, présentes seulement dans l'Ixcan, veulent étendre à l'ensemble du pays. Selon Carmen : « Les besoins sont importants partout. Dans certaines communautés guatémaltèques, lorsqu'un homme veut épouser une femme, il doit verser à son futur beau-père une somme importante pour dédommager celui-ci des dépenses qu'il a engagées pour élever sa fille. Pour nous, cela n'est rien d'autre que l'achat de la femme par son prétendant. C'est contre ce genre d'atteintes à nos droits que nous voulons lutter. »

Josefina reprend : « Pour lutter efficacement, il nous faut savoir mieux nous exprimer, et pour cela apprendre à lire et à écrire. » Elle sait bien de quoi elle parle : à 44 ans, elle n'a jamais été à l'école et est toujours analphabète. « Au Mexique, entre ma famille, les activités de Mama Maquin et l'organisation des retours de réfugiés, je n'avais pas le temps de suivre des cours. Pas plus à notre retour au Guatemala, car il a fallu construire la maison et défricher nos terres envahies par la jungle. Maintenant que je suis installée et que j'ai un peu plus de temps, je vais enfin pouvoir étudier. »


1) Vingt langues mayas existent au Guatemala, et la population qui a colonisé l'Ixcan dans les années soixante vientde différents groupes linguistiques.

2) Il existe aussi la Coordination nationale des veuves du Guatemala (CONAVIGUA), puissante organisation qui se bat pour les droits de l'homme et pour que justice soit faite à la suite de la disparition de leurs époux.

Pour plus d'informations ou pour aider l'association Mama Maquin, contacter le Collectif Guatemala, 17 rue de l'Avre, 75015 Paris, tél : 45 78 05 64.


Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.