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Un petit tour et puis s'en va...

Par Michel Piçquart et Michèle Dospital

Il aura suffi d'un tour, le 20 octobre dernier, pour que la droite remporte la troisième élection présidentielle depuis la révolution sandiniste de 1979. Le nouveau président doit prendre ses fonctions officielles le 10 janvier 1997.

Février 1990 : à droite, la frêle Doña Violeta Barrios (UNO) ; à gauche, le fier commandant Daniel Ortega (FSLN), dans son treillis militaire ; l'arbitre : le peuple nicaraguayen épuisé par dix années de guerre et une situation économique catastrophique. Résultat du match : la candidate de l'UNO l'emporte avec 54,7 % des suffrages exprimés contre 40,8 % pour Daniel Ortega.

Octobre 1996 : à droite, el gordo (le gros) Arnoldo Aleman (Alliance libérale) ; à gauche, le fier commandant Daniel Ortega (FSLN), dans sa belle chemise pastel ; l'arbitre, le peuple nicaraguayen, sans la guerre mais tout aussi épuisé par une situation économique restée catastrophique malgré la baisse notable de l'inflation. Résultat du match : le candidat libéral l'emporte avec 51,03 % des suffrages exprimés (904 908 voix), contre 37,75 % (669 443 voix) pour Daniel Ortega (résultats provisoires).

Pour la deuxième fois, Daniel Ortega a entraîné dans son échec l'ensemble du FSLN. C'est une défaite personnelle qui devrait logiquement avoir des répercussions. Il est, en effet, probable qu'un secteur de son parti lui reproche cette nouvelle débâcle et impose certains changements dans la direction sandiniste et dans le fonctionnement du parti. Lors de son dernier passage à Paris, Victor Hugo Tinoco, responsable des relations internationales du FSLN, ne cachait pas ses sentiments sur cet aspect : « Si Daniel perd, ce sera l'occasion de procéder à des changements. » Laissons donc, pour l'instant, les militants méditer leur défaite et réfléchir à l'avenir.

Des résultats troublants

Contrairement à ce que nous écrivions dans nos précédents numéros, le nombre de candidats et les programmes peu différents n'ont pas détourné les électeurs des urnes. Malgré les heures d'attente, sous un soleil de plomb ou une pluie battante, il y a eu moins de 20 % d'abstentions. Les électeurs ont montré une volonté et une conscience politiques à toute épreuve.

Cette élection présidentielle ne présente pas beaucoup de différences par rapport à celle de 1990. Les voix du Parti conservateur (2,3 %) et celles des libéraux, arrivent à un point du score de l'UNO de 1990, tandis que le Front perd trois points à la présidentielle, même si les deux pôles progressent en voix par rapport au scrutin précédent, du fait de l'augmentation du nombre d'électeurs.

Une nouvelle force politique est arrivée en troisième position, avant le Parti conservateur, Camino Cristiano de Nicaragua (CCN), avec 4,1 % des suffrages exprimés. Ce groupement évangéliste, dont personne n'avait entendu parler auparavant, absent de tous les sondages, fait un peu office de trouble-fête et va surtout devenir la cible d'une cour assidue, car les estimations donneraient 42 députés à l'Alliance libérale, 37 au FSLN, 4 au CCN, deux au Parti conservateur, deux au Pronal (le groupement du ministre de la Présidence, Antonio Lacayo), et un pour le MRS, le Parti libéral indépendant, l'Alliance nationale conservatrice, la Résistance nicaraguayenne, l'Alliance Unité et l'UNO-96 pour un total de 93 sièges.

Les libéraux n'auront donc pas la majorité absolue au Parlement et encore moins les deux tiers pour d'éventuels changements constitutionnels. On assiste également à un renouvellement complet, car seulement neuf députés avaient précédemment siégé lors de la précédente législature.

L'attitude de Camino cristiano, par ailleurs, ne semble pas encore avoir été arrêtée. Il semble être très jaloux des liens des libéraux avec la hiérarchie de l'Eglise catholique et pourrait, selon certains observateurs, rejoindre les sandinistes dans l'opposition.

Cela étant dit, ces élections n'ont pas été d'une limpidité parfaite et il aura fallu plus de trois semaines d'attente et des rebondissements qui peuvent laisser des doutes sur le résultat. En effet, alors que les libéraux atteignent 48 % des voix et les sandinistes, 38 % pour les élections au Parlement centro-américain, à l'assemblée nationale et pour les municipales, le pourcentage devient respectivement 51 % et 37,7 % pour la présidentielle. Les résultats proclamés par le Conseil suprême électoral sur 82 % des suffrages exprimés, trois semaines plus tôt, donnaient des résultats analogues pour les différents scrutins. Est-ce le poids de Managua (alors que les libéraux arrivent certes en tête pour la mairie mais avec 28 %) qui a donné la majorité absolue à Aleman ou y a-t-il eu fraude, comme le déclare le Front sandiniste ?

D'où la demande d'annulation des élections à Managua, ainsi qu'à Matagalpa, déposée par le FSLN. Il est aussi très troublant que les sandinistes augmentent de façon considérable le nombre de leurs mairies (de dix-sept, en 1990, à 51, cette fois-ci, sur un total de 145), sans progresser ni à la présidentielle ni aux législatives (deux députés de moins que dans le précédent Parlement).

Si on compare les résultats des différents scrutins, les libéraux ont 100 000 voix de plus à la présidentielle. Il semble difficile d'admettre que les Nicaraguayens aient voté massivement pour cette formation dans un scrutin et pour une autre option dans un autre, dans la mesure où aux différents scrutins les autres partis ont pratiquement le même nombre de voix. A-t-on voulu consolider Aleman avec une majorité absolue plutôt que relative ? Cela serait une des raisons de la fraude, sans pour autant modifier le résultat : Aleman a gagné. Car le FSLN ne remet pas en cause ce résultat, pas plus que de nombreux secteurs sandinistes, mais les irrégularités dans le décompte des voix qui lui en auraient fait perdre environ 60 000.

La polarisation politique du pays, qui va se faire sentir à l'Assemblée et dans les municipalités, a un air de déjà-vu dans l'histoire du Nicaragua : plus d'un siècle de caudillisme, de règne des libéraux et des conservateurs, avec, c'est la différence aujourd'hui, le remplacement de ces derniers par les sandinistes.

Comment s'expliquer cette polarisation ? Il y a eu, en premier lieu, la propagande politique des deux principaux partis : l'Alliance libérale prônant le non-retour au sandinisme, qui signifierait le retour du service militaire et des pénuries alimentaires. Le FSLN dénonçant un possible retour au somozisme, avec sa Garde nationale, ses grands propriétaires fonciers, etc. Tout un discours axé sur les fantasmes du passé et, quant à l'avenir, de bien vagues promesses. Face à ce bourrage de crâne quotidien, les autres partis sont passés inaperçus.

En fait, la différence entre « le gouvernement de tous », du FSLN, et « le Nicaragua pour tous », de l'Alliance libérale, est ténue. « Peu importe qui gagne, ce qui compte, c'est qu'il y ait paix, travail et nourriture pour la population », répondaient de nombreux Nicaraguayens interrogés sur leur candidat favori et qui ne cachaient pas leur peur face à une éventuelle riposte violente des perdants.

Sandino où es-tu ?

Il fut un temps où sandinisme rimait avec théologie de la libération, pays non-alignés, la recherche d'une politique alternative à celle du FMI et de la Banque mondiale. Daniel Ortega, lors de ses discours de campagne, est allé chasser sur les terres des ultralibéraux. L'attitude ambiguë, lors du gouvernement Chamorro, n'avait pas clarifié les choses. Ortega a avant tout cherché à ne pas faire peur. Persuadé que, de toute façon, l'électorat populaire allait voter pour lui, il a orienté son discours à droite pour essayer de rallier certains secteurs de la bourgeoisie. Qu'a pu provoquer une telle attittude dans la base populaire de son électorat et cela a-t-il vraiment été efficace ? Car, tant qu'à faire du libéralisme, il est peut-être préférable que ce soit un libéral qui le mette en pratique.

Mais le plus grand changement - car les politiques économiques libérales avaient déjà montré leurs effets au temps où Daniel Ortega était président, même si le FSLN essayait d'en limiter ses aspects les plus antipopulaires ­, concerne l'attitude de la direction sandiniste vis-à-vis de la hiérarchie catholique. Comme en 1990, lors de la clôture de la campagne, les sandinistes ont rempli la place Carlos-Fonseca (rebaptisée place Jean-Paul-II) avec plus de 200 000 mille personnes. Le message de paix de Daniel Ortega a été ponctué de références à la bénédiction de Dieu. Ce qui n'a pas empêché la vague de peur de s'emparer de ses opposants, mais ce qui a aussi permis au cardinal Obando y Bravo de prendre partie à la campagne. Car au cours d'une messe pour Aleman, il a, dans son homélie, fait allusion à une métaphore biblique sur la vipère qui a apparemment changé et est devenue inoffensive, mais qui crache son venin à la première occasion venue. Appel on ne peut plus clair à ne pas se laisser berner par les discours du FSLN. Quelle fut la réaction de Daniel Ortega ? « Quand il a déclaré cela, le cardinal ne parlait pas de moi. » Même si la grande majorité de la population est catholique, cela ne justifie en rien que le FSLN aille chasser aussi sur les terres de l'Eglise, alors qu'il prétend être laïque. On a l'impression que Daniel Ortega a oublié que c'est ce même peuple croyant qui a fait la révolution, en rupture avec la hiérarchie religieuse.

Le futur président doit être actuellement en train de savourer les délices de la victoire électorale, mais dans peu de temps, il devra se mettre au travail et faire face à la dure réalité : un taux de chômage élevé, un niveau d'investissement privé et de production au plus bas, et le problème non résolu de la propriété.

L'avantage d'Aleman sur le gouvernement de Violeta Barrios est qu'il hérite d'une stabilité macro-économique qui pourrait favoriser la croissance. Il n'a plus à affronter l'hyperinflation, qui a secoué l'économie du temps des sandinistes. Le gouvernement antérieur a maintenu le cours de la monnaie par rapport au dollar et stabilisé les prix, mais en utilisant la quasi-totalité de l'aide extérieure. La dette extérieure est passée de 11 à 3 millions de dollars (la réduction provient essentiellement d'une annulation des créances concédée par certains pays débiteurs).

L'épreuve d'Aleman : chômage et propriété

Mais tout n'est pas rose pour Aleman. Il devra à la fois combattre : la pauvreté extrême causée irrémédiablement par les mesures d'ajustement économique ordonnées par la Banque mondiale et par le Fond monétaire international (FMI) ; l'apauvrissement de la classe moyenne, sanctionné dans les urnes par la disparition presque totale du Proyecto Nacional d'Antonio Lacayo. Il est contraint d'injecter des crédits dans l'agriculture, en particulier aider les petits et moyens producteurs, endettés et délaissés par le gouvernement antérieur, accusé de privilégier les grands. Il devra faire face aussi à la corruption dans l'administration publique et résoudre le problème de la propriété. Il veut demander l'aide de la communauté internationale pour trouver les quelque 500 millions de dollars nécessaires à l'indemnisation des anciens propriétaires, car il ne veut pas utiliser l'argent provenant d'éventuelles privatisations. Il a fait la promesse de créer des emplois (« Gordoman » en a promis 100 000 pour la première année, alors qu'Ortega en promettait 150 000) et d'améliorer le niveau de vie de la population, ce que d'ailleurs n'avaient pas manqué de faire tous les autres candidats.

L'Alliance libérale a déjà du plomb dans l'aile

En 1990, la coalition de l'UNO n'avait duré que quelques mois. A l'Assemblée, les sandinistes contrôlaient, en fait, la situation en s'alliant avec quelques députés centristes. La nouvelle Assemblée n'a pas encore pris ces fonctions que, déjà, le PLN (Parti libéral nationaliste) quitte l'Alliance sous le prétexte qu'il n'a pas reçu le portefeuille de l'Intérieur, comme cela lui avait été promis. Au sein de l'Alliance, le PLN a quatre députés.

Depuis les élections, Aleman n'a pas cessé d'appeler l'ensemble des partis politiques, y compris les sandinistes à l'aider à relever le pays. Il répète que, lors de ce scrution, il n'y a eu ni vaincu ni vainqueur, « le seul qui a gagné c'est le Nicaragua », selon l'ancien maire de Managua, qui ajoute : « Ensemble, nous irons vers le progrès et nous consoliderons la démocratie ». En fait, à la fin de sa campagne, Aleman a eu un discours plus modéré qu'au début. Et depuis qu'il sait qu'il n'aura pas la majorité à l'Assemblée, il a plusieurs fois lancé des appels du pied aux sandinistes.

Que se passera-t-il dans les semaines qui viennent ? Il est un peu tôt pour le dire, mais rappelons-nous ce que disait Oscar René Vargas, dans nos colonnes, il y a quelques mois, sur une possible entente entre les deux groupes rivaux, libéraux et sandinistes. Une autre possibilité est que l'Assemblée se trouve majoritairement dans l'opposition aux libéraux ; dans ce cas, le Nicaragua serait-il gouvernable ?

Le FSLN devrait peut-être enfin s'atteler à élaborer une politique alternative, véritablement différente de celle de la droite, susceptible de mobiliser les couches populaires et d'assurer un développement stable du Nicaragua.

Après les élections de 1990, une forte remise en question de la direction sandiniste avait eu lieu lors de la célèbre assemblée des militants d'El Crucero. Mais le renouvellement des méthodes et des cadres dirigeants, tant souhaité par la base, n'avait pas eu les effets escomptés et la ligne politique n'a guère évolué.

Aujourd'hui, le Front sandiniste ne survivra, en tant qu'organisation populaire porteuse de d'un projet de transformation sociale, que s'il parvient à effectuer un vrai bilan et une réelle transformation.


Volcans, numéro 24/numéro 9

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