Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.


Carla's song ou les enfants du Che

Par François Robin

Après le succès de « Land and Freedom », le nouvau film de Ken Loach, « Carla's Song », lie l'amour d'un homme et d'une femme avec la lutte d'un peuple.

Carla (Oyanka Cabezas) n'a plus droit au bonheur. Une pierre lui leste le coeur et lui scelle la bouche. Cette pierre, c'est la guerre. Carla se tait le jour, mais elle hurle la nuit. Seul le suicide semble pouvoir réduire sa mémoire au silence. Carla est fantôme, plus rien ne la touche, ni l'Ecosse légendaire, ni la beauté changeante du Loch Lomond, ni les voyages en bus... George (Robert Carlyle, excellent), le chauffeur du 72, lui sauvera la mise face au contrôleur plus qu'hargneux. De ce jour, il tombe amoureux d'elle. Pour elle, il détourne son bus, se fait protecteur et cherche à connaître sa souffrance. George caresse l'énorme balafre qui blesse le dos de Carla. C'est inscrit sur sa peau ; dans sa chair mutilée : Carla, militante sandiniste.

Par la grâce d'un billet d'avion, la grisaille de l'Ecosse cède la place aux couleurs du pays de Carla. George a voulu que Carla rentre chez elle, il a voulu l'accompagner, il a voulu partir, il veut avoir. Leur amour est ce voyage. George pressent-il qu'il ne lui sera pas donné plus ? Le rêve monte de la terre du Nicaragua et les cauchemars passent les lèvres de Carla. Elles livrent le nom de son compagnon, Antonio, torturé devant ses yeux ici, torturé encore quand elle les ferme pour dormir. Antonio est au bout du voyage.

Carla retouve sa famille, ses amis. C'est au tour de George d'être étranger, il écoute sans comprendre la chanson des mots des paysans nicaraguayens, il ignore les danses. Un nom revient, Antonio, un nom qui fait taire la joie des amis ; un nom qui est le nom du père de la fille de Carla.

La trace d'Antonio passe par un homme, Bradley. Un gringo qui cache à peine son passé d'agent de la CIA dans ses coups de gueule et son ardeur à traquer la main de son ancien employeur dans les attaques sanguinaires de la contra. Chez lui, dans la montagne, Bradley héberge l'ombre survivante, silencieuse et écorchée d'Antonio. Antonio qui a écrit à Carla et qui lui demande « de le toucher une fois encore... »

L'exotisme tourne au vinaigre, le fracas de la guerre s'abat sur George et Carla. Le foulard rouge de la danse devient tache de sang. Putain de chaos ! Too much !

Free Nicaragua ! Comment continuer d'ignorer la cause du Nicaragua infiltré par les contras. Rien de mieux que l'image pour frapper les esprits. En faire un spectacle, est-ce possible pour autant ? Le cinéma est illusion, il ne sert pas forcément la réalité. A coup sûr, l'image entretient ici une naïveté aux couleurs tropicales. Indigent, diront sûrement certains...

Mais il s'agit d'une fiction et non d'un reportage. Alors, pourquoi nier l'émotion qui nous étreint devant le visage définitivement muet et impassible d'Antonio qui pleure son amour en jouant à la guitare leur chanson que Carla chante maintenant seule. Renaissance précaire du lien qui les unit. Retour en Ecosse pour George, trempé au feu de cet amour-là.

« Dis à Fidel qu'il verra bientôt une révolution triompher en Amérique latine ; et dis à ma femme qu'elle se remarie et qu'elle tente d'être heureuse », aurait dit le Che à son bourreau, avant de mourir, victime de la CIA, martyr des commencements de la révolution. C'est l'image de cette révolution là, que George, Régis Debray prolétaire, remportera à Glasgow. La révolution que Bradley devait étouffer au Nicaragua avant qu'il ne la rejoigne. La révolution que les conseillers nord-américains traquaient dans les montagnes de Bolivie et qu'ils ont cru pouvoir tuer en assassinant le Che.

La politique et l'amour dans Land and Freedom, l'amour et la politique dans Carla's Song : pour Ken Loach, le Che n'est pas mort. Il est dans les larmes de Carla quand elle traduit le discours du paysan qui parle de « camarades », de « partage des terre » et de « démocratie ». Toute vie prend son sens dans l'ardeur mise à défendre la justice. I do agree.


Volcans, numéro 24/numéro 9

Attention, ce site n'est qu'une sélection des archives de la revue Volcans.

Le site définitif et officiel de la revue Volcans.