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Tomás l'espiègle : itinéraire d'un enfant de la révolution

Par Aris Jover

Le cinéaste cubain Tomás Gutiérrez Alea est mort le 16 avril 1996. Avec son dernier film, « Guantanamera », il a eu le temps de se moquer une fois encore de l'égoïsme, de l'hypocrisie, du machisme et de l'imbécilité bureaucratique.

Gravement malade, Tomás Gutiérrez Alea n'a pu achever le tournage de son dernier film, Guantanamera, et c'est son complice, Juan Carlos Tabío, déjà coréalisateur de Fraise et Chocolat, qui l'a terminé. Pourtant, Guantanamera est de bout en bout une oeuvre de Gutiérrez Alea. On y retrouve le sourire ironique, le non-conformisme et le mépris de l'hypocrisie qui faisaient déjà le charme de Mémoires du sous-développement (1968), de La Dernière Cène (1976) ou de Fraise et Chocolat.

Gutiérrez Alea est décédé le 16 avril dernier, à l'âge de 68 ans. En réalisant Guantanamera, savait-il que sa vie et sa filmographie arrivaient à leur terme ? On aimerait l'imaginer, tant le film donne de la mort une image paisible, aimable et presque joyeuse. La petite fille, souvenir d'un amour d'enfance qui revient avant la mort, est-elle aussi venue chercher le cinéaste cubain pour l'accompagner dans son dernier voyage ?

Si Gutiérrez Alea, avec Guantanamera, jette un oeil vers l'au-delà, il regarde aussi, ici et maintenant, le monde tel qu'il est. En l'occurrence, la société cubaine, avec ses pénuries, son marché noir, son machisme et la bureaucratie la plus bête qui soit. Plein d'humour noir, mais dépourvu de haine, Guantanamera est une satire en forme de road movie, avec, en prime, une jolie histoire d'amour.

Né à La Havane en 1928, Tomás Gutiérrez Alea milite très jeune dans l'opposition à la dictature de Batista. Après ses études au Centro Sperimentale de Cinematografia de Rome, il réalise notamment des documentaires pour le Parti socialiste populaire (le PC cubain de l'époque). Dans les premiers mois de la révolution castriste, il organise, avec son collègue Julio García Espinosa, la section cinématographique de l'Armée rebelle. « Tout ce que nous avions à faire, racontait Gutiérrez Alea, était d'installer une caméra dans la rue et nous pouvions ainsi saisir une réalité spectaculaire en elle-même, extrêmement captivante et lourde de signification (1). » Peu après, Gutiérrez Alea devient l'un des fondateurs du prestigieux Institut cubain d'art et d'industrie cinématographiques (Icaic).

En 1960, il réalise le premier long métrage de fiction de la période castriste, Histoires de la révolution. Ce film, loin d'être une glorification béate du nouveau régime, adopte un point de vue humaniste très influencé par le néo-réalisme italien.

Le critique cubain Ambrosio Fornet a décrit l'oeuvre de Gutiérrez Alea comme « une longue réflexion, satirique ou dramatique, sur les relations de dépendance. Parfois il s'agit de celles propres à une société divisée en classes antagonistes, parfois de celles engendrées par des schémas de pensée et de conduite centrés sur l'autorité, l'égoïsme ou les préjugés (2) ». Avec Les Douze Chaises (1962), La Mort d'un bureaucrate (1966) et, surtout, Mémoires du sous-développement, Gutiérrez Alea fait de la comédie satirique son genre préféré et ne se prive pas de critiquer allègrement les tares de la nouvelle société cubaine.

Tomás se joue de la censure

Ainsi, selon Julianne Burton, La Mort d'un bureaucrate « démontre clairement que les Cubains sont capables de mettre fin au cauchemar kafkaïen de la paperasserie administrative dont on ne voit jamais la fin ». De là, sans doute, le succès populaire des films de Gutiérrez Alea et son apparente liberté vis-à-vis de la censure. La plupart de ses réalisations ont fait de 800 000 à 1,5 million entrées sur l'Ile, sans parler de l'énorme succès de Fraise et Chocolat.

Dans Mémoires du sous-développement, Gutiérrez Alea faisait une brève apparition dans son propre rôle et montrait au héros des extraits de films érotiques censurés sous Batista. Le cinéaste expliquait qu'il avait envie d'en faire « une sorte de collage, un film qui contiendra un peu de tout ». La censure castriste allait-elle autoriser ce que la dictature de Batista avait interdit ? Gutiérrez Alea répondait par un « oui » optimiste et goguenard.


(1) Cité par Julianne Burton dans l'ouvrage collectif « Les Cinémas de l'Amérique latine », Editions Lherminier, 1981.

(2) « Le Cinéma cubain », ouvrage collectif sous la direction de Paulo Antonio Paranagua, Centre Georges-Pompidou, 1990.


Volcans, numéro 23/numéro 9

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