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Les Indiens en lutte pour l'autonomie

Propos recueillis par Christian Tutin

Député du Parti de la révolution démocratique de l'Etat de Oaxaca, Francisco Andres Bolaños est le seul élu indigène au Parlement mexicain. Il était de passage à Paris en août, de retour de Genève avec une délégation de l'Assemblée nationale indigène pluraliste pour l'autonomie (Anipa).

Volcans : Quel était le motif de votre venue à Genève ?

Francisco Andres Bolaños : Nous avons participé pendant une semaine à une session du groupe de travail de l'ONU sur les peuples indigènes. Il s'agissait à la fois de préparer l'intégration du Comité mexicain pour la célébration du Jour de l'indigène, qui jusque-là n'existait pas au Mexique, et de discuter de la mise en place du Forum permanent indigène de l'ONU, qui va se substituer au groupe de travail actuel. Cela inquiétait beaucoup de peuples indigènes, qui tiennent à l'existence du groupe. En ce qui nous concerne, nous ne voyons pas d'objection à la création du Forum, à condition que cela ne se traduise pas par une restriction des possibilités d'expression des peuples indigènes et qu'il n'y ait pas de bureaucratisation du travail. Car il pourrait s'agir, en effet, d'une tactique des gouvernements pour limiter le droit à la parole des peuples indigènes.

La revendication d'autonomie des organisations indigènes mexicaines est parfois mal comprise, d'autant plus que vous parlez aussi d'autodétermination. Que faut-il entendre par là ? Cela signifie-t-il une remise en cause de la République mexicaine en tant qu'Etat unitaire ?

F. A. B. : Ce que nous voulons, c'est la reconnaissance officielle de nos pratiques ancestrales, que ce soit en matière culturelle, linguistique, religieuse ou juridique. Nous devons obtenir le droit de penser et d'agir comme nous l'entendons. Il y a un conflit entre le droit indigène et le droit constitutionnel. L'autonomie à la mexicaine que nous revendiquons doit faire cesser ce conflit. Ainsi, les Indiens obéissent à la loi indigène, mais ils sont jugés selon une autre loi. Nous voulons disposer de nos propres autorités, et assurer notre propre autodéveloppement dans le cadre de la République mexicaine. Nous devons avoir le droit de décider sur nos territoires, et que ces décisions soient respectées par l'Etat.

Un aspect essentiel est le droit effectif à l'éducation dans les langues indigènes. Certains peuples disposent déjà de livres dans leurs langues : c'est le cas, par exemple, des Mixtèques et des Yaquis (1). Mais cela n'existe pas au Chiapas.

Une autre question essentielle est celle des ressources naturelles et de leur exploitation. Elles doivent l'être par leurs propriétaires et doivent leur bénéficier. Cela n'exclut pas des accords de développement. Il ne s'agit pas d'interdire tout investissement de capital, mais d'éviter toute surexploitation, en protégeant à la fois les intérêts des populations et les ressources elles-mêmes, qui doivent être conservées et renouvelées.

Mais pour cela, il faut modifier la loi agraire, car cela touche au droit de propriété sur les terres communautaires. Or, la réforme de l'article 27 de la Constitution, adoptée en préalable à l'adhésion à l'Alena, en 1993, va exactement dans le sens contraire et, jusqu'à maintenant, le gouvernement s'est refusé obstinément à revenir sur cette réforme. Celle-là a profondément déstabilisé les communautés, car elle remet en cause leur rapport à la terre. Cette dernière redevient une marchandise comme les autres. Dans le statut de l'ejido, tel qu'il existait jusque-là, la terre ne pouvait en aucun cas être « aliénée ». Les paysans qui avaient un droit sur elle ne pouvaient la vendre par parcelles. Elle ne se transmettait que par héritage entre membres de la communauté. Si une famille cessait de la cultiver pendant plus de trois ans, alors elle perdait son droit de propriété qui passait à une autre famille de la communauté. De même, les banques ne disposaient d'aucun droit sur la terre en cas d'endettement du paysan. La loi agraire interdisait également aux étrangers de posséder des terres au Mexique. C'est tout cela qui a été remis en cause par la politique néo-libérale.

N'est-ce pas une position inconfortable que d'être député et indigène ?

F. A. B. : Ce n'est pas toujours facile. En tant que député indigène, il faut lancer des initiatives qui ne sont pas toujours facilement acceptées. Cela implique certaines contradictions avec le parti auquel j'appartiens. Certains militants ne sont pas d'accord, mais la plupart acceptent nos propositions. La base nous est plus favorable que la direction du PRD.

Qu'attendez-vous des accords sur l'autonomie auxquels sont parvenus l'EZLN et les représentants du gouvernement ? Comment vous situez-vous en tant qu'Anipa ?

F. A. B. : Ces accords sont très vagues et très généraux. Nous essayons de les convertir en cadre légal. L'Anipa existe depuis un an et demi. Elle participe de cette réactivation du mouvement indigène qui s'est produite après l'insurrection zapatiste de janvier 1994. Jusque-là, la situation politique ne permettait pas l'émergence d'organisations indigènes à audience nationale, même s'il existait, dans tout le pays, des mouvements indiens.

Ne participent à l'Anipa que des organisations indiennes, et aucun parti politique en tant que tel. Notre seule référence est l'accomplissement d'un travail en faveur de l'autonomie. Beaucoup de membres de l'Anipa ont été invités ou sont même conseillers de l'EZLN au dialogue de San Andres. Beaucoup sont promoteurs ou simples membres du Forum national indigène.

Que pensez-vous de la réforme constitutionnelle qui vient d'être adoptée ?

F. A. B. : Je suis content d'avoir été en déplacement à l'étranger pour ne pas être complice de cette chose-là. Ils se sont dépêchés de la promulguer avant que le nouveau président du PRD prenne ses fonctions début août. Du côté du PRD, elle a été négociée par l'ancien président, Muñoz Ledo, avec le gouvernement et les autres chefs de partis représentés à l'Assemblée. Anchon Manuel Lopez Obrador ne l'aurait pas accepté.

C'est une réforme qui ne répond pas à la revendication essentielle en matière constitutionnelle : une remise à plat du système institutionnel qui assurerait une véritable séparation des pouvoirs. A l'heure actuelle, le Parlement n'a qu'un rôle d'enregistrement. Il faudrait qu'il retrouve un rôle véritable, c'est-à-dire le pouvoir effectif de faire la loi, de la discuter, et de refuser au besoin les propositions gouvernementales.

Que pensez-vous de l'apparition d'une nouvelle organisation armée dans l'Etat du Guerrero ?

F. A. B. : Nous sommes dans l'expectative. Nous attendons de savoir ce qu'il en est exactement. Notre crainte est qu'il s'agisse d'une provocation gouvernementale pour accroître la répression. Dans l'immédiat, l'apparition de l'EPR (Armée révolutionnaire populaire) s'est traduite par une militarisation supplémentaire de l'Etat du Guerrero, et des arrestations de dirigeants d'organisations populaires, comme ceux de la OCSS (2) et du Codep (3). Certains conseillers de l'EZLN comme l'anthropologue Juana Lopez ont reçu des menaces.

Un certain nombre d'indices font douter de la réalité de l'enracinement populaire de l'EPR, dans la façon dont il est apparu, très spectaculaire, avec une mise en scène un peu infantile. Les guérilleros doivent faire leurs preuves.

Où en sont les développements judiciaires de l'affaire d'Aguas Blancas (4) ?

F. A. B. : Le procureur général est un « paniste » (5). Il a renvoyé le litige aux autorités judiciaires locales, si bien que toute l'affaire est enterrée.


(1) Les Mixtèques sont l'une des deux cultures de la valée de Oaxaca. Les Yaquis sont l'une des principales cultures indiennes du nord du Mexique.

(2) OCSS : Organisation paysanne de la Sierra du Sud.

(3) Comité de défense des droits du peuple de Oaxaca, dont Francisco Bolaños est membre. Les deux Etats de Oaxaca et du Guerrero sont frontaliers.

(4) A Aguas Blancas, en juin 1995, dix-sept paysans ont été assassinés par la police de l'Etat du Guerrero.

(5) Militant du PAN, Parti d'action nationale, opposition de droite qui ne cède en rien au PRI au pouvoir en matière de répression.


Volcans, numéro 23/numéro 9

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