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Chronique d'un dialogue rompu

Par André Aubry

Un des ateliers de la Rencontre intercontinentale a traité de la démocratie et la justice, un sujet brûlant au Chiapas, que l'EZLN met constamment sur la table de négociations avec le gouvernement. Retour sur les propositions faites par les zapatistes tout au long du dialogue avec Mexico.

Le Ya Basta ! des zapatistes exigeait démocratie et justice, mais pour le gouvernement, il n'y a pas de crise du régime, puisque le Mexique est un pays démocratique. « Comme le problème n'existe pas, ses solutions n'existent pas non plus », explique l'EZLN en résumant la position gouvernementale. Ainsi, malgré cinq mois de dialogue, l'atelier démocratie et justice (dans le cadre du forum politique) n'a pas eu de conclusion. Ce qu'éclaire un retour sur les impasses des négociations.

Le blocage commença dès la reprise du dialogue en mars dernier, car la délégation gouvernementale cherchait à esquiver les thèmes que voulait discuter l'EZLN : une réforme de l'Etat qui équivaudrait à un changement de régime. Lors des préliminaires (18-24 mars), la représentation officielle bouda la discussion, se présenta sans experts, et se tut pendant six jours devant les 159 experts et les soixante-douze invités de l'EZLN. A la session des 19-24 avril, il n'y avait donc que des propositions zapatistes, et les représentants du gouvernement verrouillaient les points essentiels : refonte de la Constitution, parti d'Etat et société civile. Un nouveau règlement, obligea les deux parties, les 16 et 17 juillet, à présenter chacune un document écrit, mais la table des matières que présenta le gouvernement ne faisait pas le poids devant les trente-cinq pages précises de l'EZLN. Si la session se poursuivit, ce fut parce que le gouvernement ne pouvait pas se permettre de n'avoir aucune bonne nouvelle à annoncer le 1er septembre, date à laquelle le président de la République, devant les deux chambres, se doit de rassurer l'opinion sur sa gestion annuelle. La délégation officielle chercha donc une issue honorable qui se réduisit à accepter la poursuite du dialogue sur ce sujet épineux.

En réalité, en marge de ces cinq négociations formelles, il y eut un long dialogue contradictoire. Le message gouvernemental était militaire et policier. Sous prétexte de lutte contre les narcotrafiquants, l'armée fit plusieurs incursions dans les Aguascalientes de l'EZLN (ses agoras) ; ses troupes et ses mitrailleuses furent repoussées par les zapatistes sans armes (donc sans rompre la trêve), par les femmes et les enfants des villages et par une camera vidéo. Mais dans les villages zapatistes, des groupes de choc armés par le PRI firent plusieurs dizaines de morts. En même temps, Mexico déployait une campagne de discrédit des zapatistes, de leurs soutiens et de la Conai (Commission nationale de médiation), assortie d'une démarche de la chancellerie mexicaine pour empêcher son financement par le Conseil de l'Europe, et mille tracasseries migratoires visèrent les étrangers des campements de la paix installés par la Conai.

La réponse de l'EZLN était , elle, clairement politique : une manifestation de 2 à 3 000 femmes zapatistes, venues de tout le Chiapas, à San Cristobal le 8 mars ; une rencontre continentale de 600 personnes ­ du Canada à l'Argentine ­, à La Realidad du 3 au 8 avril ; un forum national sur la réforme de l'Etat avec 1 250 participants du 1er au 7 juillet, à San Cristobal ; une réunion du Forum national indien dans le village zapatiste d'Oventic les 23 et 24 juillet ; et la Rencontre intergalactique du 27 juillet au 3 août.

Le 6 août, l'EZLN se présenta aux négociations avec un texte brillant qui résumait ces réunions, leur contenu et les formes de démocratie déjà testées dans l'action ; elle prouvait que la volonté zapatiste d'une issue politique allait au-delà des discours puisqu'elle avait déjà la capacité de mobilisation d'un mouvement politique. L'EZLN annonça même qu'elle était disposée à voyager dans le reste du pays pour remplir sa mission de « force politique ».

Pour risposter à cette offensive politique, la délégation fédérale sortit de son contexte des expressions du document zapatiste, les banalisant en lapalissades sur l'« approfondissement de la démocratie nationale », mais sans proposer aucun débouché concret, et prétendit les présenter comme un accord. L'EZLN, forte des engagements pris au nom de la société civile qu'elle avait consultée lors des différentes réunion sur l'avenir du pays et de l'économie, n'accepta pas cette farce.

Les représentants gouvernementaux menacèrent de déclarer clos le débat, c'est-à-dire d'écarter le sujet de la négociation, mais la Conai, soutenue par la Cocopa, finit par la convaincre que ni la loi ni le règlement ne le lui permettaient.

Depuis, le 29 août, l'EZLN a quitté la table des négociations face à la fin de non-recevoir du gouvernement sur les thèmes principaux du dialogue et à l'offensive militaire lancée par Mexico, qui menace les populations civiles.


Volcans, numéro 23/numéro 9

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