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Survie de l'autonomie de la Côte atlantique

Par Michel Picquart

Depuis l'indépendance du Nicaragua, en 1821, les gouvernements nationaux, comme la dictature de Somoza, n'ont joué qu'un rôle très limité dans le développement de la Côte atlantique. L'apport de la révolution sandiniste fut différent, même s'il ne fut pas exempt d'erreurs.

Traditionnellement, l'économie indienne est une économie d'autosubsistance. Les communautés vivent surtout de l'agriculture sur brûlis traditionnelle, de chasse, de pêche et de négoces. La terre est communautaire et d'usage familial.

Les organisations indiennes ont toujours revendiqué le droit à un développement autonome, la reconnaissance de leur identité culturelle, l'assurance de pouvoir pratiquer leur langue maternelle et le maintien de la propriété communautaire des terres qu'elles occupaient. Dès 1972, sous la dictature, les communautés sumo et miskito se sont dotées d'organisations propres telle Alpromsu (Alliance pour le développement miskito et sumo). Après le Triunfo de 1979, l'organisation Misurata est reconnue par le FSLN comme représentative des intérêts indiens, à condition qu'elle complète son appellation d'un label d'alliance avec les sandinistes. Elle devient alors Misurasata (Miskito, Sumo, Rama avec les sandinistes).

En avril 1980, cette organisation publie un programme d'action qui reprend dans ses grandes lignes la déclaration adoptée à Genève en 1977 par la Conférence internationale des ONG, prévoyant notamment la reconnaissance des nations indiennes, la reconnaissance des droits internationaux pour les groupes indiens, la garantie des droits indiens, la reconnaissance des juridictions, l'intégrité nationale et culturelle, la protection de l'environnement et le règlement des conflits. Le gouvernement sandiniste tarde ensuite à donner une réponse claire à la question indienne. D'incompréhensions en incompréhensions, de conflits en conflits, des procès à l'amnistie des populations indiennes miskito, en décembre 1983, une situation explosive se développe entre Indiens et sandinistes. Même si certaines erreurs ont été reconnues par les autorités de Managua, l'exploitation idéologique du problème indien par les Etats-Unis et leurs alliés somozistes et la guerre de destruction menée par les contras sur la zone atlantique créaient une situation difficile pour le gouvernement sandiniste.

Pourtant, Managua a eu le courage de publier, un peu tard cependant étant donnée l'acuité du problème, la déclaration d'août 1981 dans laquelle est affirmée publiquement, outre le respect des droits communautaires, culturels et économiques des Indiens, l'intégration à la problématique nationale de populations ethniquement minoritaires. Le problème indien n'en est pas pour autant résolu.

La loi d'autonomie a été évoquée dès 1984. Après les élections de novembre de cette année, une commission nationale s'est constituée. Présidée par Tomas Borge, elle était composée de six membres dont seulement deux costeños. Le processus fut très lent : la population se montrait très méfiante vis-à-vis du pouvoir central et interprétait cette demande comme une manoeuvre politique. Il fallut trois ans pour que l'idée prenne corps avec, pour commencer, la concrétisation de plusieurs aspirations des populations indiennes telles que la paix et le retour au Rio Coco duquel elles avaient été déplacées avec la guerre.

Un texte de compromis

En juin 1985, la Commission nationale fut élargie à quatre-vingts membres, tous costeños. A partir de septembre 1985, le débat fut engagé dans chaque village. Il se poursuivit toute l'année 86 et, en octobre, des zones expérimentales furent mises en place.

Le texte de la nouvelle Constitution du pays, approuvé en 1986, affirma quelques principes fondamentaux pour la Côte atlantique. La consultation populaire prit fin avec un projet de loi rédigé à Puerto Cabezas, en avril 1987, par 220 délégués de toute la Côte et qui fut approuvé par l'Assemblée nationale à Managua en septembre. Le statut d'autonomie est un texte de compromis où sont formulés de grands principes mais où certains problèmes cruciaux sont abordés de manière très évasive, voir ambiguë. Les deux principes fondamentaux du texte sont la nature multi-ethnique du peuple nicaraguayen et le caractère unitaire et indivisible de l'Etat national. La population a le droit de recevoir une éducation dans sa langue et de décider de sa propre identité ethnique.

La défense nationale et les relations internationales restent du ressort exclusif du gouvernement central. Il n'y a aucune indication quant au partage des tâches entre le gouvernement de Managua et ceux des régions autonomes. Au vu de l'énumération des attributions de ces dernières, il apparaît qu'elles disposent de pouvoirs étendus dans le domaine des services et de la distribution, plus réduits en ce qui concerne les activités productives et inexistants en matière de sécurité, de justice et de commerce extérieur.

En ce qui concerne la terre, la loi reconnaît aux communautés le droit fondamental « à l'usage et à la jouissance des eaux, forêts et terres communales dans le respect des plans de développement nationaux » et le droit « aux formes communales, collectives ou individuelles de propriété et de transmission de la terre ». Dans un autre article, la « propriété communale » est définie comme « les terres communales, les eaux et forêts qui ont appartenu traditionnellement aux communautés. Elles ne peuvent être ni saisies, ni vendues, ni frappées d'hypothèque (...) et les habitants des communautés ont le droit d'y travailler des parcelles et de jouir des biens qu'ils produisent ».

Le problème réside dans la délimitation concrète des terres. Les Sumo et les Miskito convoitent des terres importantes pour la chasse et la pêche, tandis que le gouvernement central les réclame pour l'exploitation du bois. Autre question sensible pour l'avenir de l'autonomie : l'économie. C'est le point le moins élaboré du projet. La loi reconnaît aux régions autonomes « une participation effective aux plans et programmes de développement dans la région, l'impulsion de projets économiques, sociaux et culturels propres à la Côte atlantique, l'encouragement des échanges traditionnels avec les Caraïbes en accord avec les lois nationales ». Les gouvernements autonomes n'ont aucun pouvoir dans les décisions stratégiques, ni dans la planification économique globale. Les régions autonomes n'administrent que des projets d'intérêt local.

Autre question brûlante : la répartition des bénéfices de l'exploitation des ressources de la Côte. Là encore, la loi est très floue : « L'exploitation rationnelle des ressources minières, forestières et maritimes dans les régions autonomes de la Côte devra bénéficier à ses habitants dans une juste proportion définie en accord avec les gouvernements régionaux et le gouvernement central. » Du point de vue politique et administratif, la Côte est divisée en deux régions autonomes. Néanmoins les attributions des gouvernements régionaux ne sont pas clairement définis par le statut.

A l'instar de nombreuses réalisations du gouvernement sandiniste, l'autonomie de la Côte atlantique a été fortement remise en cause par l'arrivée au pouvoir de l'UNO en avril 1990. Lors des élections générales de février 1990, la population de la Côte avait voté pour désigner ses représentants aux deux Conseils régionaux autonomes (CRA). Allant à l'encontre de la loi d'autonomie, qui prévoit que ces CRA sont les seules instances exécutives de la région, le gouvernement UNO a créé, dès sa prise de fonctions, un Institut de développement des régions autonomes (Indera). Pendant les cinq mois qui suivirent, les nouveaux gouvernements autonomes ne reçurent aucun financement. En revanche l'Indera fut doté d'un budget important et le gouvernement signala aux ambassades que toutes les aides devaient passer par cet organisme. Tout ceci en violation flagrante de la loi d'autonomie et du suffrage universel.

Concessions aux sociétés étrangères

Le rejet par l'UNO de la loi d'autonomie s'explique par le fait qu'il s'agit de la région la plus riche en ressources naturelles du pays (bois précieux, poissons et crustacés, nodules miniers). De hauts-fonctionnaires du gouvernement ont prétendu que « toutes les ressources du territoire national appartiennent à l'Etat » et ont autorisé la présence de compagnies étrangères. Des concessions ont été accordées à des sociétés étrangères d'exploitation forestière, de pêche, etc.

Mais une opposition s'est développée en 1991, venant des élus régionaux sandinistes, indigènes et même de l'UNO pour demander la suppression de l'Indera. L'UNO a même présenté un projet de modification de la Constitution afin d'y supprimer la « nature multi-ethnique » du peuple nicaraguayen. Mais les divisions ultérieures de ce regroupement ont fait que les modifications à la Constitution de 1995 ne sont pas revenues sur cet aspect du texte fondamental. On ne voit pas, alors que les libéraux n'ont pas la majorité absolue au Parlement, et qu'il faut une majorité des deux tiers pour tout changement constitutionnel, comment ils pourraient faire reculer les choses. Mais seuls d'importants investissements économiques permettront à la Côte atlantique de sortir de sortir de la profonde crise qui la submerge. C'est aussi le problème de tout le Nicaragua.


Encadré

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Volcans, numéro 26

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