Rappelons brièvement qui est le « Tatic » (père) Ruiz, l'évêque des indiens, l'homme qui fait enrager les propriétaires fonciers et le gouvernement mexicain.
Mgr Samuel Ruiz, qui a fait ses études à la vénérable Université grégorienne de Rome est arrivé au Chiapas pour assumer le diocèse de San Cristobal de Las Casas au début des années 60. Après avoir pris part à la conférence de Medellin (1968), il devient, pendant plusieures années, le responsable du Département des missions du CELAM (Confédération des évêques latino-américains). Influencé par la théologie de la libération. il publie en 1975 le livre Théologie biblique de la libération, qui célèbre le Christ comme un prophète révolutionnaire. Avec l'aide des jésuites, des dominicains et des ordres religieux féminins il mène pendant des années un patient travail pastoral d'éducation populaire. Un vaste réseau de 7 800 catéchistes indigènes et 2 600 communautés de base a été créé, qui a puissamment contribué à la conscientisation des communautés indigènes, en les aidant à prendre connaissance de leurs droits et à lutter pour les défendre. En 1974, Mgr Ruiz organise, lors du 500e anniversaire de la naissance de Bartolomé de las Casas, le premier Congrès indigène du Chiapas, avec la participation de 2 000 délégués indiens. Ce fut le point de départ d'un long processus d'auto-organisation des communautés mayas : jusqu'aux années 90, il n'y avait pas une seule organisation populaire au Chiapas qui ne se réclamait pas du mouvement issu de ce Congrès (1).
Cette activité a provoqué des conflits croissants de Mgr Ruiz avec les associations locales de grands propriétaires et éleveurs, avec le gouvernement mexicain et avec le nonce papal. Lors de la visite du pape au Mexique en 1993 une puissante campagne fut lancée pour obtenir le renvoi du « fauteur de trouble » et le nonce a annoncé son intention d'accéder à cette demande. Peu après éclatait en janvier 1994 le soulèvement zapatiste et le gouvernement mexicain, échouant à supprimer le mouvement, a été obligé à faire appel à Mgr Ruiz comme médiateur dans les négociations avec l'EZLN.
J'ai rencontré Mgr Ruiz pour la première fois lors d'une récente visite au Chiapas (février 1997). Après avoir célébré la messe en langue tzotzil dans une église remplie d'une immense foule dans le village indien de Zinacantan, Mgr Ruiz nous a très amicalement invités - moi-même et un ami mexicain, professeur à l'UNAM, Octavio Rodriguez Araujo - à partager son repas. J'ai pris des notes mais je n'ai pas utilisé de magnétophone. Le texte ci-contre n'est donc qu'une transcription approximative de ses paroles.