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Chiapas-Guatemala : une frontière en ébullition

Entretien avec Mario Monteforte Toledo

Mario Monteforte Toledo, sociologue, a écrit des essais, des romans, des contes et des pièces de théâtre. Il a été vice-président de la république et ambassadeur à l'ONU. Dans les années 50, il s'est retiré de la vie politique et a vécu principalement au Mexique et en Europe. Il vit aujourd'hui au Guatemala.
Le lac Atitlan au Guatelamla (Massimo Bulgarelli)

La frontière du Mexique avec le Guatemala est avant tout la frontière entre l'Amérique centrale toute entière et le Mexique. L'ensemble frontalier forme une véritable région avec ses coutumes, ses normes et des liens bilatéraux très forts, y compris une contrebande très active. Celle-ci va davantage du Mexique vers le Guatemala que l'inverse, le Mexique ayant une production industrielle beaucoup plus importante. Presque toute la moitié ouest du Guatemala est approvisionnée grâce aux produits mexicains qui représentent 60 % de sa consommation.

Les ethnies sont indigènes, descendent des Mayas d'un côté comme de l'autre de la frontière et, malgré des différences (toponymiques etc.) entre les langues parlées, elles arrivent à se comprendre. Elles se considèrent comme faisant partie d'une seule et même unité. Cela ne veut pas dire qu'il y ait du côté mexicain des idées séparatistes : les Indiens qui vivent au Mexique se sentent et sont en réalité mexicains. Un flux très ancien d'environ 40 à 50 000 Indiens Mam du Guatemala, passent la frontière comme si elle n'existait pas. Il s'agit évidemment d'une immigration irrégulière non contrôlée mais qui ne cause aucun problème majeur. L'immigration régulière, elle, représente 250 à 300 000 personnes qui vont travailler dans le sud du Chiapas d'octobre à janvier, pour y faire les récoltes de café. Là encore il est question d'une immigration très ancienne qui se fait en accord avec les finqueros (grands propriétaires) et les autorités mexicaines. Une partie de ces migrants n'est cependant pas contrôlée par la douane et cela pose des problèmes. Au Mexique, par exemple on refusait de scolariser les enfants de ces clandestins. Mais dernièrement, un changement des lois migratoires a enfin permis à ces enfants d'aller à l'école pendant ces trois mois de récolte.

Le flux migratoire sur cette frontière est considérable : environ 800 000 personnes par an passent par le Mexique en direction des Etats-Unis. Le durcissement des conditions d'entrée aux Etats-Unis s'est répercuté au Mexique.

Les dictatures guatémaltèques ont provoqué une forte émigration vers le Mexique : on compte environ 150 000 émigrés politiques dont 40 % ont signalé à l'ONU qu'ils n'étaient pas disposés à retourner au Guatemala. Le retour de ceux qui sont déjà revenus a été très mal organisé, on les a mis dans des espèces de ghettos, et isolés du reste de la population, ce qui ne donne pas envie aux autres de revenir.

Cette émigration est cependant différente de celle qui passe par le Mexique pour se rendre aux Etats-Unis. Dernièrement une série de nouvelles mesures politiques ont été prises au Mexique pour résoudre ce problème. Le président Zedillo lui-même a déclaré qu'il était impossible d'exiger des Etats-Unis qu'ils respectent les immigrés clandestins mexicains si eux-mêmes maltraitent les clandestins d'Amérique centrale. Ils ont donc mis en place de nouvelles autorités, de nouvelles consignes, et aujourd'hui il y a un vrai changement de la politique migratoire envers les Guatémaltèques.

Il faut aussi souligner le problème très sérieux de la contrebande du bois que tente aujourd'hui de résoudre le Guatemala. En effet, il y a eu, au Mexique, une telle destruction de la forêt des Lacandons que c'est au tour des forêts guatémaltèques d'être saccagées, surtout au nord de Huehuetenango et dans la région du Petén. Ce sont en principe des réserves naturelles protégées mais, du côté mexicain des scieries sont en contact avec ceux qui coupent le bois au Guatemala pour l'exploiter.

L'ALENA s'applique théoriquement jusqu'à la frontière avec le Guatemala. C'est comme si la frontière nord-américaine se trouvait là. Vu le mal qu'ils nous ont déjà fait de si loin, imaginez ce que cela signifierait de les avoir si près ! Cet accord est favorable à la moitié nord du Mexique, alors que le sud, si peu développé, ne remplit même pas les conditions imposées par ce traité. De ce fait, il se crée un vide dans cette partie du pays, et il est en train de se développer un espace économique intéressant allant de cette zone mexicaine jusqu'au Panama. L'Amérique centrale et le sud du Mexique tendent à former un même ensemble régional. On peut y voir l'émergence d'une nouvelle région économique sans que cela amène à des changements de nationalités et de frontières. Mais il est impensable de vouloir résoudre un quelconque problème de la région frontalière, des deux côtés, sans le faire d'un commun accord. Il est impossible d'appliquer une politique nationale dans cette région.

Propos recueillis par Paola Garcia


Volcans, numéro 26

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