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Le casse-tête de l'autonomie indienne

Par François Badaire

Le différent sur la question des droits indigènes traduit l'existence de deux projets difficilement conciliables.

Jusqu'à une époque récente, l'existence de peuples indiens n'était pas reconnue au Mexique. Il n'y avait que des citoyens, les uns plus marginalisés que les autres, mais citoyens quand même.

Il faut attendre 1991 pour que la Constitution reconnaisse que « la nation mexicaine a une composition pluriculturelle, basée originellement sur ses peuples indigènes ». C'était bien la moindre des choses. Alors que le Mexique se préparait pour les festivités du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique, il était prudent de rappeler que les descendants de colons européens n'étaient pas les seuls bâtisseurs de la nation mexicaine. Pour les onze millions d'Indiens que compte le Mexique, cette reconnaissance eut peu de conséquences pratiques. La simple mention de leur existence n'allait pas effacer du jour au lendemain 500 ans d'exploitation et de discrimination. Il leur fallait transformer ces poches d'oubli, où ils avaient été maintenus, en îlots de prospérité et de résistance aux politiques économiques qui dissolvent leurs communautés. A partir des années quatre-vingt, plusieurs organisations indiennes commencent à revendiquer l'autonomie. Ce droit leur est d'ailleurs reconnu par la Convention 169 de l'Organisation internationale du Travail, dont le Mexique est signataire. Une nouvelle réforme de la Constitution, définissant le statut d'autonomie et d'autodétermination des peuples indigènes, est à l'ordre du jour. Mais le pays hésite à franchir ce pas décisif, et les secteurs les plus conservateurs agitent le spectre de la balkanisation et du séparatisme. Pourtant, plusieurs groupes indiens jouissent déjà d'une autonomie de fait. Ils font toujours partie de la nation mexicaine. Et en plus, leur niveau de vie s'est considérablement amélioré.

C'est le cas des Yaquis dont le territoire est proche des Etats-Unis. Ils ont formé une union d'ejidos (1) devenue aujourd'hui une des plus grandes organisations paysannes du Mexique. Ils exportent aux Etats-Unis et ont leurs propres voies de communication, leurs camions, leurs centres de transformation, une agro-industrie. Sur la base d'une autonomie commerciale, les Yaquis ont réussi un véritable miracle économique.

Autre exemple, celui des Indiens de l'Etat de Oaxaca. Dans cet Etat, les trois quarts des municipes (le territoire de chaque Etat mexicain est découpé en municipes, chacun regroupant plusieurs communes) sont administrés selon le droit coutumier. Lors des élections de 1995, plus d'un million d'habitants de cet Etat ont élu leurs autorités municipales selon les règles traditionnelles. Loin de les marginaliser, cette autonomie de fait s'est accompagnée d'un développement local supérieur à la moyenne des campagnes mexicaines. Les projets d'agriculture biologique et d'irrigation se multiplient. Les trois ethnies de la région (Zapotèques, Mixes, Chinantecos) ont également leur radio (La voix de la Sierra), et, depuis peu, une chaîne de télé, (Notre Vision). Les Constitutions des Etats de Oaxaca et de Chihuahua reconnaissent déjà les systèmes normatifs indiens. Mais pour les rendre valides, il manque un toit constitutionnel au niveau fédéral.

L'EZLN, locomotive du mouvement indigène

La réforme de la Constitution est devenue la principale demande de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) qui, depuis son offensive de janvier 1994, joue le rôle de locomotive du mouvement indigène. C'est elle qui a forcé le gouvernement à négocier une nouvelle relation entre l'Etat et les peuples indiens, et qui veille aujourd'hui au respect des engagements pris.

Bien que composée majoritairement d'Indiens, l'EZLN ne s'est pas toujours identifiée à la cause indigène. Durant sa gestation, le mouvement armé partage plutôt l'orthodoxie marxiste, somme toute assez proche de la philosophie officielle de l'époque, selon laquelle le problème indien se résume à un problème d'intégration de la classe paysanne dans la société nationale.

La guérilla opère son premier virage idéologique peu de temps avant le soulèvement de janvier 1994. La Déclaration de la forêt des Lacandons reprend les slogans des mouvements de contestation indigènes à la célébration du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique. A l'époque, tous les combattants ne sont pas d'accord avec la tournure « indianiste » que prend l'EZLN. Certains y voient un risque d'enfermement dans un combat ethnique (2). Mais il est déjà trop tard. Les zapatistes nouent des liens étroits avec d'autres organisations indiennes. L'EZLN fait alors le lien entre la demande autonomiste de ces organisations et les deux piliers originels de son programme : la terre et la démocratie. Lorsque que débutent les négociations de paix consacrées aux droits indigènes, les invités et conseillers de l'EZLN arrivent avec un projet d'autonomie déjà bien défini.

Le 16 février 1996, le gouvernement et la guérilla signent l'accord de San Andrès, formulant pour la première fois dans un document officiel les principes d'autonomie et d'autodétermination des peuples indigènes. A l'époque, le pouvoir exécutif semble animé des meilleures intentions. Mais progressivement, il se met à faire marche arrière. Une des dispositions de l'accord obligeait l'exécutif à envoyer au Congrès un projet de réformes constitutionnelles qui reprennent l'essentiel de ce qui a été signé à San Andrès. Passent les mois et les sessions parlementaires sans que le pouvoir ne remplisse ses engagements, ce qui conduit l'EZLN à se retirer, au mois de septembre 1996, de la table des négociations.

Devant le risque d'une reprise des hostilités au Chiapas, la Commission de concorde et de pacification (Cocopa), composée de députés des quatre partis ayant une représentation parlementaire (3), et dont le rôle est de faciliter le dialogue entre les parties en conflit, rédige un projet de réformes traduisant en termes constitutionnels les accords de San Andrès sur l'autonomie et l'autodétermination des peuples indigènes.

Au mois de décembre dernier, nouveau coup de frein du gouvernement, qui envoie à l'EZLN une contre-proposition de réforme, remettant en cause ce qui a été signé à peine un an plus tôt. La guérilla rejette les propositions gouvernementales et depuis, le processus de paix est au point mort.

Un projet multiethnique

En apparence, les différences entre le texte de la Cocopa et celui du gouvernement sont d'ordre sémantique. En réalité, elles traduisent deux projets d'autonomie et deux philosophies difficilement conciliables. Les idées de l'EZLN à l'égard de l'autonomie indienne au Mexique sont inspirées des constructions théoriques des anthropologues Héctor Díaz Polanco (4) et Gilberto Lopez y Rivas, qui ont tous deux été conseillers politiques et scientifiques auprès des sandinistes, à l'époque où ces derniers tentaient de résoudre le problème des Miskitos sur la Côte atlantique du Nicaragua. Elles prennent appui sur des expériences d'autonomie déjà existantes au Mexique, notamment dans la zone contrôlée par les zapatistes. Le modèle défendu par l'EZLN constitue une tentative novatrice de coexistence entre groupes ethniques différents. Il vise à créer des régions autonomes à caractère pluri-ethnique, dotées d'un territoire, d'une forme de gouvernement, et d'un système juridique.

La Constitution actuelle reconnaît trois niveaux de gouvernement : la Fédération, l'Etat, et le municipe. L'idée de l'EZLN et d'une multitude d'organisations regroupées au sein de l'Assemblée nationale indigène plurielle pour l'autonomie (ANIPA) est d'instaurer un quatrième palier permettant, dans les régions peuplées d'Indiens, d'ouvrir l'éventail du système d'autonomie à partir du niveau municipal. Ce quatrième étage comprendrait la commune, le municipe et la région. « De telle manière, expose Héctor Díaz Polanco, qu'un ensemble de communautés puissent s'organiser en municipes et obtenir leur autonomie municipale, et qu'à leur tour, un ou plusieurs municipes puissent, selon les cas, le niveau de développement et les aspirations des peuples concernés, s'organiser en régions autonomes. »

Le but recherché n'est donc pas de limiter l'autonomie à la communauté, ce qui reviendrait à faire des réserves, mais de créer un espace dans lequel plusieurs groupes ethniques, et même des non-Indiens, choisissent leurs propres règles démocratiques et définissent eux-mêmes leurs modes d'exploitation des ressources naturelles.

De nombreux chercheurs et intellectuels expriment leurs réticences à l'égard de ce projet jugé utopique. C'est le cas de l'ethnologue Marie-Odile Marion, chercheuse à l'Institut national d'anthropologie et d'histoire, qui travaille depuis vingt ans sur la problématique du Chiapas. Selon elle, l'autonomie répond à la situation particulière des Indiens de cet Etat, où la vie politique est totalement contrôlée par l'oligarchie locale, mais il est absurde de vouloir légiférer sur l'ensemble du territoire national. « On ne peut pas faire un projet d'autonomie pour tous les groupes indiens mexicains, dit-elle. Ils sont trop différents, ils ont vécu des situations historiques tellement différentes, qu'imposer un même modèle est impossible. »

Dans certaines communautés existent parfois des pratiques contraires aux droits de l'homme. Des filles de 12 ou 13 ans sont obligées de se marier avec un homme que les parents choisissent. Les femmes sont dépossédées de leurs biens à la mort de leur mari. Sans garde-fou constitutionnel, l'autonomie risque de légitimer de telles pratiques. L'inquiétude porte également sur les minorités, et les dissidents (politiques ou religieux) victimes de l'autoritarisme de certains chefs traditionnels. « Il y a des communautés qui sont soumises au contrôle politique de caciques indiens, de chefs politiques qui ont repris les perversions introduites par le système mexicain, et on trouve des situations insupportables, comme ce qui se passe à Chamula et d'autres communautés du Chiapas, où des populations entières sont décimées, expulsées, ou torturées (5). Si on laisse l'autonomie à ces chefs politiques, que va-t-il se passer pour les minorités locales ? », s'interroge Marie-Odile Marion.

Héctor Díaz Polanco réfute ces arguments. Pour lui, le caciquisme résulte justement de l'absence d'autonomie des communautés indigènes. « Le cas des Chamula est bien clair, explique le conseiller de l'EZLN. Les caciques, qui pratiquent l'autoritarisme et expulsent les contestataires, sont la meilleure expression du système en vigueur au Mexique. Les caciques ne sont qu'une pièce, un maillon de la chaîne de domination qui va du gouvernement central jusqu'aux municipes. Cette chaîne, c'est le parti d'Etat, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). » Le but de l'autonomie est précisément de mettre fin à ces pratiques et de se défaire de la tutelle du PRI.

Vers une harmonie entre les différents groupes

Les interrogations concernant le projet autonomiste portent également sur le statut des non-Indiens. Obéiront-ils aux lois indigènes ? « Des règles et des mécanismes permettront que cette population puisse exercer totalement ses droits, aussi bien collectifs - en tant que groupes culturels - qu'individuels, les droits de l'Homme et leurs garanties constitutionnelles en tant que citoyens », explique Héctor Díaz Polanco. Ce modèle de démocratie locale et d'harmonie entre les groupes est destiné à s'étendre à l'échelle nationale et, pourquoi pas, à d'autres secteurs de la population, « à tous les quartiers, à tous les peuples qui veulent vivre en liberté et décider de leur propre destin », précise un document rédigé par une organisation indienne proche de l'EZLN. Derrière le projet d'autonomie des zapatistes se profile un vieux rêve utopique : celui de recréer la vie communautaire, sans perdre la liberté et l'indépendance de l'individu moderne.

Une autonomie sans contenu politique

Naturellement, ce n'est pas un projet de ce type que la délégation gouvernementale a approuvé à l'issue des négociations de San Andrès. Au cours des tractations, l'autonomie a perdu peu à peu son caractère politique. Plus question d'autonomie territoriale, de juridictions particulières, et de quatrième niveau additionnel au système fédéral. Si bien que les zapatistes, au moment d'apposer leur signature au premier accord de paix, précisèrent qu'il s'agissait là d'accords minimums. C'est la raison pour laquelle ils ont rejeté de manière catégorique la dernière proposition gouvernementale de réforme constitutionnelle, qui suppose une renégociation à la baisse des accords de San Andrès.

En apparence liées à des questions de technique juridique, les modifications apportées par le gouvernement au texte de la Cocopa visent à s'assurer que l'interprétation de certains termes ne permette pas de légitimer plus tard ce que la délégation gouvernementale n'avait pas laissé passer à San Andrès, à savoir la remise en cause du municipe comme unité de base de la Nation, le caractère territorial de l'autonomie, ainsi que l'usage et la jouissance collective des ressources naturelles. C'est pourquoi le texte gouvernemental emploi le terme d'entité d'intérêt public pour désigner les territoires indiens, au lieu d'entité de droit public, qui pourrait conduire à toutes sortes d'interprétations, et notamment « à l'existence d'un quatrième niveau de gouvernement », selon le juriste José Luis Soberanes. En fin de compte, « la proposition du gouvernement expose les communautés indiennes à des formes de régulation gouvernementales semblables à celles utilisées dans l'industrie de la pâte à tortilla, elle aussi ``d'intérêt public'' », conclut le Commandement général de l'EZLN.

Le projet gouvernemental peut cependant avoir de graves effets pervers. En fermant la porte à toute remunicipalisation, c'est-à-dire à la formation de nouveaux municipes englobant des groupes ethniques différents, le pouvoir opte pour une solution mono-ethnique. Sa volonté de maintenir l'actuel découpage administratif et de n'accorder l'autonomie aux communautés indiennes qu'à l'intérieur des municipes déjà existants comporte le risque de voir se former de véritables réserves où règneraient l'intolérance et la pureté du sang. Au lieu d'inverser le processus d'atomisation, que connaissent les communautés indiennes depuis la conquête espagnole, leur isolement risque de s'aggraver. En fait, ce que le gouvernement cherche par dessus tout à éviter, c'est qu'un frein soit mis aux réformes néolibérales initiées par l'ancien président de République, Carlos Salinas de Gortari. Dans l'oreille des économistes qui entourent l'équipe dirigeante, le terme « usage et jouissance collective des ressources naturelles », présent dans le texte de la Cocopa, sonne particulièrement mal. En effet, depuis 1992, date de la réforme de l'article 27 de la Constitution (l'article qui contenait le grand pacte agraire issu de la révolution de 1910 et qui garantissait le caractère inaliénable des terres ejidales), le pouvoir mexicain fait tout pour démanteler ces grandes unités agricoles que constituent les ejidos. Dans les régions indiennes, l'ejido s'était tout simplement substitué aux communautés traditionnelles, et le caractère collectif de leur organisation sociale avait été préservé. Mais avec la réforme de l'article 27, le petit paysan a désormais le droit de vendre son lopin de terre, initiant ainsi un processus de désintégration des communautés indigènes. Dans l'esprit des dirigeants, cette réforme néolibérale permettait d'injecter des capitaux dans les campagnes et de moderniser l'agriculture. « Il y a du pour et du contre dans cette réforme, reconnaît Enrike Ku Herrera, chef du département pour l'action indigène du PRI. Ma famille est ejidataire. Nous avons des terres, mais ce ne sont pas les meilleures. Humbles paysans, nous devions pratiquer l'agriculture traditionnelle, qui n'est pas rentable. En cultivant du maïs, on ne gagne rien, car les prix sont très bas et la production très élevée. Que faut-il faire pousser dans la région ? Des arbres fruitiers par exemple. Il faut cultiver d'autres produits, mais les paysans n'ont pas les ressources suffisantes. Conclusion, nous sommes condamnés, par le collectivisme, à pratiquer l'agriculture traditionnelle, et nous n'avons pas d'avenir. » Mais pour des millions de petits paysans endettés, cette « liberté » de vendre leur terre signifiait aussi l'exil ou le retour au travail salarié dans les grandes haciendas. Cette remise en cause d'un des acquis de la révolution fut un des principaux détonateurs du soulèvement zapatiste.

Dans les régions indiennes, la réforme de l'article 27 n'a guère eu d'effet. Les paysans, sous la pression de la communauté, ont gardé leurs terres. Les propositions, sans doute, n'étaient pas suffisament alléchantes. Mais cela pourrait bien changer avec le projet Développement forestier, une entreprise dont l'objectif est de produire 6 millions de mètres cubes de bois par an, qui seront vendus aux sociétés américaines Simpson Paper et Louisiana Pacific. Ce projet prévoit de planter, dans les Etats de Campeche, Chiapas et Tabasco, 300 000 hectares d'eucalyptus, une plante qui présente l'avantage de pousser à une vitesse ultra-rapide, mais l'énorme inconvénient de détruire toute végétation autour d'elle, et de provoquer l'érosion des sols. Le plan d'exécution est simple. Il s'agit de s'associer aux petits propriétaires qui apporteront le droit d'utiliser leur terre en contre-partie d'actions dans la société.

Ce projet risque de tomber à l'eau si la Constitution reconnaît le droit au communautés indigènes « d'accéder de manière collective à l'usage et la jouissance des ressources naturelles de leur terres et territoires ». Celles-ci pourront en effet décider collectivement de préserver l'intégrité de leur domaine agricole et choisir ensemble leurs projets productifs. A coup sûr, elles ne troqueront pas leurs terres contre des actions en Bourse et ne permettront pas la destruction de leur environnement.

Le processus dans une impasse

Trois proches du président Zedillo, Luis Téllez, directeur de cabinet du chef de l'Etat, Arturo Warman, ministre de la Réforme agraire, et Emilio Chuayffet, ministre de l'Intérieur, auraient, selon le journal mexicain La Jornada, d'importantes participations dans la société Développement forestier. De là à dire qu'ils sont à l'origine des contre-propositions gouvernementales au projet de réforme de la constitution sur l'autonomie indienne, il n'y a qu'un pas que l'opposition franchit allègrement.

Depuis la contre-proposition gouvernementale et son rejet par l'EZLN, le projet de réforme de la Constitution est au point mort. Quant au processus de paix, il se trouve fortement compromis, car en remettant en cause les accords de San Andrès, le pouvoir jette un doute sur tous les accords futurs.

L'EZLN se trouve dans une impasse, à la fois politique et militaire. Pour certains, c'est le projet même d'autonomie qui en est la cause. « Je crois que sur ce point, l'EZLN s'est trompé, déclare Marie-Odile Marion, car c'est un modèle qui ne sera pas viable, pas accepté par le gouvernement, et qui va entraîner les négociations sur une voie qui ne mène nulle part. » Le gouvernement, qui garde en réserve l'option militaire pour mettre fin à la rébellion au Chiapas, considère aujourd'hui qu'il peut imposer ses vues à l'EZLN. Son calcul repose essentiellement sur le recul de l'influence du mouvement armé au niveau national et sur sa faiblesse militaire. « Il me semble que c'est un calcul extrêmement dangereux, car il y a déjà eu des conjonctures durant lesquelles la société civile semblait se désintéresser de la problématique du Chiapas, mais chaque fois que se crée une situation de crise, il y a une renaissance de la mobilisation publique », prévient Hector Díaz Polanco.

Plutôt que de signer un projet de réforme de la Constitution qui légitimerait a posteriori le soulèvement zapatiste, le pouvoir préfère temporiser et observer la capacité de mobilisation de l'EZLN. Mais en remettant en cause les accords de San Andrès, il ferme la porte à toute transition pacifique dans le conflit du Chiapas. « Pour le gouvernement, la pilule la plus difficile à avaler, c'est l'EZLN, affirme Javier Elorriaga, dirigeant du Front zapatiste de libération nationale (6). Il considère qu'en anéantissant l'Armée zapatiste, il pourra contrôler plus facilement les autres peuples indigènes, ce qui est une bêtise. » Effectivement, en moins de dix ans, les Indiens sont passés de la non-existence juridique au statut d'acteurs incontournables de la vie politique mexicaine. Avec ou sans l'EZLN, ils continueront leur marche irrésistible vers leur émancipation.


(1) Les ejidos étaient jusqu'en1992 des unités agricoles appartenant à l'Etat, laissées en usufruit à des petits paysans qui les exploitaient soit individuellement, soit collectivement en coopératives de production. Depuis 1992, chaque usufruitié peut devenir propriétaire de sa parcelle.
(2) Lire « Le grand virage des zapatistes », Le Monde diplomatique, janvier 1997.
(3) Il s'agit du PRI, du PAN, du PRD et du PT.
(4) Héctor Díaz Polanco, Autonomía regional, Siglo veintiuno, Mexico, 1996
(5) Depuis une trentaine d'années, les chefs traditionnels, liés au PRI, et bénéficiant de nombreux privilèges, dont le monopole de la vente d'alcool, chassent les membres de la communauté convertis au protestantisme et les catholiques proches de la théologie de la libération qui contestent leur autorité.
(6) Le FZLN est l'organisation civile créée par l'EZLN a l'issue du référendum sur l'avenir politique de la guérilla, qu'elle organise en août 1995 sur l'ensemble du territoire national.


Volcans, numéro 26

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