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Le droit à la souveraineté alimentaire

Entretien avec Jean Cabaret

Eleveur de porcs dans les Côtes-d'Armor, Jean Cabaret est secrétaire national de la Confédération paysanne, chargé des relations avec l'Amérique latine. Pour ce syndicat farouchement hostile à une agriculture réglée par le seul jeu du marché, il existe des luttes communes entre paysans du Nord et du Sud.

Volcans : Au-delà de la lutte paysanne en France, la Confédération paysanne participe à plusieurs organisations internationales. Quelles sont-elles ?

Jean Cabaret : La Confédération paysanne est en effet un syndicat agricole à vocation générale, c'est-à-dire susceptible d'intervenir et de prendre position sur tous les problèmes qui ont trait à l'agriculture. Nous représentons plus de 20 % des paysans après les élections professionnelles de 1995.

Photo : Massimo Bulgarelli

Notre projet repose sur le partage du travail et des droits à produire. Nous luttons pour le maintien d'un maximum de paysans. L'année dernière, la France a encore perdu 30 000 exploitations. C'est le résultat d'une politique de restructuration permanente menée par les lobbies économiques de l'agro-alimentaire et les responsables agricoles qui cogèrent cette politique (1). Les graves problèmes environnementaux posés par l'industrialisation de l'agriculture montrent aussi l'urgence de la mise en oeuvre d'autres systèmes de production.

Mais nous sommes aussi membres d'organisations internationales, comme la Coordination paysanne européenne (CPE), qui regroupe des syndicats travaillant dans le même sens sur l'ensemble de l'Union. Elle est notre relais à Bruxelles, là où se déroulent les grands axes de la politique agricole commune, actuellement nuisibles à la fois pour les paysans européens et ceux du monde entier et tendant à détruire les tissus ruraux.

Enfin, Via campesina est une coordination mondiale de mouvements paysans qui luttent pour l'élaboration de politiques agricoles nationales respectant la souveraineté alimentaire des pays et les populations. Le rôle des syndicats, ou mouvements paysans, n'est certes pas le même au Sud qu'au Nord mais la confrontation des diverses situations est extrêmement importante.

Quelle analyse avez-vous du monde rural outre-Atlantique ?

J. C. : Elle est, comme dans la plupart des pays du monde, très inquiétante. Ces pays subissent, en effet, les contre-coups de politiques financières et spéculatives des grands groupes multinationaux qui n'ont que faire du bien-être des populations et de leur environnement. Au Mexique, la proximité des Etats-Unis n'a fait qu'amplifier le phénomène.

Aussi, en 1994, notre lutte pour le maintien de l'exception agricole dans les accords du Gatt, devenu depuis l'Organisation mondiale du commerce, a-t-elle rejoint le combat des paysans mexicains contre les accords de libre-échange en Amérique du Nord. Les différents accords de ce type à travers le monde déréglementent tous azimuts les politiques nationales. Les gouvernements des pays les plus pauvres se trouvent sous dépendance, de fait, des pays les plus riches.

Vous qui prônez en France une agriculture autonome, économe et respectueuse de l'environnement, pensez-vous que ce modèle est applicable en Amérique centrale et dans les Caraïbes ? Le producteur français de maïs et celui des hauts plateaux mexicains ne sont-ils pas condamnés à se livrer une concurrence sauvage ?

J. C. : Quand les paysans d'ici, toujours moins nombreux, produisent de plus en plus pour exporter, nous savons que nous détériorons les capacités de production des pays en voie de développement. Ce constat a même été fait récemment lors du Congrès de la FAO à Rome. Cependant, nous pensons qu'il est possible de produire ici sans interférer négativement dans ces pays. Le respect et la mise en valeur des richesses et potentiels de chaque région permettrait, dans la majorité des cas, de subvenir aux besoins alimentaires locaux. Bien évidemment, ces efforts peuvent être compromis par de nombreux événements, tels conflits, catastrophes naturelles, etc. C'est là que le maintien d'un surplus alimentaire est indispensable. Le débat, la confrontation entre les paysans des différentes régions du monde peut et doit faire progresser ces vérités fondamentales que je résumerai ainsi : une souveraineté alimentaire des peuples et des Etats plutôt qu'une sécurité alimentaire décrétée par les pays riches afin de se donner bonne conscience et surtout exporter leurs excédents.

Propos recueillis par Jean-Louis Bataller


(1) La FNSEA-CNJA, auto-proclamée seule représentante des agriculteurs et proche du RPR.


Volcans, numéro 26

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