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L'accord sur l'identité et les droits indigènes au Guatemala

Par Jésus García Ruiz (CEIFR-EHESS)

Cinq éléments nous paraissent centraux dans les engagements stratégiques que contient l'Accord sur l'identité et les droits indigènes. Sans chercher à entrer dans l'analyse précise des formes d'action politique, nous voudrions proposer certaines réflexions quant au contenu de ces engagements.

Au Guatemala, le concept de Nation est un concept central que nous pourrions synthétiser ainsi : la nation guatémaltèque doit intégrer la totalité des mémoires sociales construites tout au long de son histoire par l'ensemble des groupes sociaux qui coexistent sur le territoire national. Cet ensemble de mémoires doit être reconnu comme autant de composantes de la nation guatémaltèque et, partant, elles doivent être enseignées et exprimées. Cette fonction d'explicitation concerne indiscutablement l'ensemble des groupes sociaux, mais également l'Etat en tant que garant de la solidarité, de la cohésion nationale et de la configuration de la Nation aux différentes étapes de son développement. La Constitution de la République doit incorporer ces réalités non pas comme une « concession et une reconnaissance », mais en tant que composante structurelle de la conscience nationale. Il ne s'agit donc pas de « reconnaître qu'existent des groupes indigènes sur le territoire, avec leur histoire, leurs coutumes, leurs langues, etc. » - comme c'est le cas dans plusieurs passages de la Constitution actuelle. Il s'agit que la Constitution intègre la totalité des réalités socioculturelles en tant que composante intégrale de la nation guatémaltèque : ainsi seulement chaque groupe social trouvera sa place et sa fonction. L'Etat doit élaborer des politiques publiques qui aillent dans ce sens : cela implique des politiques volontaristes qui fassent progresser les idées, les formes d'organisation et de participation idéologique, sociale, politique, économique, etc., de sorte que se construise une conscience nouvelle de l'appartenance et de la coexistence. Les divers pouvoirs d'Etat doivent assumer cette fonction avec la conscience claire qu'il s'agit d'un moment historique et d'une responsabilité face à l'histoire, en leur qualité de représentants de la totalité des groupes sociaux.

L'Etat doit donc assumer la responsabilité de la défense de l'ensemble des valeurs nationales et par là même éviter que certains groupes sociaux ne s'approprient ce qui constitue l'histoire de tous. C'est ce qui se produit au Guatemala avec la civilisation maya : elle doit faire partie de l'histoire de la totalité de la nation, pour ce qu'elle constitue une vision diachronique du territoire et de la culture. En d'autres termes, l'histoire des sociétés qui existaient au Guatemala avant la Conquête fait partie de la totalité de l'histoire et de la culture nationale et de la mémoire sociale construite sur le territoire guatémaltèque et cette réalité doit être intégrée au patrimoine de tous les Guatémaltèques comme partie de la totalité de l'héritage dont la Nation est dépositaire. Il est indispensable que cet héritage soit approprié par l'ensemble des groupes sociaux et l'Etat ne peut ni ne doit permettre qu'il soit confisqué par certains. Il en va de même avec l'héritage colonial : tous les groupes sociaux ont contribué à créer l'art, la culture, les formes de vie sociale et ces créations font partie du patrimoine de tous les Guatémaltèques.

Priorité à l'action éducative

Ce rôle d'explication et de conceptualisation de la représentation de la Nation doit à son tour être pris en charge par l'Etat de façon volontariste, avec des objectifs à moyen et long termes. Ces objectifs relèvent, prioritairement, de l'action éducative. Mais il s'agit d'une action éducative qui détermine des priorités et des formes d'action opérationnelles. Ces formes d'action doivent se situer à différents niveaux : une action d'information massive et de formation sur la réalité guatémaltèque qui passe par des campagnes nationales appuyées sur la fourniture de documents et de matériel ad hoc (documentaires, diffusions dans les journaux, à la radio, etc.). Mais il faut avant tout planifier des actions politiques à moyen et long terme en agissant sur le système éducatif et culturel. L'effort éducatif doit porter prioritairement sur les écoles normales : les enseignants et les futurs enseignants sont en position privilégiée pour faire progresser une nouvelle vision de l'être guatémaltèque par l'instruction civique, la formation historique, la valorisation de l'héritage national, musées, expositions itinérantes, etc., qui retracent la continuité de la Nation, des hommes et de la culture contemporaine.

Ce secteur occupe une place clairement centrale et l'Etat doit intervenir pour donner cohérence et continuité à l'ensemble des initiatives qui peuvent apparaître à différents niveaux de la société civile. La cohérence est nécessaire, faute de quoi on court le risque de voir atomisés initiatives, expressions et projets, risque déjà bien présent dans certains secteurs.

Rejeter les logiques de discrimination

La construction d'une nation solidaire implique la coexistence sur un même territoire de groupes sociaux conscients de l'auto-estime et de l'autovalorisation individuelles et sociales, ce qui conduit - en partant de cette affirmation renforcée du moi - à la valorisation de l'autre et des autres groupes sociaux. Les mécanismes de marginalisation, d'exclusion, de disqualification de l'autre et des autres à l'intérieur d'un territoire et d'une nation produisent une nation configurée par des formes d'opposition, d'antagonisme et de disqualification qui prennent souvent la forme de racismes ethniques, sociaux et culturels et/ou la forme de préjugés qui disqualifient l'autre.

Dans l'histoire du Guatemala, les mécanismes de disqualification de l'autre - indien, sale, brute - et les formes de domination ont contribué à créer une société duale où l'auto-perception du groupe dominant disqualifie radicalement le groupe dominé que l'histoire passée avait mis à son service. Ces processus historiques ont aussi créé des formes implicites de domination et de soumission qu'il faut absolument rejeter : la prise de conscience de soi conduit au développement de formes d'affirmation et de confrontation qui peuvent produire des conflits locaux, régionaux et nationaux. L'Etat doit prendre l'initiative de sorte que les groupes sociaux dominés au cours de l'histoire puissent être reconnus dans leurs droits de citoyens respectés. Ici se situe le noyau historique de la contradiction : après la reconnaissance en 1949 par les Nations unies de l'individu en tant qu'objet de droits, on assiste à la disparition du droit des minorités - non pas en tant que minorité numérique, mais en tant que groupes dominés au sein de la Nation -, dans la mesure où l'Etat démocratique revendique - dans le cadre de sa souveraineté - le contrôle de la totalité de l'espace de droit et de sa mise en oeuvre sur le territoire national. Les droits de l'homme et leur garantie, dans ce contexte, relèvent de l'autorité de l'Etat en tant qu'unique acteur de leur inscription dans la réalité. Mais l'Etat est sous le contrôle d'une minorité qui parle en tant que majorité, et s'approprie les formes de cette inscription dans la réalité. Les sujets ne sont pas perçus en tant que citoyens mais en tant que sujets dominés.

La véritable responsabilité de l'Etat, dans ce contexte, consiste à assumer le fait que ses sujets sont des citoyens, c'est-à-dire des hommes libres, dotés de droits, et qu'il lui revient de les défendre. L'Etat, dans la situation historique que connaît aujourd'hui le Guatemala, doit être le garant du respect des droits des groupes dominés pour qu'ils puissent s'intégrer à la Nation en tant que citoyens et non en tant que sujets contrôlés directement ou indirectement par les groupes sociaux qui se considèrent supérieurs et veulent s'arroger des droits sur les autres au nom de cette supériorité.

L'Accord part de ces prémisses et formule clairement la nécessité de faire que cet état de fait cède la place à un état de droit, où l'égalité des groupes sociaux qui intègrent la Nation serait le seul élément de référence et d'articulation des politiques de l'Etat. Mais la transformation des mentalités et des pratiques sociales n'étant pas le simple résultat de la bonne volonté, il faut expliciter des espaces d'intervention volontariste de l'Etat de sorte que les relations sociales au sein de la nation changent de nature. L'Accord explicite des secteurs précis où l'Etat doit intervenir : droits de la femme, droits des groupes indigènes exclus, modification de la Constitution en vigueur, création d'instances d'intervention (judiciaires), etc.

S'il est vrai que la société civile doit acquérir son autonomie, forme d'intervention et de contrôle des acteurs de l'Etat démocratique, ses propres formes d'action et ses propres stratégies, garanties de sa capacité de peser et d'exercer le pouvoir qui lui revient, il est tout aussi vrai que l'Etat doit permettre l'ouverture d'espaces au sein de la société elle-même et des institutions qu'il contrôle.

Créer des espaces intermédiaires de pouvoir

L'Accord élabore une réflexion particulièrement riche quant à la participation, la consultation de la société civile, la représentation dans les instances de pouvoirs local, régional et national, etc. Il insiste sur la nécessité de transférer des rôles que l'Etat a assumés historiquement, au nom du centralisme et d'une certaine conception du pouvoir, à des espaces intermédiaires qui garantissent l'adéquation entre les besoins, la population et les choix politiques. La décentralisation de l'administration publique, du système d'éducation, de la culture, de la santé, de la planification, sont des modalités concrètes de transfert et de participation. Tout cela implique des transformations dans la structure même de l'Etat et dans l'organisation de la société.

Sur ce sujet, la réflexion et les orientations politiques qu'impulse l'Accord engagent l'Etat dans une réflexion précise. S'il est vrai que ce qui est proposé ne conduit pas à reconnaître des droits spécifiques, il est bien clairement explicité qu'il s'agit de faire que les droits de l'homme auxquels a droit tout citoyen soient développés et appliqués en fonction des spécificités culturelles, historiques, territoriales, etc. L'Etat doit ainsi garantir à tout citoyen l'ensemble des droits qui lui reviennent compte tenu de sa réalité culturelle et de ses besoins.

L'Accord comprend plusieurs points : officialisation des langues, réforme de l'éducation, ouvertures d'espaces dans les moyens de communication sociaux, costumes, lieux de cérémonie, identité individuelle (noms et prénoms), identité spatiale (toponymies, etc.), formes d'organisation, formes d'autorité et de pouvoir, formes de normativité, etc. La contribution de l'Accord dans ce domaine est particulièrement importante, comme nous l'avons déjà souligné, car il a conduit à une réflexion et à des propositions essentielles pour le développement et la consolidation de la Nation - et de la nationalité - guatémaltèque.

La garantie juridique de la terre

S'agissant d'une société profondément agraire, comme c'est le cas du Guatemala, où une partie significative - majoritaire - de la population possède une philosophie et une conception du monde enracinées profondément dans le système symbolique et référentiel de la Mère Terre, dont les membres assurent leurs subsistance pour l'essentiel par l'agriculture, le thème de la terre est évidemment central. Il codifie les comportements, mobilise les volontés, éveille les sensibilités, les prises de conscience et les engagements. Mais plus encore ce thème polarise les représentations, les sentiments, les espoirs et les nécessités. Pour cet ensemble de raisons - et bien d'autres encore - le thème de la garantie juridique de la terre est l'un des talons d'Achille de la société guatémaltèque.

L'Accord sur l'identité et les droits indigènes est incontestablement une mise en forme des plus pertinentes d'un secteur de la réalité guatémaltèque, secteur qui concerne la population qui se réclame de l'histoire et des systèmes cognitifs hérités - puis transformés - de la population maya. Porteurs d'une conception de la personne, du monde, du rapport au sacré et des relations entre personnes, ils réclament des modalités de vie sociale au sein d'une société multiculturelle, multiethnique, multilingue.

Ils réclament également le droit à une existence sociale spécifique au nom de la diversité et de la différence. Et cela ne signifie pas renoncer à l'universalisme : l'autre est l'égal de moi, telle est la première valeur de référence à laquelle s'ajoute immédiatement : l'autre me reconnaît, m'accepte et m'intègre pour ce que je suis.


Volcans, numéro 26

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