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La privatisation en marche

Par Laurent Beaulieu

Dans un document confidentiel, daté du 11 avril 1996, la Banque mondiale demande que les entreprises publiques d'Haïti soient « rapidement et complètement privatisées sous une forme ou une autre ». Mais il n'est pas certain que les députés vont accepter facilement la loi de privatisation qui va leur être présentée.

Entré en fonctions le 7 février 1996, le président René Préval n'a pas tardé à prendre à bras le corps l'épineux problème des privatisations. Elles sont réclamées par les institutions financières internationales. L'enjeu immédiat est le déblocage de l'aide financière extérieure, qui se trouve gelée depuis octobre 1995. Au début du mois de mars, René Préval effectua une tournée dans le pays. Il expliqua aux paysans que les caisses de l'Etat étaient vides. Sa conclusion était que la situation de la paysannerie ne s'améliorerait pas tant que l'Etat n'aurait pas vendu des entreprises publiques. « Une boutique qui ne rapporte pas, il faut la vendre », fit-il même répéter aux paysans.

Quelques jours plus tard, il s'envolait vers les Etats-Unis. Avant de le recevoir, Bill Clinton déclara à la presse qu'il souhaitait voir les dirigeants haïtiens éliminer tous les obstacles gênant les négociations avec le FMI et la Banque mondiale. Ces discussions ont commencé le 15 avril. Il est prévu qu'elles durent un mois. Trois jours avant leur début, René Préval annonça sa nouvelle position : sa préférence allait à des privatisations « par capitalisation », selon le modèle bolivien. Le 12 avril, il présenta même à la presse José Valdez, le secrétaire d'Etat bolivien à la « capitalisation ». Selon ce schéma, les entreprises publiques visées par le processus de privatisation seraient transformées en sociétés anonymes. Ainsi, 50 % des actions seraient cédées à des firmes privées ; 40 % du capital serait réparti entre les 135 communes du pays, afin de favoriser la décentralisation. Et 10 % irait probablement à un fonds de pension. Dans le système bolivien, les firmes privées acquérant ainsi des actions ne versent pas d'argent au Trésor public mais s'engagent à investir la somme équivalente. Pour atténuer les critiques, René Préval a souligné avec insistance que les entreprises publiques ne seraient pas vendues. Mais y a-t-il grande différence à partir du moment où des sociétés privées les gèrent à leur guise ?

Un débat faussé

L'argument généralement avancé en faveur des privatisations est la mauvaise gestion et le déficit des entreprises publiques. Des études ont montré que cela est loin d'être vrai pour toutes. Ainsi l'entreprise de télécommunications Téléco est une des principales sources de devises du pays. En dépit d'énormes problèmes liés à une gestion incohérente, irrationnelle et souvent peu honnête, elle dégage des profits considérables. Selon l'avis de tous, et même des experts de la Banque mondiale, la Téléco dispose de bons cadres techniques. Le potentiel de croissance de l'entreprise est énorme, vu qu'il existe une liste d'attente de 130 000 foyers. On a calculé que, même en diminuant de moitié les tarifs d'abonnement, la Téléco pourrait dégager des revenus de l'ordre de 221 millions de dollars par an si cette demande était satisfaite. Mais la technologie utilisée par l'entreprise est totalement obsolète, ce qui a de graves conséquences sur son activité. On estime ainsi que seulement 20 à 30 % des appels internationaux émis depuis Haïti aboutissent. Une amélioration technologique permettrait une augmentation considérable des recettes et des profits. Selon la Banque mondiale, des investissements de l'ordre de 200 millions de dollars sur quatre ans sont nécessaires pour moderniser et restructurer l'entreprise. Compte tenu des profits réalisés, la Téléco est en mesure d'autofinancer aisément une partie substantielle de ces investissements. L'apport de capitaux extérieurs pourrait donc se faire sans qu'elle passe sous contrôle privé. Mais les exigences des institutions de Bretton-Woods faussent le débat. Pour elles, peu importe quelle est la meilleure solution pour Haïti. L'essentiel est que les réformes soient menées conformément au modèle théorique néo-libéral et que les sociétés privées internationales y trouvent leur compte.

En prenant la Bolivie comme modèle pour convaincre ses adversaires, René Préval n'a pas fait le meilleur choix. Le 18 mars commençait en Bolivie une grève de grande ampleur, marquée par des manifestations et de nombreux affrontements avec la police. Aux premiers rangs des grévistes se trouvaient précisément les ouvriers du pétrole, des télécommunications, de l'eau et de l'électricité, qui refusent la « capitalisation » de leur entreprise.


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