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Ces pays où l'enfance n'existe pas

Par Giovana de Stefani et Luc Maranget

La Convention relative aux droits de l'enfant des Nations-Unies énumère les droits fondamentaux de l'enfant, droit de grandir en paix au sein de sa famille, droit à la santé, à l'éducation, droit au jeu... Force est de constater que les enfants centraméricains sont loin du compte : droits violés, droits oubliés, droits piétinés. Le non-respect des droits fait qu'en Amérique centrale, on naît adulte.

La situation sociale et politique latino-américaine est caractérisée par l'inégalité et l'injustice, elle frappe durement les enfants, secteur de population particulièrement vulnérable qui a besoin de protection pour pouvoir simplement vivre. Dans tout l'isthme, les enfants travailleurs, les enfants des rues, les enfants maltraités, toxicomanes, réfugiés, rapatriés subissent de plein fouet les conséquences de cette inégalité et de cette injustice. Enfin, les enfants indigènes souffrent en plus de leur condition d'indiens qui est déjà le facteur de marginalisation par excellence en Amérique latine.

Les enfants de moins de 15 ans représentent plus de 40 % de la population totale de l'Amérique centrale. Cette proportion élevée (ce taux est de l'ordre de 20 % en Europe) est en régression, marquée au Mexique (de 47 % en 1970 à moins de 40 % en 1990), plus douce dans le reste de la zone (de 47 % à 44 %). Compte tenu d'une tendance à la baisse identique du taux de fertilité, les démographes anticipent un vieillissement modéré de la population pour les deux décennies à venir.

Il n'en demeure pas moins que les enfants constituent encore et pour longtemps la classe d'age la plus nombreuse et qu'ils devront se partager, pour leur vie quotidienne et leur éducation, des ressources économiques pour le moins incertaines. On observe tout de même certains facteurs positifs, comme l'augmentation des programmes d'aide et de coopération internationale dans le secteur de l'éducation et la mise en place de politiques nationales favorisant le secteur éducatif.

Guatemala, un pays d'enfants

Le Guatemala, par exemple, avec une population en croissance constante (2,8 % annuel entre 1988 et 1993) que l'on estime aujourd'hui à plus de 10 millions de personnes peut bien se définir comme un pays de jeunes et d'enfants, puisque 46 Guatémaltèques sur 100 ont moins de 15 ans. Plus des 4/5 de cette population vit au dessous du seuil de pauvreté. Ce pays, blessé par plus de 30 ans de guerre civile, d'attentats et de massacres impunis, concentre les déséquilibres. D'un coté, les 10 % les plus riches de la population contrôlent 40 % du revenu national, de l'autre la vaste majorité des 60 % d'indigènes du pays vit dans la pauvreté si ce n'est dans la misère, puisque 93 % des pauvres sont d'origine indienne.

On ne s'étonnera pas de ce que le Guatemala souffre aussi d'un taux d'analphabétisme parmi les plus élevés de tout le sous-continent (49 % en moyenne sur l'ensemble du pays, 72 % dans les zones rurales principalement peuplées d'indigènes). Ici encore, l'ensemble de la population souffre des faibles investissements publics dans l'éducation, un secteur déficitaire tant en quantité qu'en qualité de l'offre.

Tandis que la population indigène souffre de la discrimination, et a moins accès aux services de base, comme l'éducation, la santé et le logement, que la population ladina ou créole.

La condition des enfants des rues, qui vivent quasi livrés à eux mêmes dans les grandes métropoles de l'Amérique centrale, de la zone andine et du Brésil, paraît la plus extrême. Mais les aspects les plus spectaculaires et médiatisés de ce problème, comme l'apparition au Brésil d'escadrons de la mort qui se chargent de « nettoyer les rues », ne doivent pas faire oublier que la majorité des enfants sont dans la rue pour y travailler.

Les enfants au travail pour survivre

On distingue donc les niños en la calle (enfants dans la rue) et les niños de la calle. (enfants de la rue). Les premiers sont des mineurs qui pratiquent des activités de subsistance dans la rue et contribuent ainsi au revenu familial, ils maintiennent des liens étroits avec leur famille et vont irrégulièrement à l'école.

Les seconds n'ont que des liens épisodiques avec leur famille, quand ils en ont, ont déserté l'école, passent la nuit dans la rue en dormant n'importe où.

Ils tentent de gagner un peu d'argent pour survivre. Évidemment ce sont principalement les enfant de la rue qui adoptent des comportements antisociaux, délinquants ou toxicomanique et se prostituent parfois. On estime à 1 300 000 le nombre des mineurs au travail sur l'ensemble de l'Amérique centrale, soit 28 % de cette classe d'age. Près de la moitié de ces enfants travailleurs ont moins de 15 ans et un quart sont des filles. En 1990 ils représentaient 17,4 % de la population active, ce qui correspond au double du taux observé en 1980.

Ces enfants qui commencent leur vie active très jeunes sont bien évidemment très peu qualifiés, ils occupent des emplois sous-payés voire travaillent, à titre gratuit, dans le cadre familial. Ils travaillent dans l'agriculture (60 %), mais aussi dans les services et l'industrie (15 % chacun), les adolescents et les jeunes filles dans les maquilas, les jeunes garçons dans les ateliers de mécanique et les transports, et dans le commerce (10 %).

Globalement les garçons travaillent plutôt dans l'agriculture et l'industrie, les filles dans les services notamment domestiques. Le marché des employés de maison a pris une dimension régionale, avec le Costa Rica comme centre et le Nicaragua et le Salvador comme principaux pays fournisseurs de main-d'oeuvre.

La mise au travail des enfants est, pour les familles pauvres, une stratégie de survie. Les enfants contribuent pour 20 % au revenu total des familles indigentes et pour 15 % au revenu des familles pauvres.

Sans leur travail, la moitié des familles pauvres sombreraient dans l'indigence et la moitié des familles qui se situent au dessus du seuil de pauvreté le franchiraient. La dure tâche de réduire la pauvreté et de freiner l'appauvrissement des familles repose principalement sur les épaules des enfants travailleurs.

A Mexico, où le problème des niños de calle, connu de longue date, inquiète maintenant jusqu'aux autorités du district fédéral, une étude officielle reprise par l'Unicef réalisée en 1992 et portant sur environ 11 000 mineurs en situation de rue analyse cette population bien particulière.

Réintégration sociale difficile

Sur 100 enfants en situation de rue, 91 ne font qu'y travailler et 9 n'ont pas aucun autre foyer. La grande majorité (75,4 %) ont entre 12 et 17 ans, les plus jeunes (en dessous de 7 ans) sont d'origine indigène, enfin les liens familiaux ne se distendent pas avant l'âge de 13 ans. Cette étude est également associée à un programme national d'action en faveur de l'enfance, qui, reprenant les termes de la Convention des droits de l'enfant des Nations-Unies, veut se donner pour but « la réinsertion sociale et la réadaptation physique et psychologique » de tous les enfants des rues. Evidemment, une telle ambition laisse songeur, lorsque l'on sait que, jusqu'ici, les autorités de tous les pays du tiers-monde ont plutôt regardé ces enfants des rues comme des fauteurs de troubles et surtout pas comme une population qu'il faut s'efforcer de réintégrer à la communauté nationale.


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