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Paris-Berlin : le choix de la réalité

Par Christian Tutin

La rencontre internationale contre le néo-libéralisme convoquée par les zapatistes fin juillet, sera précédée d'une rencontre préparatoire dans chaque continent. La rencontre inter-américaine s'est terminée le 9 avril à La Realidad (Chiapas). La rencontre inter-européenne aura lieu à Berlin à la fin mai. Dans toute l'Europe, les comités de solidarité s'activent pour en assurer le succès.

L'appel des zapatistes à une Rencontre intercontinentale contre le néo-libéralisme et pour l'humanité avait quelque chose d'insensé. D'où sa qualification « d'intergalactique » par Durito, l'ironique scarabée fétiche de Marcos. Le danger qui menace un appel de ce type est de sombrer dans le ridicule. Bertrand de la Grange, l'ineffable envoyé spécial du Monde au Mexique, s'y est d'ailleurs récemment employé, dans un billet qui évoquait le Chiapas, ses montagnes, ses forêts... et son sous-commandant, ce qui a provoqué de violentes réactions dans la presse de gauche mexicaine, qui ont apparemment valu à de La Grange de se voir retirer le dossier Chiapas.

S'il est vrai qu'en France, l'écho donné par les médias à l'appel des zapatistes a été nul ­ si l'on excepte Charlie Hebdo, Volcans et quelques autres ­, il n'en a pas été de même ailleurs, aux Etats-Unis notamment. Kevin Costner et Oliver Stone ont fait le déplacement au Chiapas.

S'appartenir de nouveau

L'autre risque encouru par les zapatistes était de retomber dans des formes conventionnelles, tant au niveau du discours que de l'organisation. Le fait que la rencontre doive se dérouler au Chiapas même garantit qu'elle ne sera pas une conférence internationale comme les autres, simplement plus militante, ou plus à gauche que les autres.

Les zapatistes ne veulent ni d'une rencontre de la solidarité internationale, ni de la fondation d'une cinquième internationale. Il s'agit de faire se rencontrer les forces et les idées qui de par le monde, sous des formes et sur des terrains divers, sont engagées dans la lutte contre le néo-libéralisme, et ce faisant de rompre les sentiments d'isolement et d'éparpillement que peuvent ressentir les uns et les autres, confrontés à un rouage particulier d'un dispositif global inaccessible, et donc indestructible. Rendre l'espoir à tous en brisant le mythe de l'invincibilité des logiques économiques mondiales : tous leurs textes insistent sur la nécessité de dénoncer le double mensonge de la fin de l'histoire, et de la défaite de l'espoir.

Il s'agit bien d'un acte essentiellement idéologique : affirmer que tout reste possible, et que ce qui nous est présenté comme la marche inéluctable d'un monde réunifié sous le règne de la marchandise peut marquer un coup d'arrêt, à condition de s'affranchir de l'aliénation.

Leur appel est un appel à faire comme eux, et à le faire savoir, à faire comme font les autres qui font comme eux, à faire savoir qu'il y en a d'autres qui font comme eux, c'est-à-dire qui marquent les frontières de l'intolérable, comme première étape vers la réappropriation de leur propre histoire. « Nous sommes des êtres humains qui faisons à La Realidad, c'est-à-dire rêver (...) Le grand pouvoir mondial n'a pas encore trouvé d'arme contre les rêves. Tant qu'il n'en trouvera pas, nous continuerons de rêver, c'est-à-dire que nous continuerons à triompher » (1).

La rencontre inter-américaine s'est déroulée à La Realidad (Chiapas) du 4 au 9 avril. Elle a réuni plus de 300 participants venus d'une douzaine de pays, et représentant plus de 80 organisations.

Plusieurs personnalités ont adressé des textes, et annoncé qu'elles seraient présentes cet été, parmi lesquelles Noam Chomsky, James Petras, Mario Benedetti et Eduardo Galeano. Dans son allocution d'ouverture, Marcos a notamment déclaré : « Nous devons dépasser les lamentations et proposer de nouveaux chemins. Nous ne vous invitons pas à additionner les doléances (mais) à donner une dimension continentale à l'espoir. » Une commission des « peuples indigènes d'Amérique » ­ à laquelle ont notamment participé les chefs indiens Vernon Bellecourt, de l'American Indian Movement, et William Means, de l'International Indian Treaty Council ­ a été ajoutée aux quatre commissions qui traitaient du néo-libéralisme sous ses aspects politique, économique, social et culturel.

La rencontre s'est terminée par un appel à la construction d'un projet alternatif, et à la réalisation, à l'occasion du premier mai, d'une journée continentale pour la paix, l'emploi et la démocratie, autour des revendications de réduction du temps de travail, de démilitarisation du continent, de libération de tous les prisonniers politiques et de retour des disparus. L'ouverture d'une page Internet de soutien à l'EZLN et de diffusion des diverses expressions de résistance au néo-libéralisme a également été décidée (2).

Berlin : rendez-vous le 30 mai

Dans les autres continents, la rencontre la plus importante sera sans doute la rencontre européenne, qui doit avoir lieu à Berlin du 30 mai au 2 juin. Son organisation se heurte à deux difficultés : la première est matérielle, les Comités de solidarité européens étant désespérément pauvres ; la seconde est politique : éviter que la rencontre se transforme en conférence d'experts ou en coordination d'organisations, tout en s'assurant que la diversité des luttes contre le néo-libéralisme y soit représentée.

Pour respecter l'appel des zapatistes, qui s'adressait « à tous les individus, groupes, collectifs, mouvements, organisations sociales, citoyennes et politiques, aux syndicats, aux associations de quartiers, aux coopératives, à toutes les gauches possibles et imaginables » (3), il fallait à la fois ouvrir le plus largement la rencontre à tous les sans-voix, tout en s'assurant de la représentativité des participants.

Des accréditations (4) seront donc délivrées par les différents comités européens pour la constitution des groupes de travail (une cinquantaine) autour desquels sera structurée la rencontre de Berlin.

Un premier pas a été franchi le 15 avril, avec la tenue d'une réunion publique à la Bourse du travail de Paris, à laquelle ont participé 150 personnes (pour 750 invitations envoyées par divers canaux).

Un appel de personnalités ­ signé notamment par Alain Lipietz, Alain Touraine et Jean Ziegler ­ a d'ores et déjà été également lancé, qui demande à « tous ceux qui ont vu dans la rébellion zapatiste un motif d'espérer et une provocation à penser, de faire connaître cette rencontre, et à aider, chacun à sa façon, avec ses idées, son expérience, ses projets, ses formes propres d'expression, de lutte ou de rêve, à sa tenue et à sa réussite » (5).


(1) Marcos, in allocution d'ouverture de la Rencontre inter-américaine.
(2) Toutes les informations sur la rencontre inter-américaine sont tirées de Ya Basta, N°54 et 55, 8-04 et 14-04 1996, Bulletin hebdomadaire d'informations du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte.
(3) Appel de La Realidad « Contre le néo-libéralisme et pour l'humanité ». Voir « Nicaragua Aujourd'hui », Bulletin du COSOPAC, « Special Mexique », n°25, Mars 1996 (21-ter rue Voltaire 75011 PARIS) et Rencontre intercontinentale, mode d'emploi, Comité Chiapas Paris (33 rue des Vignolles 75020), pour le texte intégral de cet appel, ainsi que tout renseignement sur l'Assemblée continentale de Berlin et la Rencontre internationale de La Realidad.
(4) Sur Paris, une commission a été formée à cet effet, à laquelle participent le Comité Chiapas, le COSOPAC, le GRAM, et le Réseau Solidarité Mexique.


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