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Berndt, Joël, Yvan : dix ans déjà

Par le Cosopac

« Ne pleurez pas, mais battez-vous ! » C'est ce qu'écrivait le Suisse Yvan Leyvraz, il y a dix ans, dans l'une de ses dernières lettres, peu de temps avant de tomber, le 28 juillet 1986, victime d'une embuscade de la contra à Zompopera, sur la route de Wiwili, en compagnie du Français Joël Fieux, de l'Allemand Berndt Koberstein, et de deux Nicaraguayens, William Blandon et Mario Acevedo.

Quelques mois auparavant, en février 1986, c'est Maurice Demierre qui était mort sur la route de Somotillo, dans des conditions presque identiques. C'était l'époque où le Nicaragua sandiniste menait une lutte à mort contre la contra, dans les montagnes et les forêts du Nord-Est. Une lutte sauvage et désespérée. La contra répandait la terreur dans les campagnes. Les hélicoptères de l'armée et les commandos spécialisés du ministère de l'Intérieur traquaient les colonnes mercenaires dans les montagnes. Les Etats-Unis venaient tout juste d'être condamnés, un mois plus tôt, par la Cour internationale de justice de La Haye, pour le minage des ports nicaraguayens.

Maurice effectuait un travail de soutien technique à un groupe de huit coopératives agricoles, dans le cadre d'un projet appuyé par l'association chrétienne suisse Frères sans frontières. Berndt travaillait sur un projet d'eau potable, Yvan sur des projets de construction, et Joël sur un atelier de typographie. Les uns travaillaient à faire et refaire ce que la contra s'acharnait à détruire, l'autre à rompre l'isolement des campagnes reculées, qui les rendaient plus vulnérables. Joël, le plus jeune, avait 28 ans, et Yvan, le plus vieux, 32 ans. Ils connaissaient les risques qu'ils encouraient. Joël avait déja échappé de peu à la mort, un peu plus d'un an auparavant, un jour qu'il travaillait sur un pilône, à l'installation d'une antenne. Il fut sauvé ce jour-là par l'arrivée d'un hélicoptère de l'armée sandiniste, qui avait repéré la colonne contra et était venu le récupérer au treuil. Un mois avant sa mort, il déclarait dans un entretien à Nicaragua Aujourd'hui (1) : « Je crains de mourir stupidement au détour d'un chemin, en sautant sur une mine posée sur la route de Jinotega ». Ce ne fut pas la route de Jinotega, mais celle de Wiwili. Il laissait un fils de un an, Oswaldo, et sa compagne, Fatima. Sa mère, qu'il n'avait pas revue depuis son départ de France, en 1980, venait d'arriver au Nicaragua. Avant de rejoindre le Nicaragua, il avait participé à la fondation des Comités Nicaragua de Lyon et de Grenoble, après avoir milité, de 1974 à 1979, dans les mouvements antinucléaire, antimilitariste et antifasciste.

Une petite guerre, si meurtrière pourtant

A cette époque, l'état d'urgence était instauré depuis près d'un an déjà, la situation économique prenait une tournure dramatique, et la contra disputait âprement les campagnes aux sandinistes. Cette année-là, la défense allait absorber plus de la moitié du budget de l'Etat. C'est dans les années qui ont suivi que s'est joué le sort des élections de 1990. Trop de destructions, trop de morts, trop de sacrifices, les conquêtes sociales de la révolution progressivement remises en cause par la dégradation de la situation économique.

De la part de la contra, les assassinats de coopérants répondaient à un calcul cynique : pousser les gouvernements européens à retirer toute aide aux sandinistes, en montrant qu'ils étaient incapables d'assurer leur sécurité, voire en suggérant qu'ils les envoyaient délibérément dans des zones dangereuses. Et priver les zones les plus défavorisées du pays d'une aide toujours précieuse, et parfois vitale.

La contribution des coopérants volontaires était bien sûr dérisoire quant à son impact global, mais elle pouvait localement être l'étincelle décisive qui permettait à la population de s'organiser. Et des gens de la qualité de Bernt, de Joël, de Maurice et d'Yvan étaient les relais indispensables de la solidarité en Europe, qui lui permettaient d'être en contact avec le terrain, d'être en mesure de monter des projets adaptés à la réalité nicaraguayenne.

Le plus triste pour nous à l'époque, ce fut le silence de nos gouvernements, le gouvernement français en particulier. Il est vrai que Joël était insoumis, et Yvan déserteur. Révolutionnaires et anti-militaristes : de dangereux personnages en somme...


(1) n°26-27, août-septembre 1986


Encadré : À paraître

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