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Législatives à haut risque

Par François Orget

Fin d'un système ? Après les défaites enregistrées par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) aux élections locales d'octobre 1996, les différents partis se préparent fébrilement aux législatives de l'été 1997. Même la manipulation des listes électorales, dernier espoir du parti au pouvoir, pourrait ne pas suffire à empêcher la victoire de l'opposition.

Les élections municipales et aux parlements locaux qui ont eu lieu dans les Etats de Guerrero, Coahuila, Hidalgo et Mexico (qui entoure la capitale) se sont traduites par une victoire du PRI dans le premier et une véritable déroute dans les trois autres.

En raison de son poids démographique, l'Etat de Mexico représentait un enjeu particulièrement important. Le Parti de la révolution démocratique (PRD) y a conquis vingt-cinq mairies, dans des communes totalisant trois millions d'habitants (dont celle de Nezahualcoyotl, la grande banlieue déshéritée de Mexico) et revendique la victoire dans neuf autres, où il met en cause une fraude massive. Le Parti d'action nationale (PAN) réalise un score municipal assez proche, avec vingt-deux mairies.

Dans l'Etat de Coahuila, le PAN a enregistré un véritable triomphe, en passant de moins de 8 % des voix à plus de 37 % et en s'attribuant neuf municipalités, dont Saltillo et Torreon, où vit plus de 60 % de la population. Dans l'Etat d'Hidalgo le PAN connaît une défaite, en se faisant dépasser par le PRD. Ce dernier reste également la seule force d'opposition qui pèse vraiment dans le Guerrero, avec une vingtaine de mairies (contre cinquante et une au PRI et une seule au PAN). Officiellement, l'abstention aurait frôlé 50 %, et aurait atteint 60 % selon l'opposition (la différence représentant la fraude).

Aux parlements locaux, le PAN distance le PRD dans l'Etat de Mexico, avec vingt-deux députés contre dix-huit et trente au PRI, qui concerne la majorité au Guerrero avec trente députés, contre douze au PRD et deux au PAN. Globalement, le PAN confirme sa position de deuxième force nationale. Le PRD parvient cependant à enrayer son déclin électoral, devenu manifeste à la présidentielle de 1994, et confirmé jusque-là dans tous les scrutins partiels, et paraît en mesure, si cette inversion de tendance se confirme cet été, de redevenir la première force d'opposition, à condition toutefois de ne pas être victime d'une fraude massive. En effet, si les résultats électoraux ne peuvent plus aujourd'hui être considérés comme écrits d'avance, comme ce fut le cas pendant soixante ans, le PRI conserve une capacité non négligeable de manipulation des scrutins, en fonction du contexte local et de l'évolution des rapports de force nationaux et internationaux.

Le jeu trouble des partis

Habituellement, le PRI joue sur trois tableaux. Il favorise la victoire du PAN lorsqu'il ne peut éviter d'être défait, ce qui lui permet de donner l'illusion d'un jeu démocratique ouvert ; ce fut la tactique adoptée pour les élections aux postes de gouverneurs, lors desquelles quatre Etats ont été concédés au PAN ­ Jalisco, Chihuahua, Guanajuato et Basse-Californie. Le PAN fut même associé à plusieurs reprises au pouvoir, au Parlement et même au gouvernement : le procureur général était « paniste » en 1995. La deuxième tactique consiste à associer les partis de l'opposition parlementaire à des réformes limitées du système électoral, présentées à chaque fois comme la « dernière » réforme, marquant l'accession « définitive » du Mexique à la démocratie. De peur d'y laisser des plumes électorales, les deux grands partis, PAN et PRD, ont toujours accepté de jouer ce jeu, laissant les autres acteurs - notamment la société civile, travaillée par les zapatistes - en dehors de la réforme politique. Enfin, lorsqu'il est sûr de l'impunité ou que ses intérêts vitaux sont en jeu, le PRI n'hésite pas à recourir à la fraude.

La vie des « grands manipulateurs » du parti est devenue cependant de plus en plus difficile depuis 1988. Cette année-là, il avait fallu près de dix jours de « cuisine » informatique pour obtenir péniblement un petit 51% en faveur de Carlos Salinas. Pour la première fois, il était clair que le PRI avait perdu une élection présidentielle ; le parti officiel n'était plus invincible. Dans les années suivantes, l'appareil s'est acharné sur le PRD, condamné, faute de pouvoir ou de vouloir mener jusqu'à leur terme les affrontements post-électoraux, à se voir systématiquement dépouillé de ses succès, jusque dans ses bastions traditionnels, comme l'Etat de Michoacan. Le PRD s'est largement épuisé (cent cinquante morts déjà sous Zedillo, deux fois le nombre enregistré sous Salinas) dans cette bataille pour le respect du vote populaire et sa crédibilité s'en est trouvée largement entamée.

L'irruption des zapatistes sur la scène politique a radicalement changé la donne. Face à une exigence de refondation complète du système politique, il s'est agi de replâtrer au plus vite les institutions, mais en donnant des gages suffisants pour que le ravalement donne l'illusion d'un vrai changement. D'où l'impossibilité de laisser les alchimistes du PRI transformer tranquillement les défaites en victoires. D'où la réforme constitutionnelle adoptée en juillet 1996 et celle du code électoral en novembre.

Dangereuse imprévisibilité

Les résultats des élections locales de l'automne 1996 or semé la panique parmi les responsables du PRI. Cela crée une situation dangereuse, où le pouvoir peut être tenté de jouer, avant les élections, la carte de l'affrontement, afin de redonner quelque consistance à son dernier argument électoral (en dehors de la manipulation des listes) : la peur d'un déchaînement incontrôlé de la violence, menant à la guerre civile. Cet argument n'est pas dépourvu d'efficacité, comme l'ont montré les récentes élections au Guerrero : c'est (avec le Chiapas) dans cet Etat que le système est le plus violemment contesté, notamment depuis le massacre d'Aguas Blancas, en juin 1995, et l'apparition de l'EPR, et que le PRI a le mieux résisté électoralement à la poussée de l'opposition.

C'est pourquoi le blocage du dialogue, après le refus du président d'accepter en l'état le projet de loi adopté par la Cocopa (Commission de concorde et pacification), pour la mise en oeuvre des accords de San Andres sur les droits indigènes, ne doit pas être pris à la légère (1). De même, l'intransigeance manifestée au Tabasco à l'égard des travailleurs de la voirie en lutte manifeste un durcissement inquiétant.

L'union des « extrêmes »

Une victoire de l'opposition cet été créerait dans un premier temps une très grande confusion politique et il est difficile de prévoir les recompositions du paysage politique qu'elle provoquerait. Tout dépendra, dans ce cas, de l'ampleur de la défaite du PRI et du rapport de forces entre PAN et PRD à la future Assemblée (2). Une alliance entre PAN et PRI se traduirait par une droitisation du régime susceptible de durcir encore les affrontements. Très vraisemblable il y a quelque temps, cette configuration l'est beaucoup moins avec la déconfiture annoncée du PRI (3). Quant à une alliance entre PAN et PRD, on voit mal sur quelles bases elle pourrait se nouer et comment elle pourrait être autre chose qu'un accord électoral. Au-delà des clivages idéologiques, la concurrence entre PAN et PRD exprime la fracture entre Mexique du Nord, américanisé et qui s'enrichit, bénéficiaire de l'Alena, et Mexique du Sud, rural, indien, appauvri par les coups de la révolution néolibérale. Le PAN a su capter les espoirs et les mécontentements d'une partie des classes moyennes, enrichie sous le salinisme et appauvrie par la crise du peso, inquiète de son avenir et qui n'a que faire des aspirations à la justice sociale des couches populaires, notamment rurales, qui se retrouvent dans le PRD.

Des membres des deux partis, ainsi qu'un certain nombre d'intellectuels, d'artistes et de personnalités indépendantes ont cependant lancé, le 6 janvier dernier une Alliance pour la République, dans un appel publié par le quotidien La Reforma. Ils en appellent à « la lucidité et au sens des responsabilités historiques » des dirigeants des deux partis, pour les convaincre de présenter des « candidats de convergence », afin de « construire ... un nouveau consensus politique, d'entreprendre toutes les actions, judiciaires aussi bien que politiques, et la mobilisation des citoyens » nécessaires à une « alternance au pouvoir dans l'ordre, d'engager (...) un combat systématique et organisé contre la corruption, et d'élaborer une stratégie d'action législative commune ». Cet appel a été rejeté par les directions des deux partis, et le PRI, par la voix de son président Humberto Roque, s'est gaussé d'une tentative « d'enterrer [le parti] grâce à une union entre les deux extrêmes idéologiques ».

La présence d'acteurs extérieurs aux partis rend cependant la situation très fluide. Ainsi, El Barzon, qui regroupe près d'un million de petits producteurs, paysans, commerçants et petits industriels endettés, et qui a depuis longtemps pris langue avec l'EZLN, aura-t-il des candidats aussi bien sur les listes du PAN que sur celles du PRD.

A terme, la crise du régime ne peut sans doute connaître une issue pacifique qu'avec la convocation, réclamée par les zapatistes depuis trois ans, d'une assemblée constituante chargée de refonder le pacte républicain.


(1) Au moment où nous bouclons, nous parviennent (« La Jornada » du 24 janvier) des nouvelles inquiétantes des communautés indiennes du Chiapas, faisant état d'un renforcement des vols d'avions et d'hélicoptères de l'armée, d'un afflux d'armes et de soldats dans les campements qui encerclent la zone zapatiste et d'une mise en état d'alerte des communautés. Le travail des champs a été interrompu et les habitants se terrent dans leurs maisons, prêts à toute éventualité.

(2) Les résultats des élections qui se tiendront en même temps dans le District fédéral


Volcans, numéro 25

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