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Electeurs cherchent bulletins désespérement

Par François Doligez

L'annonce des résultats définitifs des élections du 20 octobre 1996 au Nicaragua n'a été faite qu'un mois plus tard, le 22 novembre. Après un fastidieux processus de décompte des voix, les résultats proclamés par le Conseil suprême électoral ne peuvent plus être contestés par quiconque. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ne soient pas contestables à bien des égards !

Une lecture attentive des résultats (1) permet de mettre en évidence de nombreux indices de la fraude qui a eu lieu lors du scrutin et du décompte des voix. Les trois départements les plus touchés et où les résultats sont mis en question sont Managua, Matagalpa et Jinotega. A Managua, la base de données fait, par exemple, apparaître 233 bureaux de vote « déserts », avec 67 158 bulletins qui ont disparu de la circulation ! Erreur informatique, manipulation des urnes ou des procès verbaux, il est bien difficile de conclure. A Matagalpa et à Jinotega, les problèmes sont de nature différente.

Pour les observateurs du FSLN (Front sandiniste de libération nationale), les résultats de 72 % des 917 bureaux de vote de Matagalpa sont contestables : 144 n'ont pas produit de compte-rendu ; 280 n'ont pas été constitués légalement ; les procès verbaux de 593 autres ont été altérés et, enfin, 127 ont subi la pression de bandes armées menaçant les électeurs pour infléchir leur vote en faveur de l'Alliance libérale. A Jinotega, les résultats de 423 bureaux sur 488 sont contestés !

De fortes présomptions pèsent, en outre, sur les présidents des bureaux de vote, dont 70 % étaient membres de l'Alliance libérale, et sur lesquels abondent les histoires de PV rédigés sans copie pour les observateurs du FSLN, modifiés avant leur transmission officielle, d'urnes disparues ou trafiquées, etc. Bien difficile, avec un tel tableau, de ne pas s'interroger sur la validité des résultats... De nombreux électeurs se demandent encore où leur bulletin a fini par échouer et quel sens donner à ce désordre institutionnalisé où la « fête patriotique » a plutôt ressemblé à un long calvaire, avec jusqu'à huit heures d'attente devant les bureaux de vote. Etait-ce uniquement de la désorganisation ou une manipulation organisée de longue date ?

Une campagne violente

Ces irrégularités sont à interpréter au regard de la campagne électorale. La polarisation extrême entre l'Alliance libérale et le FSLN, confirmée par l'ensemble des sondages, n'a pu qu'accroître les tensions. A l'approche des élections, elle a favorisé un certain regroupement autour de l'opposition au FSLN. L'Association des expropriés a réalisé un spot publicitaire diabolisant le FSLN pour le diffuser sur l'ensemble des chaînes de télévision et a hurlé à la censure quand il a été interdit par le Conseil suprême électoral. La bourgeoisie non-somoziste, qui s'est retrouvée sans candidat de continuité du gouvernement Chamorro/Lacayo, a fini par se rallier à Arnoldo Aleman avec une première déclaration de Carlos Pellas, symbole du capital nicaraguayen. Le 14 octobre, ses propos furent suivis d'une annonce du Cosep (Conseil de l'entreprise privée) indiquant que le FSLN ne serait pas capable de restaurer la confiance nécessaire à l'investissement privé.

Il y a eu des pressions dans les entreprises, qui ont annoncé des fermetures et des licenciements en cas de victoire du FSLN. Puis, après le succès de la manifestation du Front, le dernier jour de la campagne, ce fut la parabole de Monseigneur Obando y Bravo comparant le Front sandiniste à une vipère, qui rompait avec son image de médiateur et avec la neutralité qui lui avait été reconnue jusque-là. Enfin, le jour des élections, on découvrit même l'envoi, sur toutes les messageries électroniques, de la déclaration suivant « Haga patria, mate a la vibora ! » (« Pour la patrie, tuez la vipère ! »).

Alors, face à un résultat incertain, est-ce également cette tension qui a produit les débordements occasionnant les fraudes ? Furent-ils « spontanés » et à l'initiative de militants de base ou, au contraire, orchestrés et savamment coordonnés ? Impossible de répondre, de même qu'il est impossible de savoir s'ils ont réellement modifié le résultat final ou s'ils ont juste augmenté des tendances de toute façon inscrites dans les urnes.

Un premier aperçu des résultats

Quels furent dès lors les premiers résultats publiés ? Concernant l'abstention, les chiffres du Conseil suprême électoral indiquent un taux de 22,9 %. Mais en tenant compte des erreurs évoquées précédemment, le taux baisse à 13,9 %, ce qui est comparable aux 13,7 % enregistrés en 1990. L'abstention est plus importante sur la Côte atlantique, à Rio San Juan, Jinotega et Matagalpa. Elle mélange sans doute deux réalités : ceux qui n'ont pas souhaité s'exprimer et ceux qui, en raison de l'insécurité ou de l'éloignement, n'ont pas pu le faire. Les votes nuls, bien que rares, ne sont pas non plus négligeables. Ils varient entre 4,95 % des suffrages exprimés au scrutin présidentiel et plus de 6 % pour les scrutins législatifs. L'écart s'explique par la complexité des différents bulletins de vote, comprenant pour certains jusqu'à vingt-trois cases, pas de photos et des caractères de très petite taille.

Les résultats définitifs des élections présidentielles, qui confirment les chiffres provisoires déjà analysés dans notre précédent numéro, illustrent la polarisation du scrutin. Les partis du centre sont littéralement laminés, mais la différence entre l'Alliance libérale et le FSLN dépasse quand même treize points (soit plus de 230 000 voix d'écart). Le résultat des législatives complique notablement la situation du nouveau président. En effet, avec l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle à partir de 1997, l'Assemblée acquiert un réel pouvoir face à l'exécutif. Or, en raison des votes croisés nuançant la bipolarisation des résultats aux législatives et du fait des mécanismes compliqués de calcul sur les quotients électoraux, onze partis sont représentés au Parlement et aucun d'entre eux ne dispose d'une majorité suffisante pour légiférer seul (la majorité simple est de 48 députés et de 56 pour les réformes constitutionnelles). Ces mécanismes de calcul, conçus en 1990 pour renforcer le pluralisme, ont favorisé l'opportunisme de petits partis et d'hommes politiques bénéficiant d'une faible représentativité et de peu d'appui populaire en 1996. C'est ainsi qu'un député de la Côte atlantique est élu avec 311 voix ou qu'un autre de la Résistance nicaraguayenne, à Esteli, n'a eu besoin que de 408 voix ! En revanche, treize partis (APC, El Mar, MAP-ML, Morena, PAN y Fuerza, PJN, Padenic, PUL, Punocp, PC de N, Piac, PAD et PSN) perdent leur personnalité juridique et disparaissent de la scène politique.

Pour les scrutins départementaux des législatives, l'Alliance libérale confirme sa suprématie dans les départements de l'intérieur en obtenant la majorité absolue dans le Chontales, à Boaco et dans les deux régions de la Côte atlantique. Le FSLN n'obtient la majorité relative et ne dépasse l'Alliance libérale que dans trois départements : León, Chinandega et Managua. On retrouve là encore la coupure historique entre l'implantation urbaine du FSLN et le centre-intérieur du pays, théâtre de la guerre et d'une opposition paysanne dans les années quatre-vingt, et qui reste antisandiniste. Cette coupure s'accroît aux élections municipales où la défaite du FSLN est encore plus importante, alors que c'est sans doute à ce niveau qu'existe un espace pour renforcer des initiatives locales et que se situent les enjeux pour reconstruire l'ancrage du parti à la base. Sur 145 mairies, l'Alliance libérale en a remporté 92, contre 51 pour le FSLN, soit à peine 35 %. Seules deux mairies ont échappé aux deux principales forces : celle de Rosario, dans le département de Carazo, passée aux mains du MRS (rénovateurs sandinistes), et celle de Potosí, dans le département de Rivas, gagnée par l'association civique locale. Ces associations civiques, formées en dehors des partis politiques et à partir de listes soutenues par une souscription représentant 5 % au moins des électeurs, étaient pourtant au nombre de 53 sur l'ensemble du pays. Même si une seule association civique a gagné le scrutin municipal, bon nombre d'entre elles sont arrivées en deuxième ou troisième position.

A Managua, deux listes en dehors des partis sont ainsi arrivées en deuxième et quatrième place des municipales (Viva Managua, de Pedro Solorzano, et SOL, de Herty Lewites). Au niveau des chefs-lieux de département, l'Alliance libérale a remporté les villes de Chinandega, Managua, Masaya, Granada, Rivas, Juigalpa, Boaco, Matagalpa, Jinotega, Bluefields et San Carlos. De son côté, le FSLN a gagné les mairies de Ocotal, Somoto, Esteli, León, Jinotepe et Puerto Cabezas.

Dernier résultat, la participation des femmes. Bien qu'en très faible minorité, 11 députés sur 93 à l'Assemblée, 5 sur 20 au Parlement centraméricain, 10 maires sur 145 et 23 maires-adjoint sur 145, elles représentent globalement 12 % des élus du 20 octobre, soit une proportion tout à fait honorable comparée à nos performances hexagonales...

Dialogue ou affrontement ?

Difficile de conclure sur cet ensemble de résultats et sur ce qu'il réserve. Leurs conséquences pour le FSLN ont déjà été évoquées par Volcans. Si, avec la proclamation des résultats définitifs, cette organisation ne peut guère s'opposer à la légalité du nouveau gouvernement, reste à savoir si elle en reconnaîtra la légitimité. Les questions suscitées par la tentative avortée d'attentat contre le nouveau président, le jour de son investiture, résument bien la situation. Est-elle due à des débordements isolés d'anciens militaires ou vise-t-elle à marquer un nouveau rapport de force, ce qui présagerait un dialogue difficile entre le nouveau gouvernement et la principale force d'opposition.

Pour l'instant, le président élu a soufflé le chaud et le froid. Reconnaissant parfois le FSLN comme une « réalité nationale » avec laquelle un dialogue est nécessaire, il a également remis en cause certains équilibres précaires comme la loi sur la stabilité de la propriété, le code militaire ou l'organisation de la police avec l'aspiration à se défaire des derniers vestiges du sandinisme. Reste à voir quelle pratique l'emportera...


(1) Analyse réalisée par l'équipe de la revue Envio, de l'Université centraméricaine de Managua et plubliée dans le numéro 176-177 de décembre 1996.


Encadré

Les résultats des élections.


Volcans, numéro 25

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