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Chaos et corruption

Par Pascal Conabo

A l'occasion de la prise de fonctions du nouveau président, Leonel Fernandez, en août 1996, ont éclaté au grand jour divers aspects de l'incapacité, de l'imprévoyance, de la corruption de l'administration précédente, dirigée par Joaquin Balaguer, 89 ans. A la tête du Parti réformiste social-chrétien (PRSC), Balaguer a préside la République dominicaine pendant vingt-deux des trente-cinq années qui ont suivi la chute de la dictature de Rafael Leonidas Trujillo.

Fournisseurs, ingénieurs, architectes, agriculteurs, etc., en 1996, des dizaines de milliers de producteurs ont vu leurs activités paralysées ou ont fait faillite, n'ayant pas été payés par le gouvernement. Pour n'avoir pas réglé leur facture, la moitié des institutions gouvernementales sont sans téléphone. Il y a quelques mois, la population a dû supporter des coupures d'électricité de plus de douze heures quotidiennes car la compagnie publique avait négligé de payer ses fournisseurs privés.

Tout le secteur oriental de la capitale est sans eau depuis plusieurs jours, sans que l'entreprise publique n'ait donné d'explications satisfaisantes. Les ordures s'accumulent dans les rues, principalement dans les quartiers pauvres : l'entreprise chargée du ramassage est accusée par la municipalité de Saint-Domingue d'utiliser moins du tiers des camions stipulés dans le contrat. Par ailleurs, Duchesse, la décharge municipale est saturée. Elle a, en outre, brûlé à plusieurs reprises cette année, empestant l'air de la capitale et provoquant malaises et infections respiratoires. La saleté accumulée fait le bonheur des quelque cent cinquante mille chiens errants qui hantent le pays.

Colère et désespoir

L'insécurité, fruit amer de la misère, s'accroît. Elle justifie les atteintes aux droits de l'homme contre les plus pauvres, d'une part, et la multiplication des gardes privées armées, d'autre part. Dans les quartiers populaires, une altercation, un meurtre, entraînent l'arrestation immédiate de tous les témoins, adolescents en particulier qui peuvent croupir plusieurs jours en cellule. L'immense majorité des onze mille détenus qui s'entassent dans les prisons dominicaines appartiennent aux couches sociales les plus démunies. Détenus préventifs pour 86 % d'entre eux, ils attendent depuis parfois des années un jugement. Une des principales prisons la Victoria, construite en 1952 pour mille détenus en héberge plus de trois mille cinq cents, dont 96 % en attente de jugement. Le système judiciaire est selon le vicaire de l'archevêché de Santiago, deuxième ville du pays, « une foire où tout s'achète et se vend : depuis les sentences pénales et civiles ou l'usage de la force publique (...) jusqu'aux ordres de mises en liberté de trafiquants de drogue ou de dangereux délinquants ».

Colère, désespoir, frustration agitent régulièrement la société dominicaine. C'est par dizaines que se chiffrent les flambées de révolte qui éclatent sporadiquement dans les localités de province ou dans les quartiers pauvres de la capitale. Entretien des rues, accès aux services d'eau, d'électricité, de ramassage des ordures, protestations contre les excès de la répression sont quelques uns des détonateurs de la colère populaire. De multiples structures locales, organisations populaires, culturelles, paroissiales, sportives, etc., encadrent ces soulèvements locaux plus ou moins sporadiques. Pneus enflammés et jets de pierres répondent aux tirs de grenades lacrymogènes et aux arrestations massives. Une fois réaffirmée violemment l'autorité de l'appareil d'Etat, organisations locales et responsables négocient. Les promesses non tenues sont souvent à l'origine de nouveaux conflits.

Or l'absence d'organisations populaires d'ampleur nationale empêche les revendications d'aboutir et le nouveau président ne semble guère déterminé à changer les choses. Leonel Fernandez, membre du Parti de la libération dominicaine (PLD), fondé par l'ancien président Juan Bosch (chassé par un putsch en 1963), a été élu au second tour grâce à une alliance avec le Parti réformiste social-chrétien (PRSC), parti traditionnel du pouvoir rongé par la corruption. Il est dans une situation délicate : à tous les échelons, le PLD est ultraminoritaire, ne disposant que d'un sénateur sur trente, de treize députés sur cent vingt et d'une seule mairie sur cent sept.

Le nouveau président devra donc « cohabiter » avec l'opposition, ce qui risque d'entraîner un abandon des promesses de la campagne en termes de lutte contre la corruption, de démocratisation des institutions et de promesses de réformes en faveur des couches les plus défavorisées.


Volcans, numéro 25

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