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Carmin profond

Par Ken Helt et Maria Ianculescu

Mexique 1949. Une infirmière solitaire, laide et obèse, qui charcute ses patients, rêve de l'acteur français Charles Boyer. Un jour, elle rencontre, par petite annonce, un gigolo qui affiche une vague ressemblance avec son idole. Elle abandonne ses enfants par amour pour lui et décide de l'aider à séduire les riches veuves qui font son revenu.

Daniel Gimenez Cacho et Regína Orozco dans « Carmin profond », d'Arturo Ripstein. (DR)

Arturo Ripstein nous propose le récit de ces nouveaux Bonnie and Clyde (puisque là encore le scénario est tiré d'un fait divers ) au parcours plus sanglant que lucratif.

Le propos de Ripstein est simple : illustrer le thème de l'amour fou. Mais Carmin profond n'est pas un film romantique. Les héros ne sont pas riches, fins et délicats. Le réalisateur déclare : « J'aime les survivants. » De faits, ses personnages sont des épaves. L'héroïne, Coral Fabre (Regina Orozco) est la négligence même, aussi bien dans l'apparence que dans l'art du crime ­ elle ne pense même pas à faire disparaître l'instrument de son premier meurtre. Son acolyte, Nicolas Estrella (Daniel Gimenez Cacho) est d'un ridicule achevé. Faible et chauve, rien ne le terrorise plus que l'idée qu'on devine qu'il porte une perruque. Ancienne embaumeuse à la morgue, Coral semble se maintenir elle-même artificiellement en vie. Sur l'affiche du film, leur ombre, en forme de poignard, ne dit pas seulement que leur destin s'accomplit avant le meurtre, mais aussi qu'ils sont eux-mêmes déjà morts ou en sursis.

En attendant de s'en rendre compte, ils sèment d'autres victimes derrière eux. En principe, ils le font pour l'argent, or ils en gagnent peu. C'est la jalousie de Coral qui motive plus profondément ces meurtres et aussi la conviction ­ plus ou moins consciente ­ que c'est dans le sang que leur amour va s'épanouir, tel une fleur monstrueuse qui se développe de manière insupportable et que Nicolas finira par trancher.

Peut-être est-ce là la grande faiblesse du scénario. Ripstein donne pour acquis que l'amour fou entraîne nécessairement une conduite exubérance, hors de toute mesure. Donc hors de la morale aussi. L'amour mettrait de la poésie dans le meurtre jusqu'à peut-être le rendre esthétique. Inversement, le meurtre rendrait la passion plus dense et plus achevée. Mais sa manière d'associer pays chaud, passion, rouge, sang et intensité fait un peu cliché Carmen et est contestable.

Il est possible de comprendre, à l'inverse, l'achèvement de la passion amoureuse dans un respect et un soutien mutuels qui n'ont rien à envier à une complicité qui n'est que celle de l'organisation de crimes sordides. L'amour fou, ce n'est pas pareil que deux fous qui s'épaulent dans leur détresse. L'amour n'excuse pas tout et n'enjolive pas un acte condamnable.

Quant à l'autopsie de l'amour fou que prétend faire Ripstein, il passe à côté. Il ne dissèque jamais vraiment les origines de cette passion : Coral est une groupie à tendance nymphomane qui aurait pu choisir n'importe quel autre ersatz de vedette de cinéma. On ne comprend pas par quel miracle Nicolas lui tombe dans les bras malgré tous ses défauts et la répulsion que lui inspire l'abandon de ses enfants. Ripstein ne les représente que comme des instruments au service de leur propre passion, des jouets de l'amour fou. Mais il nie ainsi toute forme d'action et de spontanéité chez ses personnages, renonçant dès lors à toute explication. De plus, le film laisse l'impression d'une série de sketches, le scénario (pourtant Lion d'Or au Festival de Venise) étant parfois mal ficelé.

Reste que les personnages sont solides, surtout celui incarné par Marisa Paredes. Ce long métrage est distrayant et la musique, si elle est banale, a également le mérite d'être simple. Il aurait suffi qu'Arturo Ripstein montre une plus grande ambition pour faire un très bon film. Même si Carmin profond se laisse voir.


Volcans, numéro 25

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