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Temps difficiles pour le petit poucet

Par Sylvain Hervy

Le quatrième anniversaire de la signature des accords de paix a eu lieu le 16 janvier dans l'indifférence générale. La cérémonie qui s'est déroulée en présence du gouvernement et des représentants des partis politiques n'a fait que démontrer la coupure qui existe entre le débat politique et les préoccupations de la population qui mène une lutte quotidienne contre la faim et le chômage.

La situation au Salvador est actuellement entièrement caractérisée par la violence, alors que la guerre civile est terminée depuis quatre ans. Cette violence s'exerce physiquement ou marque les rapports politiques, sociaux et économiques. La délinquance est devenue le problème principal pour la plupart des Salvadoriens, très loin devant le chômage et la pauvreté, comme l'indiquent plusieurs sondages récents. En effet, les agressions, cambriolages, vols de voitures, enlèvements, etc., sont quotidiennement subis par la population. L'armement en circulation dans le pays restant très important, les actes de délinquance font de nombreuses victimes. Le manque de moyens de la police nationale civile (PNC) et surtout l'inefficacité et la corruption du système judiciaire, auquel les réformes prévues par les accords de paix n'ont toujours pas été appliquées, ne font que renforcer le sentiment d'impuissance et de désespoir des Salvadoriens. En même temps, la violence politique continue, à un rythme plus faible que par le passé, mais elle est toujours protégée par l'impunité la plus totale, aucune des enquêtes sur les assassinats de membres du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) n'ayant abouti.

La politique économique suivie par le gouvernement est appliquée aveuglément et peut se résumer à la litanie classique du néolibéralisme : réduction des services publics, privatisations et octroi d'un pouvoir sans limites au patronat. Cela se traduit par l'envoi des unités anti-émeutes de la PNC pour réprimer les occupations d'usines. Elles y mettent une telle ardeur que certains des responsables de la PNC s'inquiètent pour leurs stocks de grenades lacrymogènes.

Ce recours à la police a culminé le 23 novembre 1995, lorsque 200 membres de l'association des combattants démobilisés et des victimes de guerre ont occupé l'immeuble qui abrite le Fonds de protection des blessés de guerre. Alors que des négociations étaient en cours avec des membres de la mission de l'ONU et le procureur des droits de l'homme, la police a évacué le bâtiment, ce qui s'est soldé par un mort et de très nombreux blessés chez les manifestants. Bien que plusieurs dirigeants de l'Alliance républicaine nationale (ARENA) aient présenté cette action comme un cas isolé, les ordres donnés à la PNC lors des conflits sociaux semblent faire partie d'une stratégie d'ensemble visant à faire face à l'agitation sociale engendrée par les plans du gouvernement.

L'assemblée nationale, où ARENA dispose de la majorité absolue, a voté en décembre le décret 471, qui prévoit le licenciement de 15 000 fonctionnaires dès le début 1996. La liste des personnes licenciées figurant dans le décret réunit la quasi totalité des personnes syndiquées dans la fonction publique. Pour s'opposer à ce décret, les syndicats ont occupé la cathédrale de San Salvador le 4 janvier et douze personnes ont entamé une grève de la faim.

Le gouvernement a déclaré que ce type d'actions n'avait plus lieu d'être car « la démocratie existe maintenant au Salvador ». En même temps, il a lancé des menaces d'excommunication à l'encontre des travailleurs occupant la cathédrale ; menaces reprises par le nouvel archevêque de San Salvador, membre de l'Opus Dei et ancien évêque aux armées. Le 10 janvier, les occupants ont quitté la cathédrale, le président Calderon Sol ayant promis de réemployer 1 500 travailleurs licenciés et d'examiner des mesures d'aide pour les autres. Par ailleurs, la police avait resserré son dispositif autour de la cathédrale et des rumeurs d'intervention circulaient. Le lendemain, Calderon Sol a annoncé que le décret était voté et donc irrévocable, et qu'il n'était pas question de revenir sur les 15 000 licenciements.

Tous ces événements montrent que la démocratisation au Salvador n'a pas touché le secteur économique et social. Dans nombre de conflits sociaux, des responsables gouvernementaux ou des dirigeants d'ARENA profèrent des menaces à l'encontre des dirigeants syndicaux. Ces menaces, qui valaient sentence de mort lors de la guerre civile, signifient licenciement aujourd'hui. Le bilan des accords de paix est quasiment nul en ce domaine. Sous la pression du patronat salvadorien, ces questions apparaissaient déjà peu dans les accords, les seules concessions étant la mise en place d'un nouveau code du travail et d'un forum économique et social devant servir d'organisme de médiation sociale. Le patronat ayant pratiqué la politique de la chaise vide, ce forum n'a jamais fonctionné. Le pouvoir du patronat salvadorien est intact au travers de son poids dans ARENA.

Refus de toute opposition

Si la démocratisation n'a pas touché la sphère économique, elle suit un cours chaotique au niveau politique. L'existence des partis d'opposition est reconnue et ils disposent de quelques sièges au Parlement. Cependant ARENA contrôle toujours la totalité du pouvoir et n'arrive pas à se défaire de ses anciennes méthodes. Son discours est toujours marqué par l'autoritarisme et le recours aux menaces et à l'intimidation. Malgré l'affirmation par ARENA de son respect des règles en vigueur dans une société démocratique, dans la pratique, elle refuse de considérer le FMLN comme un parti politique légal. Les dirigeants d'ARENA n'ont de cesse de dénoncer les « terroristes » du FMLN, et de déclarer que toute action revendicative est « illégale » puisqu'il il y a le parlement et des institutions démocratiques. Le président a même traité les députés du FMLN de « traîtres à la patrie », lorsqu'ils ont cosigné avec les travailleurs de la maquila El Mandarin, une lettre à la maison mère aux Etats-Unis pour montrer, preuves à l'appui, des violations du code du travail particulièrement contre les femmes. A la suite de cette lettre, l'entreprise nord-américaine a suspendu ses commandes au Salvador.

Cette stratégie d'ARENA vise à la fois à discréditer le FMLN et à faire peur à ses sympathisants. Au-delà, ARENA commence la campagne pour les élections municipales et législatives de 1997, dans lesquelles elle devra faire face au FMLN avec un bilan désastreux sur le plan social. En dépit de ses promesses électorales de 1994, l'immense majorité de la population s'est appauvrie du fait des augmentations des tarifs des services publics, du chômage galopant et des conséquences de la politique économique suivie depuis dix ans.

C'est dans ce contexte que s'explique la saisie policière du matériel de onze stations de radio communautaires. Cette saisie a été ordonnée par Juan José Domenech, à la fois président d'ARENA et de la compagnie nationale de télécommunications, au motif qu'elle n'avaient pas l'autorisation d'émettre. Or depuis leur création, ces stations demandaient une légalisation qui leur a toujours été refusée. Ces stations ont été créées peu après la fin de la guerre dans des villes où le FMLN essaie de développer un pouvoir populaire local en encourageant la population à participer à la vie sociale et politique de leur communauté. Les vraies motivations de cette mesure sont apparues lorsque Domenech a justifié la fermeture des radios en expliquant qu'elles « faisaient partie d'un plan du FMLN pour créer cinquante stations de radio clandestines pour la campagne électorale ». Il est clair qu'ARENA cherche à maintenir son contrôle quasi exclusif sur les médias ; elle en a déjà largement abusé lors de la campagne électorale de 1994.

Si ARENA débute sa campagne électorale avec de basses manoeuvres, le FMLN a lancé officiellement la sienne durant une convention qui s'est tenue en décembre. Cette convention marque le début du FMLN en tant que parti politique unifié. En effet, les Forces populaires de libération se sont dissoutes lors de leur dernier congrès pour intégrer le FMLN, comme l'avaient fait le Parti communiste salvadorien et le Parti révolutionnaire des travailleurs centraméricains durant l'été. Il faut maintenant faire entrer cette unification formelle dans la pratique afin d'obtenir une meilleure efficacité de l'organisation et ne pas se contenter de maintenir l'équilibre entre les différentes composantes. Outre les aspects organisationnels, le thème de la convention était : « Prêts pour 97. »

Le FMLN unifié

La perspective fixée, inspirée par le Front large uruguayen ou par le Parti des travailleurs brésilien, vise à constituer une alliance de différentes forces sur la base d'un programme social-démocrate radical, objectif viable à terme de cinq à dix ans au Salvador. Cette stratégie se résume en quatre points :

­ renforcer les liens avec le mouvement social afin de l'impliquer dans la lutte politique ;

­ engager la lutte électorale pour 1997 dans le but de modifier le rapport de forces à l'Assemblée en faveur de l'opposition et de remporter plus de mairies ;

­ constituer une alliance nationale pour présenter un programme alternatif aux élections présidentielles de 1999. Cette alliance n'est pas conçue d'un point de vue strictement politique, mais vise à la création d'un nouveau bloc, culturel, social et économique dont les objectifs communs sont la démocratie et l'économie sociale.

- renforcer les relations internationales, plus particulièrement en Amérique centrale, et reconstituer des liens avec les Etats-Unis et l'Europe.

Ce programme vise à continuer à défendre tous les secteurs de la population touchés par les effets de la politique du gouvernement, en luttant à leurs côtés. De nombreux militants du FMLN ont souligné que les liens avec le mouvement social s'étaient distendus au cours du processus de paix et déclaré qu'il fallait les retisser pour contrer le gouvernement et améliorer les résultats électoraux de 1994.


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