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Guatémala ou ... « Guatépeor » *

Par Michel Picquart

Au milieu de l'apathie électorale (plus de 60 % d'abstention), le candidat de droite Alvaro Arzu, du Parti d'avancée nationale (PAN) a remporté le second tour de l'élection présidentielle du 7 janvier dernier : avec un peu plus de 54 % des voix, il a battu un autre candidat de droite, Alfonso Portillo du Front républicain guatémaltèque (FRG).

Après quarante ans de gouvernements militaires, Alvaro Arzu est donc le troisième président civil depuis 1985. Une période historique s'était déjà clôturée le 20 octobre 1995 quand les restes de Jacobo Arbenz avaient été rapatriés au Guatemala. Renversé en 1954 par une conspiration organisée par des propriétaires terriens, des militaires anticommunistes et la CIA, le président nationaliste était mort vingt ans plus tard dans son exil mexicain. Pendant plus de trois décennies de régimes militaires, rappeler le printemps démocratique de cette période équivalait à une trahison. Dans le cimetière où les vétérans de la « Libération » renouvellent leur pacte anticommuniste sur la tombe de Carlos Castillo Armas, le peuple a pu venir se recueillir sur la tombe de l'ancien président alors que l'armée lui rendait les honneurs dus à un chef d'Etat.

La gauche au Congrès

Le 12 novembre 1995, les élections générales ont vu le retour de la gauche sur la scène politique légale. Le fait que plus de 53 % des 3,7 millions d'inscrits ne sont pas allés voter est probablement dû à la méfiance traditionnelle du peuple envers la démocratie représentative, qui reste très abstraite et n'a eu aucune retombée tangible pour les majorités pauvres. La décision du Tribunal suprême électoral d'installer des bureaux de vote uniquement dans les chefs-lieux municipaux, ce qui entraînait plusieurs heures de marche pour les habitants des hameaux les plus éloignés, n'a pas simplifié les choses. Dans plusieurs endroits, les votants potentiels du Front démocratique nouveau Guatemala (FDNG) furent l'objet de menaces et des graffitis assimilant le vote pour le Front à un vote pour la subversion ont fait leur apparition un peu partout.

Le handicap du Front a aussi été aggravé par la surprenante décision de Rigoberta Menchu qui, loin d'encourager le vote pour le FDNG, s'est rapprochée du PAN. Cela a eu pour conséquence qu'une importante partie de la population maya vote pour le blond chef d'entreprise Arzu et non pour le parti qui levait le drapeau indigène. Or, elle avait précédemment déclaré : « Il ne faut pas attendre de grands changements pour les indigènes avec les deux candidats, parce qu'Arzu représente le secteur économique le plus puissant et que sa victoire ne sera pas une garantie en matière sociale, et que Portillo est lié à un parti appartenant à un des secteurs les plus répressifs du pays, très lié aux massacres et aux aspects les plus durs du plan anti-insurrectionnel. »

Toutefois, même si une panne d'électricité a eu lieu lors du dépouillement, permettant la fraude, ces élections sont venues confirmer le changement politique. Dans le nouveau Parlement, 69 députés sur 80 sont issus de forces politiques nées dans les six dernières années. Les partis de droite traditionnels, organisateurs de la conspiration contre Arbenz et piliers des régimes militaires qui ont suivi, ont été remplacés par des formations idéologiquement moins marquées. L'accord de paix avec l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG) visant à mettre fin à trente-cinq ans de guérilla semble en bonne voie. La gauche, durement réprimée jusqu'il y a peu, est devenue la troisième force du parlement élu en novembre à travers le FDNG avec cinq députés (voir tableau).

La décision de participer aux élections a été risquée : il n'était pas évident que le FDNG n'essuie pas une sévère défaite comme cela est arrivé à dix des dix-neuf partis postulants qui n'obtinrent même pas 1 % des suffrages exprimés.

L'armée reste dans l'ombre

L'armée, qui régit traditionnellement les destinées du pays, s'est transformée en pièce maîtresse d'une ouverture qu'elle a elle-même générée et qu'elle essaye de contrôler depuis. Le projet d'ouverture contrôlée a été cependant assez mal accueilli par divers secteurs des forces armées. La paix avec la guérilla et la démocratisation ne veulent pas seulement dire que l'armée doit se retirer du pouvoir politique et économique mais aussi, comme dans le cas du Salvador, qu'elle doit rendre des comptes sur ses quarante années de pouvoir absolu et de lutte anti-insurrectionnelle en toute impunité.

Un diplomate étranger confiait à El Pais il y a peu que « la différence n'est pas entre ceux qui violent et ceux qui ne violent pas les droits de l'homme, mais entre ceux qui continuent de les violer et ceux qui ont arrêté de les violer. C'est-à-dire, entre ceux qui sont intelligents et ont des capacités politiques pour analyser, et les imbéciles, qui, eux, sont extrêmement dangereux. »

Le nouveau président a effectué des changements au sein de l'état-major de l'armée puisque six généraux ont été mis à la retraite, dont l'ancien ministre de la Défense, Gonzalez Taracena, et que quelque 250 officiers ont changé d'affectation.

Le nouveau président a promis un calendrier rigoureux pour faire face aux problèmes du pays : signature d'un traité de paix avec l'URNG d'ici six mois ; augmentation de 40 % des effectifs de la police ; et réduction drastique de la violence lors des six premiers mois de son mandat. Sur le front économique, il a déclaré qu'il mettrait fin aux monopoles dans l'économie, qu'il rendrait plus efficaces l'industrie d'Etat et les services publics, qu'il diminuerait les barrières douanières et qu'il ouvrirait largement le pays à l'investissement étranger, le tout en se défendant d'avoir un programme néo-libéral.

Bien que manquant de programme concret sur ce point, Arzu parle de combattre la discrimination et le racisme. Son parti a signé récemment dans l'île de Contadora un « pacte » pour la paix. L'armée reste malgré tout une pièce importante du jeu politique, comme les dernières exactions le rappelent (voir « Solidarité » en dernière page). Voilà l'immense défi que devra relever le nouveau président.


* Jeu de mots : Guatemala = « Guatémauvais » ; « Guatepeor » = « Guatépire ».


Résultat des élections générales

Formation Voix % Sièges Mairies
Parti d'avancée nationale (PAN) 563 599 36,50 43 85
Front républicain guatémaltèque (FRG) 340 844 22,11 20 40
Alliance nationale (DC-UCN-PSD) 199 522 12,94 11 -
Front démocratique nouveau Guatémala (FPNG) 119 047 7,72 5 4
Parti libérateur progressiste (PLP) 80 420 5,22 - -
Démocratie chrétienne (DCG) - - 3 25
Union du centre national (UCN) - - 5 23
Union démocratique (UD) - - 1 7


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